15. Nicolas Neufville
13 h 18,
commissariat de Rouen,
9, rue Brisout-de-Barneville
Le commissaire Paturel entra dans le
couloir comme une tornade.
— On ne pouvait pas me prévenir
plus tôt ?
— J’ai essayé, plaida Sarah
Berneval en essayant de suivre son rythme, ce qui n’était pas
facile avec ses talons aiguilles.
— J’étais retourné chez moi pour
faire à manger à mes gosses. C’est pas un crime, tout de
même ? Je n’ai même pas eu le temps de mettre les barquettes
dans le micro-ondes ! Allez plutôt me chercher un sandwich,
Sarah.
Sarah laissa à regret le commissaire
continuer seul. Gustave Paturel entra en trombe dans la salle vidéo
et dévisagea les deux policiers en civil. Les inspecteurs
Mezenguel, Cadinot et Stepanu étaient déjà dans la salle, un peu en
retrait. Visiblement, ils venaient d’arriver eux aussi.
— Qui a visionné la
bande ?
Raynald Marsac leva une main
timide.
— O.K. Bon boulot. Montre-moi
ça.
Marsac attrapa une télécommande et
stoppa la bande au moment voulu.
Paturel s’avança, détailla le visage et
serra le poing :
— Nom de Dieu… C’est bien lui…
Nicolas Neufville !
Chacun attendit la réaction du
commissaire. Elle ne vint pas. Il semblait abattu.
Jérémy Mezenguel coupa le premier le
silence :
— Je vais peut-être dire une
connerie… Mais c’est qui, ce Nicolas Neufville ?
Gustave Paturel s’effondra sur une
chaise et répondit à l’inspecteur stagiaire d’une voix
lasse :
— Normal. T’es pas d’ici. Nicolas
Neufville est un homme d’affaires très connu par ici. Il possède
plus d’une dizaine de succursales autos et motos sur le mont
Riboudet et la route de Dieppe. Grosse fortune, comme on dit. Il
est également en train de racheter un paquet de restaurants du
centre-ville. Une pieuvre. Enfin, c’est un secret de polichinelle,
il envisage de se lancer en politique. Tout le monde sait qu’il
lorgne sur la mairie de Rouen… Et ce ne sont pas les appuis qui lui
manquent… Alors tu vois, mon petit Jérémy, à l’échelle de notre
agglo, Nicolas Neufville, c’est pas un petit poisson.
L’inspecteur stagiaire n’apprécia pas
beaucoup de se faire appeler « mon petit Jérémy »,
mais continua néanmoins à mâcher au même rythme son
chewing-gum.
— Quel rapport avec l’Armada ?
marmonna-t-il au bout d’un moment. Il fait partie de
l’organisation ?
— A priori, non, répondit le
commissaire. Nicolas Neufville n’est pas trop du genre à faire du
bénévolat dans une association, si vous voyez ce que je veux
dire.
— Qu’est-ce qu’il foutait sur les
quais, alors ?
Le commissaire prit le temps de la
réflexion, puis continua :
— Nicolas Neufville doit savoir
renifler à des kilomètres les plans pour se faire du fric. Et du
fric, il y en a à se faire sur les quais de l’Armada, pas de
doutes. Qu’il tape l’incruste autour d’une telle manifestation n’a
rien d’étonnant. Reste à savoir ce qu’il trafique…
Un court silence s’installa dans la
salle vidéo. Ovide Stepanu le rompit le premier.
— Sans vouloir jouer les…
Le regard du commissaire Paturel le
fusilla. L’inspecteur Stepanu déglutit et bafouilla :
— Heu… Hum. Disons que… Bon… Ce
coup-ci est dans la merde ! Si on enquête sur lui, ce type
peut tous nous faire sauter…
Colette Cadinot se leva,
énervée :
— Hé, doucement. Pas de
panique ! Tout d’abord, qu’est-ce qu’on a contre Nicolas
Neufville. Rien ! Il a bien le droit de se promener le soir
sur les quais.
— C’est pas ça le problème Colette,
expliqua calmement le commissaire Paturel. Bien sûr que ce jeune
loup est encore présumé innocent. Mais il était présent sur le lieu
supposé du crime. Au mauvais moment. Avec une attitude qui pourrait
laisser penser qu’il ne voulait pas qu’on le reconnaisse. On n’a
pas d’autre choix, Colette, si on veut bien faire notre boulot. Il
nous faut enquêter sur ce type… C’est un témoin…
— C’est bien ce que je disais,
répéta Stepanu. On est dans la merde ! Sans vouloir jouer les
trouble-fêtes, si on s’approche de ce type, Gustave, dans la minute
qui suit, tu auras toute ta hiérarchie sur le dos.
Le commissaire soupira. Il regarda à
nouveau le visage fixe de Neufville sur l’écran de contrôle. Comme
toujours, Stepanu était dans le vrai. Il finit par
opiner :
— T’as peut-être bien raison,
Ovide. C’est risqué de s’approcher de Neufville. Du moins, tant
qu’on n’a pas la moindre preuve… Mais on ne m’empêchera pas de
penser que ce type à quelque chose à se reprocher. On ne vient pas
s’engueuler en catimini avec le capitaine d’un bateau-promenade,
sur les quais, après deux heures du matin, si on n’a rien à se
reprocher… Et je suis prêt à parier que cela a un rapport avec
l’Armada…
Colette Cadinot s’approcha :
— Tu crois que le jeune Mungaray
aurait pu être témoin de quelque chose qu’il n’aurait pas dû
voir ?
— J’en sais rien, fit Paturel.
J’espère surtout qu’on se trompe sur toute la ligne. En attendant,
Ovide, tu vas aller m’enquêter discrètement sur le capitaine de ce
bateau, le Surcouf, juste à côté du Cuauhtémoc. Après
tout, ils étaient deux témoins.
Le commissaire se leva, avec une visible
envie de vider son sac. Il interrogea à la cantonade :
— A part cela, rien de neuf ?
Personne n’a encore trouvé pourquoi le cadavre de Mungaray s’est
brusquement arrêté de pourrir ? Personne par hasard n’aurait
ramassé un poignard ? Un tison du Marais Vernier ? Une
blonde ? Toujours pas la queue d’un bout de puzzle qui
s’emboîte ? Non ? Alors, allez, au boulot ! Et
essayez de me ramener le plus rapidement possible un suspect autre
que Neufville. N’importe qui, un inconnu, un ivrogne, une petite
frappe, je m’en fous, du moment que ce soit quelqu’un qui ait tué
pour une raison simple, de l’argent ou autre chose…