60. Café froid
6 h 57, berges de la Seine, La Bouille
Olivier Levasseur cherchait Maline des
yeux.
« Je reviens tout de
suite », avait-elle dit… Il y a plus de trente
minutes.
Puis elle s’était évanouie dans la
foule, Olivier l’avait perdue de vue, n’y avait pas prêté
attention. Maintenant, il était inquiet.
Le chargé de relations presse apostropha
le commissaire Paturel devant la table du petit-déjeuner improvisé
:
— Maline a
disparu !
Le commissaire Paturel avait encore la
bouche pleine de miettes de croissant et la mine réjouie du salarié
qui fête le départ en vacances. Il prit une pose
amusée :
— Elle ne doit pas être loin. Avec
plus de dix flics au mètre carré, il ne peut pas lui arriver
grand-chose… Mais je crois que c’est une fille que vous allez avoir
du mal à attacher à un piquet, Monsieur Levasseur.
L’humour de Gustave Paturel se perdit
dans les yeux brouillés d’Olivier Levasseur :
— Je ne plaisante pas, commissaire.
Je suis vraiment inquiet.
— Allons allons, Levasseur, vous
êtes un grand garçon, Maline est une grande fille…
— Vous ne comprenez pas,
commissaire. Tout à l’heure, quand elle m’a laissé, brusquement,
sans raison, on aurait dit que ses yeux avaient vu un
spectre.
L’instinct du flic se réveilla
immédiatement chez Paturel. Le nouveau croissant s’arrêta à dix
centimètres de sa bouche.
— Vous l’avez vu, ce spectre ?
Il ressemblait à quoi ?
— Une fille… Une plongeuse qui
enfilait un bonnet de laine sur sa tête. Je sais, ça à l’air
ridicule mais…
Le commissaire d’un geste lui fit signe
de se taire. Un sentiment de panique montait en lui. Nordraak avait
une complice, la fameuse fille blonde qui avait entraîné Mungaray
hors de la Cantina, pris la place de Sergueï Sokolov sur le
Mir, une serveuse du Surcouf selon Joe Roblin.
Ils avaient vérifié hier sur le Surcouf, aucune serveuse ne
correspondait, c’était une impasse. Jusqu’à présent, même s’ils
avaient exploré jusqu’au bout toutes les pistes possibles, il ne
s’agissait que d’un personnage secondaire dans cette histoire, une
fille que Morten Nordraak avait pu séduire, pas une tueuse…
Paturel empoigna Levasseur :
— Elle était comment cette
fille ? Blonde ?
— Oui, bredouilla le
Réunionnais.
— Plutôt bien foutue ? Surtout
de dos ?
— Oui… Mais…
Le commissaire ne lui laissa pas le
temps de répondre et continua :
— C’était il y a combien de
temps ?
— Bien… Trente minutes
environ.
— Putain !
Le commissaire Paturel se précipita vers
les inspecteurs Stepanu et Cadinot, eux aussi occupés à
déjeuner :
— Ovide, Colette, vous me prenez
autant d’hommes que vous pouvez et vous me fouillez le coin, mètre
par mètre. On recherche deux personnes. Maline Abruzze et une
plongeuse, plutôt bien foutue, qui pourrait porter un bonnet de
laine sur ses cheveux blonds.
Quelques dizaines de policiers allaient
boire froid leur café… Ou ne pas le boire du tout…
Moins d’un quart d’heure plus tard,
l’ensemble de la zone et des alentours avait été passé au peigne
fin.
Rien !
Aucune trace de Maline ou de la fille au
bonnet !
Le commissaire Paturel convoqua sa garde
rapprochée dans un bungalow-bureau qui servait de central
informatique pendant l’opération de La Bouille.
— Colette, demanda avec autorité le
commissaire, c’est toi qui as coordonné le recrutement des
plongeurs ? Combien y avait-il de femmes dans le
groupe ?
Colette Cadinot n’eut pas besoin de
consulter ses fichiers informatiques. Elle connaissait la
réponse :
— On avait cent treize plongeurs,
dont exactement dix-neuf femmes. Si la fille repérée sur le site
était en tenue de plongée, c’est qu’elle avait une accréditation
officielle, sinon elle n’aurait pas pu entrer. Elle est donc
forcément sur ma liste !
L’inspectrice ouvrit un fichier sur
l’ordinateur face à elle et continua :
— J’ai les âges et les adresses de
toutes les plongeuses ! On a fait des recherches sur chacune,
aussi rapidement que l’on a pu en une journée. Mais aucune n’avait
le moindre rapport avec le Surcouf, j’ai vérifié.
— O.K., fit Paturel. Tu n’y es pour
rien. C’était même le but del’opération, l’attirer ici, on peut
penser que l’on a réussi. Maintenant, il faut l’identifier !
Levasseur, pour vous qu’elle âge avait cette
fille ?
Olivier Levasseur essaya de se
concentrer :
— Je dirais la trentaine. Peut-être
moins…
— O.K., fit le commissaire.
Colette, tu m’élimines de ta liste toutes les plongeuses qui ont
moins de vingt ans et plus de quarante. Il t’en reste
combien ?
Colette Cadinot effectua les tris sur
son tableur aussi rapidement qu’elle put :
— On descend à onze, répondit
l’inspectrice.
— Colette, tu m’imprimes cette
liste de onze noms. On boucle la zone et on recense toutes celles
qui sont encore là. Vous me vérifiez les papiers d’identité. La
plupart sont encore au petit-déjeuner, je suppose. Avec de la
chance, la seule qui manquera sera notre fille !
La brutale incursion de la police dans
l’ambiance champêtre et conviviale autour des berges de Seine
provoqua la stupeur. Chaque rare femme, généralement galamment
accompagnée, se retrouva brusquement encerclée par plusieurs agents
de police.
A peine trois minutes plus tard, le
commissaire Paturel avait sa réponse : parmi la liste de onze
plongeuses, sept étaient encore sur place.
Gustave Paturel se pinça les
lèvres.
— Il nous reste quatre noms !
C’est forcément une des quatre ! Vas-y Colette, détaille-nous
la liste.
Colette Cadinot lut les détails qu’elle
possédait :
— Carole Goncalves, 31 ans, 19,
route des Roches à Orival, qui vient du club subaquatique de la
région d’Elbeuf ; Sophie Bouvier, 24ans, 5, boulevard
Clemenceau au Havre, qui vient du club de plongée Paul
Eluard ; Marine Barbey, 35 ans, 12, rue d’Ecosse, de Normandie
plongée ; Virginie Poussart, 25 ans, résidence du Panorama,
Mont-Saint-Aignan, de l’A.S.U.R Université de Rouen.
Le commissaire Paturel regarda sa
montre. Il n’hésita pas une seconde :
— Putain, on n’a pas le
choix ! Si Maline Abruzze est en danger, il faut foncer. On
lui doit bien ça ! On s’occupe d’une fille chacun. Colette tu
te charges de retrouver cette Carole Goncalves, Jérémy, tu prends
Sophie Bouvier, Ovide, tu t’occupes de Virginie Poussart et je me
charge de Marine Barbey. On prend chacun trois agents avec nous.
S’il n’y a personne aux adresses, on entre tout de même et on
fouille ! Levasseur, vous gardez ouvert votre téléphone
portable. Vous êtes le seul à pouvoir identifier avec certitude la
fille, on va avoir besoin de vous.
La peau cuivrée du Réunionnais n’avait
jamais été si blanche.