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L'astronef Aknar II était en orbite à 650 kilomètres au-dessus de la Terre. Le petit homme gris était assis dans un petit bureau gris, à bord du vaisseau. Il observait de petits instruments gris.

Il avait partiellement achevé une analyse critique, mais il n'en était pas le moins du monde satisfait.

Il y avait un flacon de pilules sur son bureau, des pilules pour la digestion. Son travail avait ses inconvénients. Le fait de boire toutes les boissons qu'on lui offrait, y compris le thé aux herbes, avait perturbé son estomac.

Le petit homme gris était profondément troublé. Les problèmes qu'il affrontait à son niveau n'étaient jamais faciles à résoudre et ils exigeaient des jugements pondérés. Durant sa longue vie, il avait affronté de nombreuses situations, dont une grande part avait comporté des éléments menaçants et dangereux. Mais jamais - il effectua un calcul rapide sur le calculateur à tambour - durant ces trois cent treize mille dernières années, lui ou ses prédécesseurs n'avaient été confronté à un potentiel aussi catastrophique.

Il soupira et avala une autre pilule. Ce dernier lot d'informations transmis par son secrétaire particulier contenait des éléments qui défiaient les dissections et assemblages mathématiques les plus habiles. Il y avait, dans tout cela, des facteurs explosifs qui pouvaient déchaîner le désastre.

Pour commencer, un orage avait gravement interféré avec la clarté de la première transmission. Un émetteur audio-visio à infra rayon, pour aussi précise que fût la visée, n'était après tout qu'un appareil électronique soumis aux interférences. Et il s'en était produit une. Le petit homme gris ne se considérait pas comme un technicien, et ce n'était pas son rôle. Mais les techniciens qui étaient à bord du vaisseau n'avaient pas réussi eux non plus à rendre la transmission plus claire. Et, pour ajouter à ses ennuis, il y avait ce délai qui retardait toutes les communications avec les labos compétents. Il se trouvait à deux mois et demi de voyage de toute assistance technique.

Avec des gestes las, et pour la septième fois, il repassa le premier enregistrement au moyen de la machine de lecture.

Il vit à nouveau le camp, la vieille mine principale des Psychlos sur la planète. Derrière des rochers, il y avait quelques hommes armés qui se tenaient cachés. Le véhicule arrivait, et le premier homme en descendait et se dirigeait vers le camp. Puis trois autres hommes descendaient ensuite, deux d'entre eux tenant des armes braquées sur le troisième.

Il avait déjà essayé plusieurs fois d'améliorer l'image de ce troisième homme, mais l'interférence provoquée par les éclairs d'orage était trop forte. Une fois encore, il sortit un des billets de « un crédit » qu'il était parvenu à se procurer et examina l'image. Mais il ne pouvait être certain que c'était bien le même homme. Et il était inutile d'appeler un technicien comme il l'avait déjà fait.

L'image revint un instant après, grâce au décodage optique. Le deuxième véhicule arrivait. Un camion. Un petit personnage en descendait d'un bond, brandissant une espèce d'arme. Il courait en avant comme pour attaquer. Mais cela ne ressemblait pas vraiment à une attaque. L'homme derrière le rocher avait dû croire que c'en était une. Puis suivait la fusillade...

Il suivit la bataille. Oui, ce devait être le même homme que sur le billet. La transmission était d'une parfaite médiocrité ! Alors que tout était tellement clair, d'ordinaire.

Ensuite, la voiture que suivaient les chevaux, l'homme montant sur la voiture, s'adressant à la foule en portant le petit corps...

C'était ici, précisément, que l'image aurait dû être claire !

Quant au son, il était tellement interrompu par les éclairs qu'il ne percevait que des bribes. L'image montrait des armes que l'on brandissait. Mais sans en user. L'homme debout sur le véhicule plaidait-il pour qu'il n'y ait pas de guerre ?...

Mais qui donc avait été ce petit personnage pour provoquer tout cela? Le prince d'un souverain régnant ?

Heureusement, la transmission en infra rayons qui était parvenue de l'île-pays était de meilleure qualité et le son net et clair. On promettait une guerre ! Mais pourquoi ? Et contre qui ?

C'était le même homme. Le vaisseau avec lequel il était venu avait été suivi avec précision tandis qu'il contournait le pôle de la planète.

Mais, cependant, on ne pouvait avoir l'absolue certitude que c'était l'homme qui figurait sur le billet. La clarté du feu se situait tout en bas du spectre des infra rayons.

Le petit homme gris soupira de nouveau. Non, il n'était sûr de rien. En tout cas, pas suffisamment pour émettre une analyse critique vitale.

Il s'apprêtait à prendre une autre pilule lorsqu'un voyant se mit à clignoter : on l'appelait depuis la passerelle. Quand un vaisseau était en orbite, il n'y avait pas grand-chose à faire et le signal d'alerte s'allumait rarement. Le petit homme gris appuya sur un bouton, un écran s'alluma et l'image apparut. Puis il regarda à travers le hublot.

Hé oui ! Il s'y était plus ou moins attendu. Un astronef de guerre ! Il était en train de se mettre en orbite à proximité. Sa coque lisse brillait sur le fond noir du ciel. Tous ces vaisseaux de guerre avaient toujours une apparence inutilement menaçante. Voyons... Celui-ci arborait un losange barré. L'emblème des Tolneps. Il s'était demandé quand ils arriveraient.

Il fit tourner rapidement l'indicateur éclairé placé sur son bureau. Tolnep... Croiseurs de combat tolneps... Est-ce que celui-ci avait un pont en forme de losange ?... Oui... Classe 'vulcor... Caractéristiques... Oui ! Elles y étaient : « Jauge officielle : deux mille tonnes. Propulsion solaire. Batterie centrale de 64 canons-éclateurs Maxun... » Toutes ces caractéristiques étaient tellement ennuyeuses ! Elles n'en finissaient pas. Qui pouvait bien s'intéresser au nombre exact de cloisons à l'épreuve des éclateurs ?... « Personnel : cinq cent vingt-quatre marines tolneps, soixante-trois membres d'équipage... (Seigneur ! Est-ce que les employés aux ordinateurs comprendraient un jour quels étaient vrai-

ment les renseignements importants dont on pouvait avoir besoin ?)... sous le commandement d'un semi-capitaine ayant toute autorité autonome concernant les tactiques locales mais aucune autorité pour toute décision stratégique !

C'était ça que cherchait le petit homme gris.

Le communicateur spatial local émit un bourdonnement. Le petit homme gris alluma un visécran et le visage rude d'un Tolnep coiffé d'un petit casque à visière apparut. Il portait l'insigne de semi-capitaine sur son casque et le petit homme gris sut qu'il s'adressait au commandant du vaisseau. Il appuya sur une touche afin que son propre visage fût visible sur l'écran du Tolnep.

- Bon espace à vous, Votre Excellence, dit le Tolnep. Je suis Rogodeter Snowl.

Il s'exprimait en psychlo, un langage presque universel. Il chaussa des lunettes aux verres épais afin de mieux voir le petit homme gris.

- Mes salutations, semi-capitaine, dit le petit homme gris. Pouvons-nous vous être de quelque utilité ?

- Eh bien oui, Votre Excellence. Vous nous obligeriez fort en nous communiquant toute information vitale concernant cette planète.

Le petit homme gris eut un soupir.

- Je crains fort, semi-capitaine, que tout ce dont je pourrais vous faire part n'ait pas encore abouti à une analyse critique. Ce serait incomplet. Nous serions enchantés de pouvoir vous aider, mais nous redoutons de vous donner des conseils erronés.

- Ah... Ma foi, ça ne prendra pas longtemps pour organiser les choses, dit le Tolnep. Le voyage a été long et mon équipage est encore en sommeil profond. Mais ça ne sera pas un problème de débarquer un groupe en quelques heures afin de rassembler des données préliminaires.

Le petit homme gris avait craint d'entendre de telles paroles.

- Loin de moi l'idée, semi-capitaine, de m'opposer à vos projets, mais je pense que ce serait tout à fait inopportun.

- Vraiment ? Mais il suffirait d'un raid éclair pour capturer quelques-uns de ces êtres. Un interrogatoire rondement mené, et nous obtiendrons tout ce que nous désirons savoir.

- Semi-capitaine, il est de mon devoir de vous dire que je ne pense pas que ce serait fructueux. Depuis quelque temps maintenant, je rassemble des informations et je dispose ici de tout ce que vous pourriez trouver par ailleurs. Je puis tout vous transmettre, si vous le désirez.

- J'apprécie cette attention, Votre Excellence. Mais pourquoi ne ferions-nous pas un petit raid éclair ? Je crois détecter chez vous certaines réserves.

- Eh bien, en fait, vous détectez effectivement certaines réserves et cela prouve la sensibilité de votre perception. Il se pourrait qu'il soit important que vous vous teniez à l'écart et que vous attendiez.

- Vous pensez que ce sont eux ? demanda Snowl.

- Mon cher ami, dit le petit homme gris, il y a plus de trois cents planètes suspectes, si je ne m'abuse.

- Trois cent deux, je crois. C'est du moins le dernier chiffre si l'on en croit la rumeur...

- Je ne peux vous affirmer que c'est bien ce monde-ci, dit le petit homme gris, et je ne peux vous fournir de preuves évidentes par comparaison avec d'autres planètes et d'autres systèmes puisque, bien sûr, je ne suis responsable que de ce seul secteur, au même titre que vous. Pourtant, malgré la minceur des preuves, je crois personnellement que ce pourrait être ce monde-ci.

- Oh, je vois ! C'est très prometteur !

- Nous ne sommes nullement en position pour nous prononcer à l'heure qu'il est. Mais il est à craindre qu'en effectuant un raid vous dérangiez ce qui apparaît comme une situation politique particulièrement critique sur ce monde, et ce en notre défaveur.

- Donc, vous nous conseilleriez d'attendre, fit le Tolnep.

- Eh bien, oui. Je vais vous expédier toutes les informations que j'ai pu collecter et je pense que vous parviendrez à la même conclusion.

- Cela rend notre situation très difficile. Pas de raid, pas de butin. Mais, d'un autre côté, il y a cette histoire de stratégie...

- Oui, certes, et nous devons nous abstenir de tout mouvement tactique susceptible de la déséquilibrer...

- Ah! fit le Tolnep, avant d'ajouter : Mais combien de temps croyez-vous que nous devrons attendre ? Des jours, des mois, des années ?

- Des mois, à mon avis.

Le Tolnep émit un soupir. Puis il parut se rasséréner et sourit. Leurs sourires avaient toujours quelque chose d'effrayant, car les crocs des Tolneps étaient venimeux.

- D'accord, Votre Excellence, c'est très courtois de votre part de nous proposer les informations que vous avez rassemblées et je serai très heureux d'en prendre connaissance. A propos, pouvons-nous vous proposer protection et escorte ? J'ai toutes raisons de penser qu'un vaisseau hockner pourrait se présenter et vous savez qu'ils sont redoutables.

- Je vous remercie sincèrement, semi-capitaine, dit le petit homme gris d'un ton las, mais, ainsi que vous le savez, pour notre part, nous n'avons pas le moindre différend avec les Hockners.

- Non, certes non... Vous n'avez besoin d'aucune fourniture ou de quoi que ce soit ?

- Non, merci, pas pour le moment. Plus tard peut-être. Croyez bien que nous apprécions toujours votre courtoisie.

- Nous sommes déjà vos débiteurs, dit le Tolnep en riant. (Et il ajouta avant de couper la communication :) Venez donc prendre le thé quand vous voudrez.

A la seule pensée d'absorber du thé le petit homme gris eut l'estomac tout retourné. Il prit une autre pilule. Tout bien considéré, le problème qu'il avait sur les bras était le plus difficile qu'il eût jamais affronté.

La pilule contre les maux d'estomac était sur le point de faire effet quand il réalisa brusquement que les Bolbods, les Hawvins et bien d'autres encore n'allaient pas tarder à se manifester. Il espérait qu'ils ne se battraient pas. Dans la situation où il se trouvait, il fallait des mois pour expédier les rapports sur sa planète et d'autres mois encore pour recevoir des réponses. Il se sentait vraiment livré à lui-même.

Il regarda à nouveau au-dehors le monstre scintillant de tous ses canons dans la clarté fulgurante du soleil. Les Tolneps étaient des créatures dures. Mais ils n'étaient pas vraiment pires que les Bolbods ou les Hockners.

Il abaissa le regard vers la planète. Était-ce vraiment celle-là ? Si tel était le cas, ce serait un soulagement, en un sens. Mais il n'osait imaginer le déchaînement de violence que cela risquait d'entraîner !

Il soupira profondément.

Terre champ de bataille - 03 - Le secret des psychlos
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