10. Au son du cor 

 

9 h 15, 15, rue Eau-de-Robec

 

Assise à la terrasse du bar Le son du cor, Maline hésita à commander à nouveau un café. Après le Red Bull et le café chez son rédacteur en chef, elle allait finir par se transformer en pile électrique. Pourtant, lorsque le serveur du bar vint prendre sa commande, elle s’entendit tout de même réclamer, presque malgré elle, un expresso.
Il fallait bien qu’elle tienne le coup.
La rue Eau-de-Robec, sous le soleil du matin, se réveillait. Toutes les générations s’y mélangeaient. Les magasins branchés des maisons à colombages colorés commençaient à ouvrir leurs volets. Quelques enfants s’amusaient avec le courant de la petite rivière canalisée. Sur une table voisine, des clients avaient entamé une partie d’échecs. A deux pas de sa terrasse, le petit terrain de pétanque était déjà lui aussi occupé par les habitués.
Maline laissa le soleil naissant chauffer ses bras et ses jambes, s’abandonnant quelques instants, la tête en arrière, les yeux fermés.
Un pur bonheur.
Le serveur qui lui apportait son café la tira de sa torpeur. Le regard goguenard d’un joueur de boules édenté lui donna l’impression que celui-ci n’avait rien perdu, pendant sa micro-sieste, du spectacle de son début de bronzage. « Vieux coquin », sourit Maline.
Elle devait se rendre ce matin chez cet Olivier Levasseur, à l’hôtel de Bourgtheroulde. Christian Decultot avait su aiguiser sa curiosité. En attendant, elle devait passer quelques coups de téléphone importants. Elle sortit son portable.
Elle étouffa un juron. Son père lui avait déjà laissé un nouveau message. Toujours ces cousins de Bourgogne. C’était du harcèlement ! De rage, elle supprima le message. Elle fit défiler les numéros enregistrés et s’arrêta sur la lettre B.
Sarah Berneval.
Sarah Berneval décrocha après quelques sonneries.
— Sarah ? c’est Maline !
— Maline ? j’étais certaine que tu allais m’appeler !
Maline entendit son interlocutrice s’envoler dans un rire cristallin.
— Attends Maline, bouge pas, je sors pour être tranquille.
 
Sarah était une amie d’enfance de Maline, une copine de collège, une fidèle. Depuis, leurs routes avaient bifurqué. Sarah s’était mariée avec un anesthésiste bien coté sur la place rouennaise, mais sans doute par peur de l’ennui, avait toujours conservé son travail de secrétaire… directement auprès du commissaire divisionnaire de Brisout-de-Barneville. Elle avait vu plusieurs commissaires défiler. Tous s’accordaient à considérer que Sarah était une perle. Serviable, ordonnée, et surtout, compétence suprême, Sarah savait prendre des initiatives ! Y compris certaines initiatives qu’aucun commissaire n’avait jamais soupçonnées, comme aider à la progression de certaines enquêtes en divulguant des informations à des oreilles discrètes qui pouvaient en faire bon usage. A son amie d’enfance par exemple, Maline Abruzze, en qui elle avait toute confiance, souvent bien plus confiance, pour faire avancer les affaires criminelles, qu’en sa hiérarchie débordée au commissariat.
 
— Alors ? demanda Maline. C’est le coup de feu à Brisout ?
— Tu peux le dire ! En plus, le commissaire est dans la merde. Non seulement il a un crime à la con sur le dos, la pression de toute l’administration de la région, mais en plus, il doit s’occuper de ses gosses !
Sarah était une bavarde invétérée. Maline savait qu’elle devait supporter les dernières informations sur les affaires matrimoniales du commissaire Paturel avant d’aborder la question du crime.
— Donc, continua la secrétaire, pour mon Gustave, toute cette affaire tombe très mal. Depuis son divorce, c’est sa femme qui a la garde de ses deux gosses, Léa et Hugo. Sauf que début juillet, elle lui a dit qu’elle se cassait aux Maldives sans les gosses. Lui, il a dit oui pour la garde, il était même plutôt content, il s’attendait à se la couler douce en juillet, genre sorties en Pédalo et barbe à papa sur l’Armada. Il avait tout programmé, prévu de finir tôt pour aller les chercher au centre aéré ! Tu parles, maintenant, il est dans la panade, le pauvre divisionnaire. Il va découvrir ce que c’est que la double peine des working girls !
Elle éclata de rire et reprit :
— Bon je suppose que tout ça, tu t’en fous. T’as tort remarque. Gala se vend beaucoup mieux que Le SeinoMarin. Tu veux tout savoir sur le fameux meurtre du Mexicain, je suppose ? T’as du bol, ma chérie, je suis justement en train de taper les notes de mon commissaire adoré.
 
Quelques minutes plus tard, Maline connaissait tous les détails de l’enquête. Elle savait qu’elle ne pouvait pas s’en servir directement pour un article :elle aurait compromis Sarah et se serait sans doute exposée à des poursuites judiciaires.
Le cumul d’informations toutes aussi surprenantes les unes que les autres avait profondément troublé Maline. Le corps déplacé, les tatouages, la marque au fer rouge, la messagerie sur le téléphone, le SMS en espagnol.
Ce SMS en espagnol, surtout, intriguait Maline.
« Sé que me espera. »
Curieusement.
Maline avait l’impression d’avoir déjà entendu cette phrase. Quelque part… Dans un contexte qui n’avait rien à voir avec une déclaration d’amour. Mais dans l’instant, sa mémoire était trop encombrée. Elle renonça à chercher davantage.
 
Elle se leva en perturbant, d’un regard enjôleur, son admirateur édenté qui était en train de pointer. Tout en s’éloignant, elle était certaine qu’il n’allait pas pouvoir s’empêcher de jeter un œil en coin en direction de sa jupette qui flottait, et qu’il en raterait à coup sûr son tir.
Maline ne put s’empêcher de sourire toute seule.
Direction l’hôtel de Bourgtheroulde !
Les touristes commençaient à envahir les rues de Rouen, les magasins ouvraient, la vie reprenait. Maline attrapa son lecteur MP3 et enfonça les oreillettes. Elle activa le mode random, pour écouter aléatoirement les disques enregistrés, Cali, Léonard Cohen, les Clash, Raphaël…
 
Moins de dix minutes plus tard, elle parvint place de la Pucelle. Elle la traversa sans ralentir et passa sous le porche Renaissance pour entrer dans la cour intérieure de l’hôtel de Bourgtheroulde. Des gravats, des sacs de ciment, quelques échafaudages indiquaient que l’édifice était toujours en travaux. Mais visiblement, le chantier avait été stoppé pendant l’Armada. Maline connaissait ses classiques. Elle admira la célèbre galerie d’Aumale, le fameux bas-relief de la cour intérieure représentant l’entrevue du Camp du Drap d’Or…
Un panneau discret « Association de l’Armada. Relations Presse », indiquait la direction de l’aile nord du bâtiment. Maline gravit les marches, non sans jeter un coup d’œil aux salamandres et phénix gravés sur les façades. Elle monta jusqu’au second étage, admirant encore le charme incomparable du mélange de pierres de taille et de boiseries. Parvenue à l’étage, elle longea la galerie et se retrouva face à une épaisse porte en chêne. Une impeccable plaque de cuivre certifiait qu’elle ne s’était pas égarée : « Association de l’Armada. Relations Presse ». Elle leva un lourd anneau de fer forgé qui servait à cogner sur la porte.
Rien.
Elle recommença l’opération. Malgré l’épaisseur de la porte, cette fois-ci, elle entendit du bruit à l’intérieur.
Des pas pressés. La lourde porte s’ouvrit sur Olivier Levasseur.
Le choc fut soudain. Puis le vertige.
Maline sentit ses sens s’affoler.
Mourir sur Seine
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