26. Oreste… reste

 

7 h 09, rue Saint-Romain

 

Maline n’ouvrit les yeux qu’à la cinquième sonnerie du téléphone. Elle attrapa son portable et lut le nom préenregistré de l’emmerdeur qui la réveillait.
Christian Decultot !
Maline soupira.
— Debout citoyenne ! hurla la voix enjouée du rédacteur en chef. Excuse-moi de te réveiller à l’aurore. J’ai appris tes exploits d’hier. Jouer les Laura Flessel avec un stylo plume ! Chapeau bas. Je compte sur toi pour avoir tous les détails en exclusivité dans l’édition de mercredi…
Maline répondit d’une voix rauque qui la surprit elle-même :
— Si t’es au courant Christian, pourquoi tu ne me laisses pas dormir ?
— J’ai une mission pour toi, citoyenne !
— Rappelle dans deux heures ! Ou je te fous aux prud’hommes !
— Impossible, j’ai besoin de toi à la gare de Rouen. Dans quarante-trois minutes.
Maline essayait d’émerger, de faire le tri dans sa tête embrouillée. Elle n’avait pas l’impression d’avoir dormi. Elle se sentait sale. Elle avait envie de prendre soin d’elle, de prendre le temps.
— Doucement, Christian… J’émerge, là. C’est quoi, le problème ? Je croyais que les flics avaient embarqué le coupable. C’était pas lui ?
— Si… J’espère. Enfin, j’en sais rien. Ta mission n’a rien à voir. Faut que tu me rendes un service.
Cet enfoiré allait la prendre par les sentiments. Elle le laissa venir.
— Ça ne te coûtera rien. Juste de te lever. Je t’explique. Je te demande simplement d’aller à la gare de Rouen accueillir un journaliste. Un jeune journaliste du Monde. Ils l’envoient pour couvrir l’Armada. Cette histoire de meurtre sur les quais a attisé leur curiosité.
— Il n’a pas de plan de Rouen, ce journaliste ? Qu’est-ce qu’on a à voir avec lui ?
— Primo, au cas où tu l’aurais oublié, on appartient au même groupe financier. Secundo, ce jeune journaliste est le fils d’un ami personnel, Raphaël Armano-Baudry, grande signature, grand reporter international…
Maline siffla :
— Je vois le genre…
— Tu te trompes, Maline, ce jeune garçon que je te demande d’accueillir, Oreste Armano-Baudry, n’a rien d’un pistonné. Bac avec mention très bien, sorti major l’année dernière de l’Ecole supérieure de journalisme de Science Po Paris ; intégré au Monde illico…
— Ça me confirme le genre ! Lycée Henri IV, séjours linguistiques aux Etats-Unis, grand appartement bourgeois dans le XVIe, je suppose… Pourquoi veux-tu me fourrer ce trou du cul dans les pattes ?
— Ce trou du cul est mon filleul, Maline ! Quand sa mère est morte, son père est souvent venu ici avec sa sœur, en Normandie, passer des week-ends à la maison. Je le faisais sauter sur mes genoux. Tu vois le genre, aussi ? Après, il a été élevé par sa belle-mère et je l’ai perdu de vue. Il doit avoir 21 ou 22 ans maintenant.
 
Maline décida de jouer profil bas. Le téléphone à la main, entièrement nue, elle était à la recherche d’un tee-shirt propre.
— O.K., O.K., Christian. Ça consiste en quoi, exactement, ton baby-sitting ?
— Rien de bien méchant. Tu le balades un peu sur les quais de la Seine, tu lui expliques deux ou trois trucs sur Rouen, tu réponds à ses questions et tu le remets dans le train. Il ne devrait pas s’éterniser. Côté enquête, Oreste arrive un peu après la bataille, non ? Tu as déjà épinglé le coupable… si je peux dire !
Christian Decultot éclata de rire. Maline essayait d’enfiler un tee-shirt sans forme avec sa main libre. Décidément, tout le monde, y compris son rédacteur en chef, semblait vouloir bien vite enterrer cette affaire. Maline repensait aux questions non résolues de cette enquête.
Et les SMS en espagnol ? Et la marque au fer rouge ? Et les tatouages ? Et les messages morbides ? « Il faut que l’herbe pousse et que meurent les enfants » ; « Mourir pour moi n’aura rien de troublant. Et ce sera reprendre une habitude ancienne »… L’hypothèse d’un crime crapuleux par un toxicomane n’expliquait pas grand-chose, en fait.
— O.K. Christian, concéda Maline. Tu as gagné, maintenant, je suis debout ! Je vais aller jouer les nounous avec ton petit fiot !
— Attends-toi plutôt à du rodéo !
Maline ne releva pas :
— Je le reconnais comment ? Il a un grain de beauté sur la fesse gauche ?
— Attends-le seulement sur les quais. C’est lui qui te reconnaîtra. Je lui ai envoyé par mail un dossier complet sur toi. Je t’ai présentée comme ma fille adoptive. Tu vois, vous êtes presque frère et sœur !
— Tu fais chier, Christian !
 
Maline soupira et raccrocha.
Elle était vraiment trop conne d’accepter tout ça.
Etre à la gare de Rouen dans moins de trois quarts d’heure…
 
***
 
Résignée, Maline enchaîna à nouveau au pas de course, douche froide, choix de vêtements propres et chiffonnés, sourire de Fatou dans le cadre près de la porte, air frais, odeur de bière et de pisse rue des Chanoines.
Elle arriva à la gare à 7 h 47. Le tableau des trains à l’arrivée indiquait « Paris, 7 h 59 ».
Elle était même en avance ! Elle prit le temps de commander un café et un croissant et composa le numéro de téléphone de Sarah Berneval. Elle souhaitait avant tout connaître la suite des épisodes, depuis hier soir. Comme elle s’en doutait, la secrétaire du commissaire était déjà au travail.
— Attends Maline, je sors…
Elle s’éloigna et reprit :
— Tu as bien eu mon message, hier soir ? Oui ? Au fait, on m’a raconté pour ton coup de stylo plume, c’est incroyable…
— Oui oui, abrégea Maline, assez gênée. Excuse-moi Sarah. Je suis à la gare, je suis un peu pressée. Ils en sont où, pour l’enquête ?
— Oh la la… Il y a du neuf, tu peux le dire ! Ils ont bossé toute la nuit. Ils sont tous à cran, ici. Surtout le commissaire. Pour le poignard, ils sont quasiment certains qu’il s’agit bien de l’arme qui a tué Mungaray, le marin mexicain. Daniel Lovichi t’a agressée avec l’arme du crime. Il est sacrément dans la merde…
— Il en est où, physiquement ? s’inquiéta Maline
— Tu t’en fais pour ce salaud qui a voulu te planter ? Il n’y en a pas deux comme toi ! T’en fais pas Maline, tu l’as pas tué, la blessure était bénigne. Il est ressorti de l’hôpital dans la nuit, ils ont déjà pu l’interroger.
— Il a avoué ? demanda Maline.
— Pas encore. Il dit qu’il a trouvé le poignard dans la rue, devant lui, un matin. Comme par miracle ! Il dit aussi qu’il a aperçu Pierre Poulizac, ce Ramphastos, compter de l’argent liquide dans la rue, cinq mille euros en liquide, et les glisser dans sa poche ! Selon lui, c’est comme cela qu’il a eu l’idée de monter son coup. Il prétend qu’il n’est pour rien dans le meurtre de Mungaray, qu’il ne l’a même jamais vu.
— Il a un alibi ?
Aucun ! La rue, c’est tout. Pour tout le monde ici, c’est clair, c’est lui le coupable…
Et le mobile, ce serait quoi ?
La drogue ! Il a l’air de croire que les marins, surtout les mexicains, se baladent avec de la cocaïne plein les poches. Il a l’air un peu givré. Il n’y a pas de doute, Maline, c’est lui ! Tu t’es fait le meurtrier… T’es une star.
 
Curieusement, Maline n’arrivait pas à admettre cette version officielle. Tout s’enchaînait beaucoup trop facilement. La personnalité de Daniel Lovichi ne collait pas avec tout le reste.
— Et Ramphastos ? Comment va-t-il ? Il s’en sort ?
— Oui. Je crois qu’il est encore au CHU. Mais il n’a rien de grave… Juste quelques points de suture.
— Qu’est-ce qu’il faisait avec cinq mille euros en liquide ? C’est plutôt louche, non ?
Sarah lâcha un petit rire :
— Quand le commissaire lui a demandé, Ramphastos l’a envoyé se faire foutre ! Ça le regarde après tout !
Décidemment, rien ne collait. Pourquoi Ramphastos, qui n’avait pas l’air de rouler sur l’or, loin de là, se promenait-il avec une telle fortune sur lui ? D’où venait cet argent ? Pourquoi ne voulait-il pas en parler ?
— Toi qui suis l’affaire de l’intérieur ? demanda encore Maline. Tu ne trouves pas que c’est un peu gros, le coup du toxicomane ?
— Il avait l’arme du crime entre les mains, il a un mobile, il n’a pas d’alibi, il a un passé chargé… Ils ne vont pas se poser plus de questions, ils vont le jeter en pâture à la presse. Comme ça, les bateaux de l’Armada pourront continuer de flotter et le commissaire pourra commencer à s’occuper de ses gosses.
Maline regarda sa montre : 8 h 03 !
— Faut que j’y aille, Sarah. Merci. Salut !
 
 
Maline courut jusqu’aux quais de la gare. Les passagers du train commençaient à s’éparpiller, mais Maline repéra immédiatement Oreste Armano-Baudry.
Ce ne pouvait être que lui.
Elle observa un grand garçon, assez maigre, très blond avec des cheveux courts en brosse. Sur son visage un peu trop fin étaient accrochées des lunettes de soleil Carrera. Il tenait à la main le dernier Houellebecq, La possibilité d’une île. Oreste était habillé avec soin. Maline repéra sa veste en lin à peine fripée. Un exploit après un voyage en train !
— Oreste Armano-Baudry ? lança Maline.
Le jeune homme se retourna, retira ses lunettes et chercha d’où venait la voix. Il avait des yeux bleu clair qui auraient pu être jolis s’ils avaient été plus rieurs. Maline leva la main. Oreste la repéra et fit à peine l’effort de sourire.
— Il y a une sacrée cohue, lança Maline enjouée en lui tendant la main. Ils affrètent même des trains spéciaux pour l’Armada ! Vous avez réussi à trouver une place assise ?
— Heureusement, répondit Oreste. Plus d’une heure trente de train ! On a plus vite fait d’aller à Strasbourg ou à Lyon que chez vous…
— Et encore, répliqua Maline. Il y a encore un mois, on était au charbon. Ils ont électrifié la ligne pour l’Armada !
Oreste Armano-Baudry esquissa un sourire. Il avait à nouveau chaussé ses lunettes de soleil.
— On se fait une terrasse ? fit Maline. Je n’en peux plus de la foule !
Ils s’installèrent au buffet de la gare. La station s’était vidée, provisoirement, avant le nouveau train, dans une demi-heure.
 
Ils échangèrent les formalités d’usage. Maline fit ce qu’elle put pour paraître spirituelle, mais Oreste Armano-Baudry se contentait de jeter sur elle, comme sur le reste de la gare, le regard d’un anthropologue qui découvrirait une tribu inconnue. Après une minute, le journaliste parisien sortit un Palm de la poche de sa veste.
— Mademoiselle Abruzze, vous permettez que je prenne quelques notes ?
Maline hocha la tête, amusée. Oreste Armano-Baudry approcha de sa bouche le micro de son agenda électronique et parla d’une voix claire et forte :
— Vendredi 11 juillet. Stop. Huit heures onze. Stop. Gare de Rouen. Stop. Voyage… Interminable. Stop. Ambiance…
Le journaliste parisien jeta un coup d’œil circulaire et continua :
— Provinciale. Stop. Déco… Ridicule. Heu, non. Ringarde. Stop. Accueil…
Son regard se posa un instant sur Maline :
— Correct. Stop. Déjeuner. Heu. Moyen… Moyen moins. Stop.
Oreste Armano-Baudry éteignit son Palm et afficha un sourire de contentement.
Maline le fixa, interloquée, et fit un effort suprême pour ne pas faire exploser à la surface les commentaires qui bouillaient sous son crâne.
Première impression. Stop. Connard.
Elle se força à penser aux recommandations de Christian Decultot. Après tout, ce jeune prétentieux n’avait dû connaître de la vie qu’une belle cage dorée… Ce n’était qu’un gamin !
Oreste se décida enfin à retirer ses lunettes de soleil. Maline pensa à nouveau qu’il aurait pu avoir de jolis yeux, s’il les avait fait davantage pétiller. Cela dit, Maline était persuadée que son regard de petit dur devait faire craquer toutes les « Marie-Chantal » dans les « dîners de l’ambassadeur ». Elle se résigna à jouer les chaperons bien élevés :
— Oreste. Vous connaissez la basse Seine ?
— La basse Seine ? Ah non, pas du tout… Je n’en ai aucun souvenir. C’est curieux, je suis déjà allé dans le monde entier, je dois connaître une bonne trentaine de capitales sur les cinq continents, mais je ne connais aucune ville à moins d’une heure de Paris ! Paradoxal, non ?
— Sans doute…
Seconde impression. Stop. Trou du cul.
Oreste repoussa son café et son croissant qu’il avait à peine touchés :
— Vous ne le trouvez pas infect, ce petit-déjeuner ? Si, n’est-ce pas ? C’est normal, remarquez ! Il faut bien plumer le pigeon. Ça doit être une sacrée arnaque à touristes, votre Armada ?
Maline sentait monter en elle un agacement profond.
« Rodéo », avait dit Christian !
Elle allait le bousculer, le gamin :
— Vous avez toujours comme ça des théories sur tout, Oreste ?
Le jeune journaliste la regarda, surpris. Maline ne lui laissa pas le temps de respirer :
— Bon Oreste, je ne veux pas être brutale avec vous, mais comme je suis certaine que votre temps est très précieux, alors je vais être franche : j’ai une mauvaise nouvelle. Vous êtes venu pour rien ! L’affaire Mungaray est classée…
Maline se contenta de lui raconter les principaux éléments, sans citer son rôle dans les événements. Oreste Armano-Baudry écouta jusqu’au bout. Lorsque Maline eut fini, il s’effondra sur sa chaise.
— Putain ! Quel merdier ! Le meurtrier a été inculpé. La tuile ! Dire que pour venir ici, j’ai raté le vernissage des métamorphoses métalliques chez Marie Demange. Tout le monde doit y être, ce matin.
Maline s’amusait beaucoup. Elle dévora ostensiblement le croissant dont Oreste n‘avait pas voulu :
— Cela dit, ironisa-t-elle, il reste des tas de reportages intéressants à faire sur l’Armada. Les bateaux, la foule, la fête populaire, ça se vend bien… Tout le monde y est ! Ici, cela fait consensus.
— Si vous voulez mon avis, fit méchamment Oreste, votre Armada, c’est la pire idée qu’ait jamais eu la ville de Rouen !
Une telle affirmation surprit Maline. Elle s’était longtemps demandé comment on pouvait être contre l’Armada. Ce jeune cynique était-il au moins capable d’exprimer une opinion originale ?
— Alors là Oreste, il faut me l’expliquer !
— J’ai lu quelques articles sur Rouen avant de venir. Je me suis documenté. Je vous fais la synthèse ? A Rouen, vous êtes face à un choix. Soit vous misez sur le passé, le port, les usines, la pollution. Soit vous misez sur l’avenir, le tertiaire, la proximité de Paris, les bureaux… Il faut vous décider ! Regarder vers la mer ou bien regarder vers Paris ! Soit vous faites le choix de garder vos raffineries et vos silos, qui seront tôt ou tard délocalisés ; soit vous acceptez de devenir une banlieue chic de Paris. Qu’est-ce que vous préférez, être la poubelle de Paris ou bien être son centre d’affaires ? C’est comme vous voulez ! Vous avez vu venir ma conclusion : pour moi, votre Armada, c’est le dernier spasme du port de Rouen, c’est l’exemple suprême de votre incapacité à couper le cordon !
La tirade amusa beaucoup Maline. Ce jeune crétin avait au moins de la répartie. Elle répliqua pourtant :
— Ce n’est pas un peu plus compliqué que cela, Oreste ? Et le patrimoine, qu’est-ce que vous en faites ?
Il regarda Maline de ses yeux froids :
— Le patrimoine, c’est plutôt un truc de vieux, non ?
Petit con  !  Dis-le que je pourrais être ta mère  !
Troisième impression. Stop. Lourd  ! 
Maline regarda ostensiblement le tableau des trains au départ, puis sa montre :
— Oreste, vous avez un train qui vous ramène à Paris dans quinze minutes ! Si vous partez tout de suite, avec un peu de chance, il restera quelques petits-fours et deux ou trois people chez Marie Demange. Enchantée de vous avoir connu. Ce fut court, mais que ce fut bon ! Faut vous dépêcher si vous voulez une place assise. Oreste afficha un sourire provocateur :
— N’ayez crainte, Le Monde me rembourse le retour en première classe…
Maline lui tendit la main, plus amusée qu’énervée :
— Sans rancune ? Je n’y suis pour rien…. Ce sont les aléas du métier.
— Si vous le dites… Je viens à Rouen pour élucider le crime du siècle et on me propose de faire Thalassa ! Si j’avais su avant, pour Thalassa, je n’aurais pas eu besoin de me lever dès l’aube.
Maline regarda soudain Oreste Armano-Baudry comme s’il lui avait révélé un secret d’Etat.
Un éclair semblait avoir foudroyé la journaliste.
Comme si toute la gare avait brusquement stoppé sa course.
Un déclic, le déclic après lequel elle courait depuis hier.
Elle attrapa Oreste par le bras :
— Qu’est-ce que vous venez de dire ?
— Rien… Que je me suis levé à cinq heures du matin pour…
— Non ! Vous avez très exactement dit que vous vous étiez levé dès l’aube !
Elle ne laissa pas le temps à Oreste de comprendre et le força à se rasseoir.
— Oreste, vous savez parler espagnol ?
— Oui, bredouilla le jeune journaliste, regardant avec inquiétude sa montre. J’ai fait six mois de stage à la Casa Vélasquez, en cinq ou six  séjours… J’ai lu tous les poèmes de Jorge Luis Borges en édition originale, mais…
— O.K., coupa Maline. Des tas de Señoritas ont dû vous envoyer des SMS lorsque vous vous déniaisiez à Madrid. Vous devez être capable de me traduire ça !
Elle griffonna trois phrases en espagnol sur la nappe.
 
« Sé que me espera. »
« No puedo permanecer lejos ti más mucho tiempo. »
« Es el oro de la noche. »
 
Oreste Armano-Beaudry regarda une nouvelle fois sa montre, puis commença la traduction. Il se prit rapidement au jeu.
— « Espera » est un faux ami, précisa-t-il. Il ne veut pas dire espérer, mais attendre. J’ai aussi un doute. « Noche » en espagnol veut dire nuit, mais on peut aussi le traduire par soir. Dans le contexte, l’or du soir me semble plus cohérent que l’or de la nuit. Donc au final, cela nous donnerait ceci…
Maline lut sur la nappe :
Je sais que tu m’attends.
Je ne peux demeurer loin de toi plus longtemps.
Tu es l’or du soir.
 
Oreste s’impatientait. Il voulait comprendre :
— Vous pouvez m’expliquer avant que je rate mon train, Maline ? A quoi correspondent ces phrases ?
— Ce sont des SMS que Mungaray, le marin mexicain assassiné, recevait sur son téléphone portable. On les a pris pour des messages d’amour. On s’est trompé sur toute la ligne ! Si on fait la bonne traduction et qu’on les met bout à bout, c’est évident.
Oreste la regardait avec des yeux effarés :
— Ce sont les extraits d’un poème, explosa Maline. Ce sont des extraits de Demain, dès l’aube, de Victor Hugo ! Son poème le plus célèbre, celui que tous les enfants de France apprennent à l’école ! Moi aussi, je l’ai connu par cœur, un jour… Comme tout le monde. C’est ce que je cherchais depuis hier !
— Que vient faire ce poème dans cette histoire ?
Il regarda à nouveau sa montre. Maline semblait surexcitée :
— Je serais vous, Oreste, je resterais encore un peu. Dans cette affaire de meurtre, j’ai enfin l’impression d’avoir trouvé un fil… Et croyez-moi, je vais tirer dessus !
Oreste hésita. Sa curiosité de journaliste finit par prendre le dessus. Il attendit. Maline était déjà au téléphone :
— Allo. Christian ? Oui, j’ai bien récupéré le paquet cadeau. Un joli bébé rose. Il se rappelle avec nostalgie du temps où tu le faisais sauter sur tes genoux. Il adorait cela !
— O.K. Maline, dis-lui bonjour. Je suis en réunion, là. C’est urgent ?
— Oui. Très ! Mais ce n’est pas au rédacteur en chef que je m’adresse, c’est au spécialiste de Victor Hugo.
Maline expliqua en quelques phrases sa conclusion sur les citations espagnoles.
— J’ai une autre question, Christian, continua-t-elle. Ecoute cela. « Il faut bien que l’herbe pousse et que meurent les enfants ». Est-ce que c’est également une phrase de Victor Hugo ?
— Bien sûr, répondit aussitôt Christian Decultot. Tu le trouveras dans Les contemplations, tout comme Demain, dès l’Aube, c’est un extrait d’un long poème intitulé A Villequier. Les deux poèmes ont le même thème, la douleur de Victor Hugo après la noyade de sa fille Léopoldine, dans la Seine, à Villequier, et ses errances, ses méditations, le long du fleuve.
— D’accord ! Je connais l’histoire ! Et cette autre phrase, elle est également de Victor Hugo je suppose ? Elle lut : « Mourir pour moi n’aura rien de troublant. Et ce sera reprendre une habitude ancienne ».
— Désolé de te décevoir sur ce coup-là, mais Victor Hugo n’a jamais écrit cela !
— Tu en es sûr ? Comment peux-tu savoir ? Il a écrit des milliers de pages.
— Certain ! Je suis incollable sur Hugo. Ça ressemble à du Hugo, si tu veux, mais cette phrase n’est pas de lui !
Maline marqua un silence de déception et poursuivit :
— O.K., ce n’est pas grave, je trouverai plus tard. Merci Christian.
— Dis-moi, Maline, je croyais que l’affaire Mungaray était bouclée ? Tu n’es pas en train de chercher des complications ? Le fait que l’amoureuse de ce Mexicain apprécie Victor Hugo et le traduise en espagnol ne constitue pas un nouveau crime que je sache. Ce serait même plutôt une marque de goût, non ? Bon, salue Oreste de ma part, promène-le gentiment dans le coin, trouve le temps de m’écrire les articles pour la prochaine édition, fais dans le récit de cape et d’épée si tu veux, mais ne va pas m’agiter de nouvelles vagues…
—Merci, Christian. Bises.
 
Elle raccrocha et se tourna vers Oreste :
— Ça vous intéresse toujours, l’idée d’une balade dans la vallée de la Seine ?
Maline perçut dans les yeux clairs d’Oreste un soupçon de surprise, une bribe d’intérêt.
— Quel rapport avec ces poèmes ?
— Il ne s’agit pas de poèmes, Oreste. Je n’ai pas du tout l’impression que le jeune Mungaray était un amoureux de Victor Hugo. Ces messages, Oreste, ce sont les indices d’un code entre des matelots qui portent le même tatouage, les indices d’un jeu de piste dans lequel l’un d’entre eux a trouvé la mort !
Oreste regarda Maline avec une stupéfaction croissante.
— Oreste, les jeux de piste, vous voyez ce que je veux dire ? Votre papa ne vous a pas mis chez les scouts de France quand vous étiez gamin ? Allez, je vous emmène. On part à Villequier !
Mourir sur Seine
cover.html
polifileTitlePage.html
section_uqy7ru.html
section_l0wrvs.html
section_hm84j0.html
polifileToc.html
section_srgagf.html
section_trmlq9.html
section_pltb0m.html
section_pkngrk.html
section_82s0uq.html
section_5c2zvw.html
section_hfb82i.html
section_h1rhzp.html
section_zw1qh9.html
section_w42bha.html
section_em9a77.html
section_1xitsw.html
section_htv6r0.html
section_zniprx.html
section_unwfwv.html
section_n7xqu5.html
section_idm39p.html
section_siyz3x.html
section_ee73cs.html
section_3c7hfr.html
section_ktpq2l.html
section_fvsk4n.html
section_kq0r88.html
section_k4faxz.html
section_0x7mup.html
section_dqqhz6.html
section_ba3dhr.html
section_jc8778.html
section_bflys6.html
section_dztz9d.html
section_merbiu.html
section_arcjcn.html
section_0yaufj.html
section_8mdtaa.html
section_6rrq4c.html
section_snzapl.html
section_95dw12.html
section_b320qv.html
section_4ng19r.html
section_ti4v0w.html
section_4s01uc.html
section_5k1us9.html
section_2kzxrw.html
section_6vgtf6.html
section_vh2cg1.html
section_eedmxe.html
section_z20kmp.html
section_vgvsuz.html
section_7a4cap.html
section_g2qsd0.html
section_f403ee.html
section_3tau47.html
section_w80kt6.html
section_s1cbdh.html
section_ttv712.html
section_eurmxi.html
section_a39f0r.html
section_l3s6zc.html
section_el187j.html
section_hrcuq7.html
section_18i73z.html
section_cg44kg.html
section_tkvt62.html
section_eirvhn.html
section_rauujd.html
section_sey1l2.html
section_zplju9.html
section_czw021.html
section_bckxny.html
section_1fuf5n.html
section_n0cqv1.html
section_u0bula.html
section_ua6qhs.html
section_205wmr.html