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On avait appris à Jonnie que la signature aurait lieu dans l'après-midi.
Lord Dom et Dries Gloton se présentèrent dans la salle des opérations. Dries semblait particulièrement heureux.
- J'ai entendu dire que le représentant de la Terre est arrivé cette nuit. Assurez-vous qu'il soit bien présent à cette signature.
Jonnie consulta sa montre. On était au milieu de la matinée. Il gagna la chambre où le vieux chef de guerre et Dunneldeen avaient été installés.
Dunneldeen était levé et habillé. Il paraissait en forme. Sir Robert avait enfin ouvert les yeux, mais semblait encore quelque peu groggy. Jonnie entraîna Dunneldeen vers la salle des opérations.
- Je veux que tu prennes mon poste, dit Jonnie. Je resterai jusqu'à la signature mais, ensuite, je partirai à la recherche de Stormalong.
Il consacra quelques minutes à mettre Dunneldeen au courant, puis retourna auprès de Sir Robert.
Le vieil Écossais était aussi aimable qu'un ours. II était assis sur le bord du lit et mangeait ce que Chong-won venait de lui servir.
- Une signature ! grommela-t-il entre deux bouchées. Quelle perte de temps ! Ils ne respectent jamais aucun traité. C'est une belle planète et ils la veulent ! Ma place est à Edinburgh, pour aider à dégager tous ces pauvres gars ! Tu avais raison, MacTyler : ils auraient tous été mieux en Cornouailles !
Jonnie le laissa finir son repas, puis, profitant de ce qu'il prenait son thé, il se mit en quête d'un projecteur atmosphérique. Sans tenir compte des marmonnements courroucés de Sir Robert sur le fait qu'il ne servait à rien ici, il lui fit un exposé détaillé des derniers événements et lui parla des solutions qui s'offraient à eux. Puis il se tut et attendit.
-- Je ne suis pas un diplomate ! rétorqua Sir Robert. Je l'ai déjà prouvé ! Et je ne suis pas non plus un avocat ou un banquier ! Mais ton plan a une chance d'aboutir et je ferai ce que tu as dit.
C'était tout ce que voulait Jonnie.
Au milieu de l'après-midi, ils se rendirent jusqu'à la salle de conférence. Sir Robert était en uniforme et Jonnie avait mis sa tunique noire et coiffé son casque. Personne ne leur prêta grande attention.
Les émissaires avaient rédigé le traité dont Jonnie avait entendu la lecture. C'était un gros parchemin qui avait été déroulé sur une table afin que chacun des émissaires pût aller le signer, apposer son sceau (lequel était aussitôt contresigné et certifié par la banque), puis regagner sa place.
C'était comme une sorte de parade. Dries Gloton et le Fowljopan étaient les seuls à demeurer à la table.
Sir Robert continuait de fulminer à propos de « cette perte de temps », mais à voix basse et uniquement à l'adresse de Jonnie. Les signatures se succédaient, lentement, interminablement. Cela dura ainsi près d'une heure.
La Terre était la dernière à apposer sa signature. Sir Robert se leva, inscrivit son nom sur le document, puis prit une allumette, fit fondre un peu de cire et y pressa fortement le sceau de son anneau. Dries apposa la signature bancaire et prit le document.
- J'atteste, annonça-t-il à l'assemblée, que la Banque Galactique certifie l'authenticité du Traité de Kariba, Planète Terre. Il est conclu et signé par tous. Puis-je suggérer que des copies soient sur l'instant transmises à tous les vaisseaux concernés ?
Il déroula le traité, sortit un petit picto-enregistreur de sa poche et le promena sur le parchemin.
Jonnie remit le picto-enregistreur à Dunneldeen pour qu'il aille faire des copies pour la Terre, pour les délégués et pour la banque.
Le représentant des Hawvins se leva.
- On m'a informé que tous les prisonniers ont été débarqués au lieu prescrit et que la décharge a été dûment signée par le représentant de la Terre.
Dries regarda Jonnie. C'était Thor qui avait annoncé la nouvelle au milieu de la matinée. Il y avait sept pilotes, deux soldats russes, deux Sherpas et un Écossais. Treize hommes en tout. Ils étaient tous en assez bonne condition physique. Mais, étant donné qu'aucun des vaisseaux de la flotte ne possédait d'aliments humains, tous souffraient d'une faim atroce et il était certain qu'ils n'auraient pas survécu à un long voyage dans l'espace. On les avait évacués rapidement sur Aberdeen où ils avaient été alimentés par intraveineuse avant que l'on soigne leurs blessures légères. Thor s'était querellé avec l'officier hawvin qui dirigeait le débarquement car l'un des pilotes se souvenait d'un camarade qui avait été fait prisonnier par les Tolneps et qui n'était pas du nombre. Thor avait fait évacuer le premier groupe et attendu patiemment. Il était bientôt apparu que, oui, les Tolneps détenaient un autre pilote, un Allemand. Il était arrivé deux heures plus tard et on avait juré à Thor que c'était tout, qu'il n'y avait plus personne, et il les avait crus.
- Notre officier confirme que tous les prisonniers ont bien été restitués, dit Jonnie.
Les émissaires qui avaient des vaisseaux en orbite transmirent alors leurs ordres à leurs officiers respectifs.
Ils attendirent. Puis Dunneldeen arriva et annonça que les observateurs de Russie avaient rapporté que toute la flotte en orbite avait regagné l'espace et s'était placée en formation autour des vaisseaux tolneps avant de s'éloigner. Les vaisseaux avaient paru devenir énormes un instant, puis s'étaient évanouis. Le contact radio était rompu.
Tous les membres de l'assemblée se portèrent alors à l'extérieur et Angus téléporta Schleim, nu et enchaîné, sifflant et crachant, vers le marché aux esclaves de Creeth (*). Ensuite, les émissaires regagnèrent la salle de conférence.
(*) Ce traité eut des répercussions bizarres. Lord Schleim, de retour sur Tolnep, se servit des propriétaires du journal de Creeth, le principal organe de Tolnep, Le Croc de Minuit, qui étaient furieux
Sir Robert pensait que tout était terminé. Il était assis au premier rang et grommelait.
Dries Gloton souriait. Il s'approcha de lui et sortit un épais document de sa poche.
- Mes seigneurs, déclara-t-il à l'assemblée, vous êtes témoins qu'il n'y a plus de litige quant au titre de propriété de la Terre. Le gouvernement de cette planète est indemne. Le roi se rétablit. Et le représentant de la Terre ici présent est dûment mandaté afin d'agir pour le compte du gouvernement.
Il prit un air triomphant et s'écria :
- Ainsi donc, le titre de propriété de cette planète est légitime ! Émissaire de la Terre ! Je vous remets officiellement une notification de délit et de contrainte de paiement ! Si, après discussion, et ce dans un délai maximum d'une semaine, l'hypothèque demeure impayée, il s'ensuivra la saisie et mise en vente de cette planète, de tous ses biens ainsi que de ses habitants !
Il laissa tomber le document sur les genoux de Sir Robert.
- Considérez-vous comme légalement notifiés !
Sir Robert fixait le papier, immobile.
Dries Gloton adressa un sourire de requin à Jonnie.
- Je vous remercie de l'avoir conduit ici afin qu'il reçoive légalement ce document. Voyez-vous, je suis non seulement directeur de la succursale dont dépend cette planète, mais également responsable du service des contentieux.
Il alla prendre sur un fauteuil une grosse pile de brochures, retourna sur la plate-forme et s'adressa à nouveau aux émissaires.
- Très honorés seigneurs, le premier objectif de cette conférence, à savoir établir la légitimité du titre de propriété de cette planète, a été atteint. Cependant, je n'ignore pas que chacun d'entre vous a toute autorité pour acquérir des territoires pour son état. Il existe d'autres moyens que la guerre.
Les émissaires haussèrent les épaules. La guerre, dit l'un d'eux, était la méthode la plus sûre. La santé mentale du peuple en dépendait, commenta un autre. Comment un état pouvait-il prouver sa puissance sans la guerre ? demanda Browl. Et Dom railla : Comment la Banque Galactique pourrait-elle survivre sans prêts militaires ? Les grands, lança un autre émissaire, ne pouvaient espérer acquérir la célébrité que par la guerre. Ils étaient tous d'humeur particulièrement joviale.
Jonnie écoutait tout cela avec un sentiment d'horreur. Il était témoin de la froide cruauté dont pouvaient faire preuve les grosses machines gouvernementales. de la disparition de leur meilleur reporter, Arsebogger, pour mener une campagne de dénigrement contre le Capitaine Rogodeter Snowl et le rendre responsable de tout le désastre. Schleim prétendit que c'était le « faux témoignage » de Snowl qui avait provoqué la disgrâce de Schleim et de Tolnep. Rogodeter Snowl fut jeté dans les rues de Creeth et mordu à mort par la foule. L'un de ses proches, Agitor Snowl, accusa alors Lord Schleim d'être à l'origine de la campagne de dénigrement et de ce meurtre. Avec un groupe d'officiers de la flotte, il attendit que Lord Schleim se présente devant le gouvernement et fit sauter Schleim et la Maison du Pillage. Plus tard, on devait appeler cet incident «Le grand complot contre Schleim ». Peu après, Tolnep devint incapable d'honorer ses échéances puisque sa flotte avait était consignée au sol par le traité et qu'elle ne pouvait donc poursuivre le commerce des esclaves qui formait la base de son économie. Le trésor public, qui avait toujours été corrompu, tomba au-dessous de son quota habituel de pots-de-vin versés aux hauts fonctionnaires et saisit un par un les citoyens de Tolnep pour retard d'impôt, leur fit arracher les crocs et les stérilisa avant de les vendre comme esclaves. Finalement, les Hawvins achetèrent la planète, exterminèrent les Tolneps qui restaient et la race s'éteignit.
(Extrait des Registres du Service de la Clientèle, Banque Galactique, Vol. 43562789 A.)
- Poursuivez, Votre Excellence, dit enfin le Fowljopan. Nous savons tous ce que vous allez nous dire.
Dries sourit et commença à distribuer les brochures.
- Voici quelques catalogues que j'ai fait établir tout en attendant l'établissement du titre. Vous y trouverez tous les détails concernant la masse planétaire, la surface, les climats, les mers et les océans, la hauteur des montagnes, ainsi que quelques vues sélectionnées. C'est une très jolie planète, en vérité. Elle peut abriter plusieurs milliards d'habitants, à condition qu'ils puissent respirer son atmosphère, l'air. Mais la plupart d'entre vous ont des colonies dont l'atmosphère est de ce type et qui sont déjà surpeuplées.
Il finit de distribuer les brochures et les seigneurs commencèrent à feuilleter les pages illustrées en couleurs.
- Vous avez des garants et même, pour certains, de la liquidité. Comme vous le savez, une force mercenaire minimale suffirait à occuper cette planète. Ses défenses sont archaïques et sa population trop réduite pour résister à une invasion. Le transfert du titre de propriété inclurait tous les biens et l'ensemble de la population. Donc, au cas où vous auriez envie de prolonger votre séjour sur ce monde, sachez que dans sept jours, la banque exercera la saisie de cette planète et la vendra aux enchères si des arrangements ou des paiements ne sont pas intervenus, ce qui est peu probable car ils ne possèdent ni argent, ni crédit, ni garants. Merci, mes seigneurs.
Ils bavardaient tous en commentant la brochure et semblaient d'humeur folâtre. Il était évident qu'ils avaient l'intention d'attendre, y compris ceux qui venaient d'univers très lointains.
Jonnie s'adressa à Dries Gloton
- Ainsi, ce n'était qu'une question d'argent !
Dries sourit.
- Nous n'avons pas l'ombre d'un sentiment d'hostilité envers vous. Les affaires sont les affaires et la banque est la banque. On doit honorer ses obligations. Un enfant sait cela.
Il se tourna vers Sir Robert :
- Veuillez organiser une rencontre pour que nous puissions passer aux négociations dès que possible et en finir avec tout cela.
Jonnie et Sir Robert prirent congé.