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On pouvait vraiment dire que les stocks de gaz respiratoire et de munitions avaient été pillés jusqu'à la dernière cartouche. L'herbe et les plantes avaient été piétinées pour de nombreuses années. Le dépôt de gaz avait couvert cent mètres carrés, et celui de carburant et de munitions, plus de deux cents. Il ne restait rien.
Angus ouvrit le verrou de la porte principale du camp et les troupes qui venaient de débarquer du transport se ruèrent à l'intérieur au pas de course, chaque homme couvrant celui oui le précédait
L'endroit était vide. Il y avait là quatre niveaux de bureaux, de hangars, d'ateliers. Les pompes fonctionnaient. Toutes les lumières étaient allumées. Le désordre qui régnait révélait un départ hâtif.
Jonnie s'avança dans le couloir, à l'extérieur de l'aire de récréation. Tout était lugubre et moite. La moisissure était partout. L'eau qui s'égouttait des parois était absorbée par les pompes. Même pour un Psychlo, la vie devait être affreuse dans un tel lieu.
Des feuilles couvertes de messages radio étaient tombées en liasses d'une imprimante et Jonnie les parcourut. Le papier était humide. Les Psychlos, apparemment, avaient contrôlé toutes les fréquences, mais plus particulièrement celle réservée aux pilotes. On éprouvait une impression étrange en lisant
Andy, est-ce que tu peux te charger de ces pèlerins de Calcutta ? » ou S'il te plaît, MacAllister, apporte-moi une autre combinaison de vol et du carburant. » Les pilotes écossais s'exprimaient en psychlo mêlé d'anglais. Pour les employés de la Compagnie, tout cela avait dû sembler dément. Ils étaient restés terrés dans cette jungle perdue sans savoir ce qui se passait, mais ils avaient capté le moindre message...
Un Russe se précipita au-devant de Jonnie et lui tendit un masque respiratoire qu'il venait de trouver quelque part. La bouteille était encore en place et il semblait fonctionner. Jonnie en approcha le nez et une bouffée de gaz lui brûla les narines. Voyons, réfléchit-il... Il fallait douze heures à peu près pour épuiser une bonbonne. Et celle-ci était... à moitié vide ? Aux trois quarts ?... la secoua pour voir le niveau du gaz liquide. Il en conclut que les Psychlos étaient partis depuis huit ou neuf heures.
Il suivit le couloir en clopinant, la sueur ruisselant sur tout son corps. En dépit des pompes, l'air restait chaud et humide. Imprégné de l'habituelle puanteur des Psychlos... Pire encore, il s'y mêlait le relent de la moisissure. Tout en progressant, il captait des bribes de son venues des différents niveaux : les hommes poursuivaient leurs recherches. Jonnie avisa un téléphone dont le récepteur était décroché. Il le porta à son oreille et écouta un instant. L'appareil fonctionnait toujours. Il percevait même la rumeur des pompes qui tournaient dans les lointaines galeries de tungstène.
Cette exploitation n'était pas aussi vieille que la plupart des autres. Elle remplaçait sans doute une ancienne exploitation située dans un autre secteur de la jungle et à présent épuisée. Lorsque le nouveau gisement de tungstène avait été découvert, on avait probablement démonté la vieille exploitation pour la reconstruire ici. Les Psychlos étaient particulièrement avides de tungstène.
Dans le bureau du directeur, il vit que les écrans de surveillance étaient allumés. Ils montraient les vastes fours électriques dans lesquels le minerai était fondu. La vapeur fusait des serpentins. Les Psychlos devaient avoir considéré que les troubles qui agitaient la planète n'étaient que temporaires puisqu'ils n'avaient pas arrêté la mine.
Il descendit l'escalier qui accédait au hangar. Les marches psychlos étaient deux fois plus hautes que les marches des escaliers humains et il eut de la peine à les franchir avec sa jambe morte. Mais il allait mieux. Il avait réussi à se servir d'un éclateur, aujourd'hui, Son bras avait manqué de vivacité, mais il y avait une nette amélioration.
Dans le hangar régnait le même désordre que partout ailleurs. Mais il restait encore des véhicules.
Angus s'activait sous l'éclairage éblouissant, un gros crayon à la main, marquant d'une croix les véhicules qu'il jugeait irréparables. Deux petits tanks avaient ainsi été éliminés. Les quelques plates-formes volantes qui se trouvaient là avaient été jugées opérationnelles, de même que la moitié des véhicules à plate-forme.
Sur une porte, un panneau en psychlo annonçait : « Artillerie ». Jonnie entra. Des mortiers-éclateurs ! Avec une pile de munitions, en infraction avec tous les règlements de stockage des munitions. Parfait !
il ressortit et prit Angus par le bras.
- Prends deux de ces gros camions à plate-forme. Je veux une plate-forme volante sur chacun, avec un mortier et des munitions. Qu'on entasse des bâches sur le devant : elles serviront de rempart de protection. Ensuite fais sortir le premier camion et place le deuxième à l'entrée du hangar, mais à l'intérieur.
Il vérifia qu'il y avait assez de carburant.
Il demanda à Sir Robert de lui trouver quatre hommes et un conducteur pour chaque camion et d'envoyer le premier, dès qu'il serait prêt, sur les traces du convoi.
- Quoi ! Un camion ! s'exclama Sir Robert.
- Ils pourront faire décoller la plate-forme à partir du camion et déclencher un tir de barrage avec le mortier. En abattant des arbres, ils pourront bloquer la route. Qu'ils suivent le convoi à distance. Si les Psychlos font demi-tour, qu'ils leur barrent la route.
- Et si ça ne marche pas et que les autres les poursuivent jusqu'ici ?
- L'autre camion, à l'intérieur, pourra faire une sortie afin d'assurer la défense. Mettez-y quatre hommes et un conducteur. Je le prendrai quand nous reviendrons d'une petite visite aux Brigantes !
- Alors, toi aussi tu vas te lancer à la poursuite du convoi ! dit Sir Robert. (Il ajouta d'un ton sarcastique :) Je crois sans le moindre doute que cette opération figurera parmi les mieux préparées et les plus savamment montées de toute l'histoire !
Et il s'éloigna en marmonnant à propos de plates-formes attaquant des tanks...
Un homme arriva en courant :
- Sir Jonnie, je pense que vous devriez descendre au troisième niveau ! Son visage était blafard.
Avec quelque difficulté, Jonnie descendit l'escalier le plus proche. Il n'était pas le moins du monde préparé au spectacle qui l'attendait.
La salle était vaste, et elle avait apparemment été utilisée pour les exercices de tir. Il y avait là plusieurs Russes. Ils examinaient quelque chose sur le sol avec des expressions de dégoût et de mépris plus ou moins accentuées. Le jeune Ecossais qui avait accompagné Jonnie s'était arrêté et tendait le doigt sans un mot.
Au milieu d'un véritable lac de sang coagulé, Jonnie découvrit les restes de ce qui avait probablement été les corps de deux femmes âgées. Mais leur état ne permettait pas d'en être certain. Il y avait des mèches de cheveux gris, des lambeaux de peau brune, mêlés à des fragments de vêtements et des bouts d'ossements, répartis en deux tas distincts. A proximité, des cartouches d'éclateur vides révélaient l'histoire du massacre. Il y avait eu là plusieurs Psychlos. Coup par coup, centimètre par centimètre, en prenant soin de ne pas tuer tout de suite, ils avaient littéralement taillé les deux femmes en pièces.
Il n'était pas difficile d'imaginer quel enfer de hurlements, de détonations et de rires cet endroit avait dû être quelques heures à peine auparavant !...
On avait prévenu le docteur MacKendrick. Celui-ci arriva, évitant de marcher dans l'énorme mare de sang.
- Impossible de savoir quand cela s'est passé, dit-il. Ce qui reste des deux corps est trop froid. Disons quatre heures, d'après la coagulation. Quant aux victimes... Elles devaient avoir entre quarante et cinquante ans... Usées par le travail... Elles ont été découpées centimètre par centimètre ! (il se redressa et se tourna vers Jonnie :) Pourquoi les Psychlos font-ils ça ?
- Par plaisir. Ils trouvent cela délicieux. La souffrance, l'agonie... C'est à peu près le seul moment où ils éprouvent de la joie...
Les traits du docteur se raidirent.
- Je crois que j'aurai moins de mal à autopsier des Psychlos!
L'un des Russes déplaçait un objet à l'aide d'un bâton qu'il avait trouvé. - Attends ! lança Jonnie.
Il fit le tour de la mare de sang et ramassa ce que le Russe avait découvert. Robert le Renard venait de surgir dans la salle et s'était figé sur place, paralysé par l'horreur.
Ce que tenait Jonnie était un tam-o'-shanter, un bonnet écossais !
Un tam-o'-shanter relativement neuf. Du genre que portaient les coordinateurs.