45. Chasse aux blonds

 

11 h 23, commissariat de Rouen, 9, rue Brisout-de-Barneville

 

En entrant en trombe dans le commissariat, Gustave Paturel eut une très bonne surprise.
Les collègues étaient en train d’interroger à l’accueil un type blond, cheveux courts, plus d’un mètre quatre-vingts, un casque de moto au bras.
Ils l’avaient coincé !
Enfin une bonne nouvelle ?
Le commissaire s’avança.
Dans la salle d’attente du commissariat, sur sa droite, plus de quinze types blonds, cheveux courts, plus d’un mètre quatre-vingts, un casque de moto au bras, attendaient leur tour.
— Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? hurla le commissaire.
— On vérifie, fit placidement un agent. On nous en amène cinq à l’heure, et on vérifie !
On allait vérifier l’alibi, le tatouage sur l’épaule et l’ADN de tous les blonds de plus d’un mètre quatre-vingts ?
 
Il continua sa marche pressée et salua en coup de vent sa secrétaire, Sarah Berneval.
— Sarah, vous avez vu Joe Roblin, le profileur ? En théorie, ce type est censé nous aider !
— Il est sorti tout à l’heure.
— Il a dit ce qu’il allait faire ?
— Non… Profiler je suppose.
Le commissaire Paturel poussa un juron et continua son inspection. Il entra dans le central vidéo. Une dizaine d’agents observait avec attention les caméras placées tout au long du parcours du défilé des équipages.
— Trois cents CRS, marmonna Paturel entre ses dents. Trente caméras vidéo. S’il se passe encore quelque chose, putain, ce ne sera pas faute d’avoir essayé de l’empêcher. Ouvrez l’œil, les gars !
Il regarda un instant le mur d’écran, qui permettait d’observer en direct la foule dans les points stratégiques de Rouen.
— J’aurais dû mettre aussi une caméra chez moi, grogna le commissaire en sortant. Comme cela, au moins, j’aurais pu voir mes gosses !
 
Il pénétra dans une autre salle. Une immense carte de la basse Seine était posée sur la table. Des traits reliaient Caudebec-en-Caux à Rouen. Deux agents, ainsi que l’inspecteur Ovide Stepanu, travaillaient autour.
— Bonjour messieurs. Alors, à part la téléportation, la plus puissante police scientifique de France n’a toujours pas d’explication rationnelle ? Catapultage ? Montgolfière ? C’est silencieux, une montgolfière, pas rapide, mais c’est discret !
— Passe tes nerfs sur quelqu’un d’autre, Gustave, répondit Stepanu. Tu as pensé à ma proposition ?
— Faire foutre tous les marins de l’Armada torse nu pour compter ceux qui ont un tatouage de tigre sur l’épaule ? Je comprends l’idée, Ovide, mais excuse-moi pour une fois de jouer les rabat-joie : négocier avec plus de vingt ambassades différentes, cela va prendre du temps. En plus, je te rappelle qu’il s’agit principalement de militaires. Jamais on n’aura l’autorisation avant la parade de la Seine lundi et le départ des marins. Donc prendre l’ADN des marins, il faut encore moins y penser !
— Dommage…
— Ouais, dommage… Tous les marins de l’Armada à poil pour compter les tatoués, dix mille chippendales sur les quais de Rouen, cela aurait fait un tabac ! Bon, je continue la tournée des popotes.
 
Sans décélérer, il s’enfila à nouveau dans le couloir et entra dans le bureau de l’inspectrice Colette Cadinot.
— Alors ? La piste Nicolas Neufville, promenade sur le Surcouf, Mexicain dans le congélo, cela donne quoi ?
— On a fait des recherches sur le capitaine du Surcouf, Patrick Baudouin. Rien à signaler. Dans l’année, il sillonne la Rance, Dinan-Dinard, Dinard-Dinan, dans tous les sens. Je sais bien que l’on a la preuve que Mungaray a séjourné dans le congélateur de son arrière-cuisine, mais tu crois que cela suffit pour une garde à vue ?
— Au point où on en est. Tu envoies deux agents l’embarquer. Au moins, on lui fera un test ADN.
Le commissaire marqua un temps d’arrêt :
— Non, envoie directement un fourgon. Tu embarques tout le personnel du Surcouf, avec les cuistots et les serveuses. Epilation gratuite et don du sang obligatoire pour tout le monde. N’importe lequel pourrait avoir accès au congélateur ! On va ratisser large, à défaut d’autre chose. Et sur la CYRFAN SARL, la boîte qui se fait des bénéfices monstrueux sur le dos des capitaines, on a réussi à savoir qui se cache derrière ?
— Rien de neuf. Le service juridique est dessus. Mais ça bloque !
Le commissaire jura à nouveau :
— Tant pis pour le service juridique. On va la jouer à l’ancienne ! Colette, pendant que tu y es, tu vas m’envoyer un deuxième fourgon sur les quais et m’embarquer les six capitaines dont les bateaux-promenades ont été loués par la CYRFAN. Vous me les cuisinez tous séparément. On verra bien si aucun n’a jamais entendu parler de Nicolas Neufville !
L’inspectrice Cadinot regarda son patron avec étonnement :
— T’as bouffé du lion, toi, aujourd’hui !
— Je viens d’avoir mes gosses au téléphone. Ils sont super heureux. On va pique-niquer ensemble lundi à Duclair en regardant passer les voiliers ! Donc tu vois, c’est pas du lion que j’aimerais bouffer, c’est du tigre !
— Et pour Nicolas Neufville, on fait quoi ? demanda l’inspectrice.
Paturel tiqua :
— C’est un peu plus compliqué ! Je ne me vois pas lui demander de me donner un poil de cul pour faire une analyse ADN !
Colette Cadinot sourit, ce qui était plutôt rare face à ce type d’allusion vulgaire. Elle sortit d’un tiroir un verre enveloppé dans un sac plastique.
— Tout à l’heure, à l’espace des Marégraphes, lors de la conférence de presse, quand je suis passée à la tribune, je crois bien que Nicolas Neufville a oublié son verre sur la table… Je crois bien qu’il a bu dedans et même laissé un peu de salive.
Paturel regarda l’inspectrice, sidéré :
— Tu as fait ça, Colette !
Colette Cadinot se rengorgea, visiblement fière de son audace.
— Tu es certaine de ne pas t’être trompée de verre, Colette ? Il y avait du gratin, à la tribune.
Mourir sur Seine
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