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Bittie MacLeod, portant un fusil-éclateur aussi grand que lui, emboîta le pas à Sir Jonnie quand il pénétra dans le campement des Brigantes.

Sir Jonnie avait tenté par deux fois de le renvoyer, mais le devoir d'un écuyer n'était-il pas de suivre son chevalier avec ses armes en tous lieux de danger ?

Et Bittie devait admettre que cet endroit-ci semblait particulièrement dangereux! Il devait bien y avoir deux mille cinq cents ou trois mille de ces gens autour d'eux, dans cette clairière au cœur de la forêt.

Ils s'étaient posés en bordure de la clairière. Les prisonniers - Seigneur, qu'est-ce qu'ils avaient empuanti l'appareil ! - avaient été groupés dans un coin du grand avion d'attaque, à l'écart de leurs armes et, après l'atterrissage, ils étaient sortis les premiers. Ensuite, Sir Robert avait examiné les lieux et pris des dispositions de défense afin de couvrir une éventuelle retraite, comme tout Chef de Guerre qui se respecte.

Bittie avait profité de l'occasion pour convaincre Sir Jonnie de se changer. Ses vêtements étaient tellement trempés qu'il suffisait de les toucher du doigt pour que l'eau jaillisse. Les Russes n'étaient pas restés inactifs au barrage : en voyant cette pluie incessante, ils avaient taillé des capes dans des toiles de camouflage.

Certes, ça n'avait pas été facile de convaincre Sir Jonnie qu'il fallait prendre quelque nourriture et mettre des vêtements secs. Mais Bittie y était arrivé. Il avait ensuite passé une ceinture à boucle dorée autour de la chemise sèche et ceint les épaules de Sir Jonnie d'une cape maintenue par une broche ornée d'une étoile rouge. Puis il lui avait trouvé un casque avec une étoile blanche ' pour le protéger de la pluie. Tout bien considéré, Sir Jonnie avait une allure très présentable, même sous cette pluie battante.

Sur la clairière où se pressaient tous ces gens, de longs rideaux de pluie se déversaient. Jadis, on avait abattu des arbres en grand nombre avant de les brûler. Des souches noircies apparaissaient de toutes parts. Et les gens piétinaient sans vergogne les jeunes pousses.

Bittie, sous la pluie, regardait alentour. Les créatures qu'il découvrait ne correspondaient à rien de ce qu'il connaissait. Il avait pas mal lu à l'école - il aimait tout particulièrement les romans très anciens - mais jamais encore il n'avait vu un tel spectacle !

Nulle part il ne voyait d'hommes ou de femmes âgés. Il y avait quelques enfants, apparemment en très mauvaise santé : le ventre gonflé, sales, couverts de croûtes. Horribles ! Est-ce qu'il n'y avait vraiment personne pour les nourrir ou les laver ?

Les hommes devant qui ils passaient leur adressaient un salut curieux, un doigt levé. Leurs visages laids n'affichaient que le mépris. Il y avait là toutes les couleurs de peau et tous les mélanges possibles. Et tous ces visages étaient sales. Quant aux vêtements, ils étaient autant de parodies d'uniformes mal seyants.

Tout le monde semblait parler un anglais bizarre, avec un accent épais. En fait, ils semblaient tous s'exprimer avec de la purée de flocons d'avoine dans la bouche. Bittie savait parfaitement qu'il ne parlait pas un anglais très correct, à la différence de Sir Jonnie ou d'universitaires comme Sir Robert. Mais, au moins, lorsqu'il s'exprimait, n'importe qui pouvait le comprendre. Et il s'efforçait de faire des progrès, et d'améliorer aussi l'anglais du colonel Ivan. Mais tous ces gens, autour d'eux, ne semblaient pas se soucier le moins du monde des mots qui sortaient de leurs bouches puantes. Bittie faillit entrer en collision avec Sir Jonnie, qui venait de s'arrêter devant un homme d'âge moyen. Quelle était donc cette langue dans laquelle il parlait à l'homme ?... Ah, oui : le psychlo ! Jonnie venait de poser une question et l'homme hochait la tête tout en désignant l'ouest et en prononçant quelques paroles en psychlo. Bittie comprit immédiatement. Sir Jonnie n'avait interrogé l'homme que pour s'assurer qu'il parlait psychlo. Très habile !

Où se rendaient-ils à présent ? Ah oui. Vers cette grande tente avec une espèce de drapeau en peau de léopard qui flottait en haut d'un mât. Et Bittie comprit qu'ils avaient dû suivre les prisonniers qui se trouvaient encore sous bonne garde et que l'on conduisait probablement chez leur chef.

Tous ces gens étaient répugnants. Ils s'arrêtaient là où ils se trouvaient, en plein milieu du chemin, pour soulager leurs besoins. Affreux ! Et là-bas, un jeune homme venait d'empoigner une fille, l'avait entraînée avec lui sur l'herbe et ils... Oui !... Ils étaient en train de forniquer en public !

Bittie détourna la tête et essaya de purifier ses pensées. Mais son regard rencontra alors le spectacle d'un homme se livrant sur une enfant à des actes inqualifiables.

Il éprouva un début de nausée et se rapprocha de Sir Jonnie, marchant presque sur ses talons. Ces êtres étaient pires que des animaux. Bien pires !

Bittie suivit Sir Jonnie sous la tente. L'endroit empestait ! Il y avait là quelqu'un, assis sur un tronc d'arbre. Un homme affreusement gras et dont la peau avait le jaune de ce que le docteur MacKendrick appelait la malaria. Dans les replis de graisse, des bourrelets de crasse étaient visibles. Le personnage portait un drôle de chapeau qui devait être fait de cuir, avec une pointe sur le devant. Quelque chose était fixé dessus : une broche de femme ? Une pierre ? Ou bien un diamant ?...

Leur prisonnier, Arf, se tenait en face du gros homme. Tout en se frappant la poitrine du poing, Arf faisait son rapport. Quel nom donnait-il au gros homme ? Général Snith ? Mais « Snith » n'était-il pas un nom très répandu parmi les Psychlos ? Ou bien s'agissait-il de « Smith », le nom anglais très répandu, lui aussi ?... Difficile, terriblement difficile à dire avec cet accent épais. Quant au général, il mâchonnait le pilon de quelque gibier et ne paraissait pas particulièrement impressionné.

Il se décida enfin à s'exprimer

- T'as pris les fournitures ? Le soufre

- Et bien_ non, dit Arf avec quelque hésitation, en essayant de s'expliquer à nouveau.

- T'as ramené les macchabées ? interrompit le général.

Les macchabées ? se demanda Bittie. Les macchabées ?... Ah! les morts ! Le « p'taine » Ad parut quelque peu effrayé et recula.

Le général lui lança le pilon de gibier en pleine figure et hurla :

- Qu'est-ce qu'on va manger, alors ?

Manger ? Manger les macchabées ? Les morts ? Leurs propres morts ?... C'est alors que le regard de Bittie se posa sur le « pilon » de gibier qui avait ricoché dans sa direction et qu'il s'aperçut que c'était un bras humain !

Il sortit précipitamment et courut derrière la tente pour rendre le contenu de son estomac.

Mais Sir Jonnie le retrouva l'instant d'après, mit un bras autour de ses épaules et lui essuya la bouche avec un bandana. Il appela un des cosaques pour raccompagner Bittie jusqu'à l'avion, mais Bittie refusa obstinément. La place d'un écuyer était au côté de son chevalier et il se pouvait bien que Jonnie ait besoin d'un éclateur au milieu de tous ces êtres atroces. Bittie continua donc de le suivre.

Sir Jonnie alla inspecter une tente qui était située à la lisière de la forêt et parut très intéressé par ce qu'il y trouva. Bittie risqua un œil à l'intérieur et vit une très vieille machine à instruire semblable à celles avec lesquelles les pilotes apprenaient le psychlo, mais bien plus usée. Pour Jonnie, cela semblait avoir une signification toute particulière.

Qu'est-ce qu'ils cherchaient, à présent ? La pluie tombait toujours, tous ces gens abominables s'agitaient autour d'eux et le fusil-éclateur était de plus en plus lourd. Ah oui ! Les coordinateurs !

Ils les découvrirent dans une autre tente. Deux jeunes Écossais. L'un d'eux n'était-il pas un certain MacCandless, d'Inverness ? Oui, Bittie croyait bien le reconnaître. Ils étaient assis côte à côte, complètement trempés. Leurs bonnets ressemblaient à des serpillières et ils étaient pâles comme la mort.

Sir Jonnie leur demanda comment ils avaient abouti ici et ils lui montrèrent un rouleau de câble : un avion les avait descendus.

Sir Jonnie leur dit alors qu'ils avaient tout intérêt à repartir avec eux, mais ils répondirent que non : ils avaient reçu l'ordre du Conseil de ramener tous ces gens en Amérique. Certes, les avions de transport étaient en retard, mais ils supposaient que le Conseil avait eu du mal à trouver assez de pilotes pour cette mission.

Après de longues palabres à propos de leur devoir et leur sécurité - les arguments des pilotes contre ceux de Sir Jonnie - il parvint enfin à les convaincre de se rendre au moins jusqu'à l'avion pour y recevoir du ravitaillement ainsi que quelques armes.

Ils réussirent à se frayer un passage à travers la foule jusqu'au périmètre de défense gardé par les soldats russes et montèrent à bord de l'avion.

Sir Robert était là. Il fit asseoir les deux coordinateurs écossais dans l'un des immenses sièges psychlos.

- N'étiez-vous pas trois ? demanda-t-il.

- Eh bien, oui, dit MacCandless. Il y avait Allison. Mais il est tombé dans une rivière il y a deux jours et il a été dévoré par une sorte de bête écailleuse...

- Vous avez vu cela de vos yeux ?

En fait, non, dirent-ils, ils n'avaient pas vraiment assisté à la scène. C'était le général qui leur avait raconté ce qui était arrivé. Et puis, il y avait tant de rivières et de fleuves et tant de bêtes à écailles que...

- Allison parlait-il le psychlo ? demanda à son tour Sir Jonnie.

- Il suivait une formation de pilote, répondit MacCandless. La Fédération a parfois besoin de ses propres pilotes. Donc je suppose qu'il parlait psychlo.

- Oui, confirma l'autre coordinateur. Il parlait assez bien le psychlo. On a interrompu sa formation pour cette mission. L'ordre de ramener ces gens est arrivé soudainement du Conseil et comme nous manquions de...

Sir Robert le coupa brusquement :

- Est-ce que vous vous souvenez de l'avoir entendu s'exprimer en psychlo avec ces canailles ?..

Ils réfléchirent un instant, dans la chaleur étouffante et dans le crépitement de la pluie sur la carlingue de l'avion.

- Aïe ! lança enfin MacCandless. Je l'ai entendu parler à l'un des officiers qui s'émerveillaient qu'il connaisse le psychlo. Ils ont bavardé ensemble un bon moment. Mais comme je ne parle pas le...

- C'est tout ce que nous voulions savoir, l'interrompit Sir Robert. Il adressa à Jonnie un regard lourd de sens. Un interrogatoire ! Ils voulaient le soumettre à un interrogatoire !

Bittie vit que Sir Jonnie hochait la tête.

Puis il brandit brusquement quelque chose que Bittie ne lui avait jamais vu. Un tam-o'-shanter souillé de sang. Il le tendit aux deux coordinateurs.

Ils virent les initiales tissées. Oui, il s'agissait bien de celles d'Allison. Mais où donc Sir Robert avait-il trouvé ce bonnet ?

Sir Robert les assaisonna copieusement ! Il leur raconta, et Bittie fut effaré de l'apprendre, que les Brigantes avaient vendu Allison aux Psychlos ! Les Psychlos avaient sans doute voulu l'interroger. Et que Dieu vienne en aide à Allison désormais.

Vendu Allison ? Un être humain ? A ces monstres ? Bittie, pas plus que les deux coordinateurs, ne pouvait se faire à cette idée.

Puis la discussion s'échauffa.

Sir Robert signifia aux deux jeunes Écossais l'ordre de venir avec eux. Ils lui rétorquèrent que leur devoir était d'obéir aux ordres du Conseil : ils devaient rapatrier ces gens ! Sir Robert hurla qu'il était le Chef de Guerre pour toute l'Ecosse et qu'il n'était pas question qu'ils restent ici. Ils tentèrent alors de s'échapper et Sir Jonnie et Sir Robert, en se servant de liens d'emballage que Bittie venait de trouver en hâte, les ligotèrent. Puis ils les posèrent sur la cargaison, tout au fond de l'avion.

Ils se retirèrent de leur périmètre de défense et décollèrent, et Bittie ne fut pas surpris d'entendre l'un des pilotes demander l'autorisation de mitrailler ces créatures. Sir Robert refusa : s'ils faisaient cela, elles iraient simplement se réfugier sous les arbres. De plus, ils n'étaient pas équipés pour ce genre de chose et ils avaient d'autres chats à fouetter. En tout cas, s'ils avaient réellement livré Allison, ils ne perdaient rien pour attendre. Les Ecossais étaient dans tous leurs états.

Durant le vol de retour, Bittie continua de penser aux créatures de la clairière. Il se pencha vers Sir Jonnie et lui demanda :

- Sir Jonnie, comment se fait-il qu'ils soient si sales avec toute cette pluie ?

Terre champ de bataille - 03 - Le secret des psychlos
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