25. Le trésor des Aztèques

 

3 h 17, quelque part dans l’agglomération rouennaise

 

L’homme ouvrit la porte.
— Alors ? demanda une voix féminine.
— Tout a parfaitement fonctionné ! répondit l’homme. Comme prévu. Ils ont récupéré l’arme du crime, ils ont le mobile, ils tiennent leur coupable. Cela va les occuper un certain temps, les empêcher de fouiner partout. Cela va rassurer les autres aussi, les rendre moins méfiants. L’agitation va retomber. Je vais être plus libre demain, on va pouvoir passer à la deuxième phase. Eliminer les autres témoins…
— Et… continua la voix féminine. Et cette journaliste, Maline Abruzze, tu en penses quoi, tu crois qu’elle représente un danger ?
L’homme répondit par un sourire amusé :
— Oh non… Aucun danger ! Elle est futée, tu as pu t’en rendre compte aujourd’hui, mais pourquoi est-ce qu’elle nous soupçonnerait ? Je crois même au contraire qu’elle a confiance en moi. Nous avons parlé ensemble comme deux vieux amis, aujourd’hui, non ? On se connaît maintenant ! Toi aussi. Comment pourrait-elle faire le lien entre nous et l’exécution de Mungaray ?
L’homme accentua encore son sourire et continua :
— Cette journaliste pourrait même nous être utile, demain, quand il s’agira de frapper à nouveau, d’appliquer la malédiction du jarl, d’attirer ces fous imprudents et de les tuer !
 
Devant un canapé de cuir blanc, un immense écran plasma était encastré dans le mur. L’homme s’installa.
— Repasse-le moi, s’il te plait. Encore une fois !
La main féminine ouvrit un tiroir sous la table du salon, face à eux. Des dizaines de DVD étaient soigneusement rangés, tous numérotés, datés et étiquetés d’une large écriture rouge. La main de la femme attrapa sans hésiter un DVD titré Trésor des Aztèques. 15 juin 1982. Elle plaça le disque dans le lecteur puis saisit une télécommande et la pointa. L’écran s’éclaira.
 
***
 
C’était un film amateur tourné dans un bateau. L’image n’était pas très nette et bougeait, comme si le film avait été réalisé à l’insu des protagonistes. On reconnaissait un méandre de la Seine. L’embarcation ressemblait à un petit bateau de pêche. Sur le pont, une trentaine d’enfants d’une dizaine d’années se tenaient serrés. Une femme plus âgée, emmitouflée, sans doute l’institutrice, surveillait les enfants avec une attention de mère poule.
Tous écoutaient parler un homme. Il arborait une barbe noire hirsute et une casquette de feutre bleue vissée sur la tête. Il était déjà assez corpulent.
On reconnaissait Pierre Poulizac, Ramphastos, jeune. La scène devait se dérouler dans le début des années 1980. La conférence nautique du conteur semblait subjuguer les enfants.
 
Ramphastos pointa le doigt :
— Le village que vous voyez là-bas, les enfants, c’est Vatteville-la-Rue. Un petit village de rien du tout. Même pas mille habitants ! Aujourd’hui, vous voyez, il est dans les terres. C’est parce que la Seine a bougé, depuis cinq cents ans. Mais il y a cinq cents ans, Vatteville était un port, un port important pour les marins du monde entier. Les enfants, avez-vous déjà entendu parler des Aztèques ?
Aucun enfant n’osa répondre. Ramphastos continua :
— Les Aztèques étaient les habitants du Mexique, avant que les Espagnols ne débarquent. Pendant deux mille ans, ils ont construit une des plus riches civilisations de l’histoire. Les enfants, si aujourd’hui, vous mangez du maïs, des pommes de terre, des tomates, du chocolat, des cacahuètes… c’est grâce à eux, grâce à leurs inventions dans l’agriculture ! Pourtant, un seul homme, un Espagnol, Hernán Cortès, avec quelques hommes, a détruit en moins de dix ans tout ce qui les Aztèques avaient mis deux mille ans à construire.
— Pourquoi ? demanda une voix timide
— A cause des trésors fabuleux qu’avaient accumulés les Aztèques, au fil des siècles ! Hernán Cortès n’avait qu’un but : s’emparer de ces fabuleux trésors. Il tortura pendant des mois le dernier empereur aztèque, Cuauhtémoc, l’aigle qui tombe, le grand héros national mexicain. En 1521, Cuauhtémoc fut exécuté par Cortès. En 1522, Hernán Cortès repartit pour l’Espagne : il avait chargé dans trois caravelles le plus grand trésor qu’on n’ait jamais vu sur la mer. Ecoutez les enfants. Les archives nous parlent de cent mille pièces d’or, de deux cent trente kilos de poudre d’or en sacs, de trois cent dix kilos de perles, dont certaines grosses comme des noisettes, de vaisselle d’or et d’argent, de bracelets, de boucliers et de casques aztèques, de statues d’animaux du nouveau monde... Ils parlent aussi d’une fabuleuse émeraude, aussi large que la paume de la main ! Selon les archives, Cortès ramena également deux tigres, qui devinrent fous sur le bateau. L’un se jeta à l’eau en tuant trois marins, ils durent exécuter l’autre…
 
Les yeux des enfants brillaient du même reflet que les trésors décrits. Ramphastos racontait merveilleusement bien les histoires.
— Le plus fabuleux trésor de tous les temps, les enfants ! Mais il faut maintenant que je vous parle d’un autre personnage. Je suis certain que vous n’en avez jamais entendu parler. Il s’appelle Jean Fleury. C’était un marin normand, il habitait ce petit village en face de nous, Vatteville-la-Rue. Il était même ce que l’on pourrait appeler un pirate. Il sillonnait la mer depuis 1521, à bord de son fabuleux navire, la Salamandre. Au large des Açores, il repéra les trois caravelles de Cortès. Avec une incroyable audace, à la barbe de toutes les escortes espagnoles, il fondit comme un faucon sur les trois caravelles espagnoles, lança l’abordage, se rendit maître des navires et déroba l’ensemble de la cargaison. Le plus fabuleux butin de tous les temps ! Vous vous rendez compte, les enfants ?
Les enfants regardaient maintenant avec des yeux étonnés le petit village de Vatteville. L’institutrice, amusée, semblait se demander quelle était la part de vérité dans ce que narrait le conteur. Ramphastos continua :
— Jean Fleury versa une partie de son butin à son armateur, le Dieppois Jehan Ango. Grâce à l’audace de son plus grand lieutenant, Jehan Ango devint l’homme le plus riche, le plus puissant de France… Mais cela, c’est une autre histoire... Jean Fleury avait aussi volé à Cortès toutes ses cartes marines, tous les plans des expéditions des Indes occidentales. Pendant des années, Jean Fleury nargua la flotte espagnole. Insaisissable... On parle de plus de trois cents abordages. Sa tête fut mise à prix sur toutes les mers du monde. L’empereur Charles Quint était furieux. Selon la tradition, il devait recevoir le cinquième du trésor aztèque que Cortès ramenait du Mexique. La part du roi ! Jean Fleury lui avait tout raflé sous le nez…
Une fillette ravissante leva le doigt :
— Monsieur ? Ils ne l’ont jamais attrapé, alors, les Espagnols ?
Le conteur prit l’air désolé.
— Si, ma mignonne. Les pirates finissent toujours par se faire prendre. Cinq ans plus tard, il tomba dans une embuscade au large du cap Finisterre, en Galice, dans le haut de l’Espagne. Jehan Ango proposa à Charles Quint une rançon phénoménale pour racheter la liberté de son capitaine, mais l’empereur ne céda pas. Son honneur et son autorité étaient en jeu. Jean Fleury fut pendu à Cadix en 1527.
La plupart des enfants avaient les yeux un peu mouillés. Dans les histoires, d’habitude, les héros ne meurent pas.
— Allons, allons ! fit l’institutrice pour les consoler. Il y a beaucoup d’imagination dans tout ce que vous a raconté monsieur Poulizac…
Ramphastos lui jeta un regard offensé :
— Madame, ne croyez surtout pas cela ! Je ne vous ai raconté que la stricte vérité ! Ouvrez n’importe quel livre d’histoire de la Normandie. Vous verrez ! Allez savoir pourquoi certains pirates restent dans la mémoire populaire et d’autres tombent dans l’oubli. Je ne sais pas… Peut-être, après tout, que Jean Fleury préférait la discrétion. Le long du val de Seine, la seule trace de son exploit, vous la trouverez sur la rive droite, dans la petite église de Villequier, juste en face de Vatteville-la-Rue. Un étonnant vitrail représente l’abordage des caravelles de Cortès par Jean Fleury. Pour le reste… Que voulez-vous que je vous dise ? Jean Fleury s’est emparé du plus fabuleux butin de l’histoire de la piraterie. Il l’a sans doute ramené quelque part près de chez lui, ici, à Vatteville-la-Rue. Il est reparti courir les mers, sans doute sans dépenser un seul des 100 000 castillans d’or et du reste. Il a été pendu cinq ans plus tard, sans avoir touché à son butin… Sans qu’aucun livre d’histoire, sans qu’aucune archive ne dise ce que le trésor des Aztèques était devenu…  Je vais vous dire, madame l’institutrice, c’est maintenant, au moment où s’arrête mon histoire, au moment où Jean Fleury est exécuté loin d’ici, à Cadix, au moment où il emporte son secret dans sa tombe, que l’imagination peut commencer à faire son travail…
 
Trente enfants, les yeux grands ouverts, scrutaient les bords de la Seine, cherchant déjà dans les reflets argentés du fleuve l’éclat des pièces d’un fabuleux butin.
Mourir sur Seine
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