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Le petit homme gris avait suivi le gros de la flottille jusqu'au secteur de Singapour. Il avait donné pour instruction à son commandant de bord de ne pas se mettre sur le chemin des bâtiments militaires qui avaient tendance à prendre des risques et étaient enclins aux accidents, pour ne rien dire des projectiles perdus. Ils arrivèrent donc sur les lieux un peu plus tard, alors que la bataille était déjà engagée.
La mine n'était certainement pas difficile à localiser : c'était un cône scintillant de tirs antiaériens, les canons crachant sans cesse des arcs de feu qui convergeaient sur leurs cibles. Elle était située assez loin au nord de l'ancienne ville en ruine et, très exactement au nord de la mine, se dressait un barrage hydro-électrique. La canonnade était aussi intense qu'incessante et perturbait les infra rayons du petit homme gris, lui interdisant. pour le moment un examen plus précis de ce qui se passait là en bas.
Il ne se considérait guère comme un spécialiste des affaires militaires. Et il était souvent obligé de chercher dans un ouvrage de référence certaines armes qu'un militaire aurait reconnues immédiatement. Il était si difficile d'identifier ces armes antiaériennes, là en bas, et l'idéal aurait été de pouvoir se stabiliser à une altitude qui lui permettrait d'observer en toute sécurité. Il trouva enfin ce qu'il cherchait dans son livre : « Périmètre de défense rapprochée, système de contre-attaque par ordinateur et canon à faisceau anti bombes extra/intra-atmosphérique. Capacité de tir : 15 000 coups par minute. Portée maximale : 55 000 mètres. Limite minimale de sécurité 600 mètres. Personnel: deux. Canons et boucliers fabriqués par les Armureries Tambert, Predicham. Ordinateurs de l'Armement Intergalactique, Psychlo. Coût total : 4 269 crédits sur plate-forme Predicham. »
Tss, tss, quelle camelote ! C'était bien de l'Intergalactique Minière ! « Les bénéfices avant tout ! Toujours les bénéfices ! » Pas étonnant qu'ils aient des ennuis là en bue! On aurait pu penser qu'ils disposaient au moins d'un canon orbital.
Donc, il pouvait tranquillement rester à trois cents kilomètres d'altitude, à condition de demeurer à l'écart de la trajectoire des appareils largués par les vaisseaux de combat qui orbitaient hors de l'atmosphère, à cinq cent cinquante kilomètres d'altitude. Le petit homme gris dit cela à son commandant de bord, avant de demander à son communicateur de régler avec la plus grande précision son faisceau de rayons sur ce qui semblait bien être une plate-forme de tir de transfert placée sous un câble de blindage atmosphérique.
Il repéra la chose immédiatement et un élan d'espoir monta en lui. C'était bien une console ! Une console de transfert, là, près de la plate-forme ! Il y avait même des hommes qui semblaient s'activer dessus.
Il scruta intensément les écrans, en quête d'un signal de téléportation. Il resta ainsi durant un long moment. Mais il n'y en avait aucun. Il se demanda pourquoi les militaires des vaisseaux de guerre n'avaient pas remarqué le signal, la veille. Peut-être ne savaient-ils même pas que ce signal révélateur existait. Ou bien ils avaient des écrans différents. Mais il était plus probable qu'ils n'avaient jamais observé ce signal parce qu'ils étaient toujours en train de faire feu sur quelque chose et qu'on ne pouvait pas effectuer de tir si...
Le petit homme gris poussa un soupir. Il n'était pas détective, et la preuve qui était là, sous ses yeux, était passée inaperçue. Ces hommes, en bas, n'étaient pas près d'utiliser le dispositif de transfert. Ils avaient même des avions dans le ciel. Et l'on tirait de tous côtés. Deux raisons qui interdisaient toute téléportation. Sous l'effet des distorsions, le système de transfert tout entier pouvait être réduit en miettes.
Les militaires, à présent, accordaient toute leur attention au barrage hydroélectrique du lac et essayaient de le bombarder afin de couper la mine de sa source d'énergie. Ce qui laissa un peu de répit à la mine elle-même, et le petit homme gris put ainsi se concentrer sur cette console.
Il examina le tracé de l'analyse minérale qu'il avait faite.
Du carbone !
Cela réglait le problème. Cette chose, là en bas, était une console brûlée. Quelle déception !
Il se désintéressa de la plate-forme pour un temps et observa les événements. Les forces combinées n'avaient guère eu de réussite avec le barrage à cause du câble atmosphérique qui le protégeait et elles se concentraient maintenant sur les appareils de défense. Un combat acharné se déroulait et le petit homme gris vit deux avions de combat jambitchows exploser en miettes.
Il fit prendre de l'altitude à son bâtiment. En direction du sud, les bombardiers de la force combinée avaient commencé à larguer des bombes sur les ruines désertes de Singapour.
Un incendie se développa. Puis un autre. Il s'interrogea sur l'intelligence de ces militaires qui étaient capables de bombarder une ville déserte et sans intérêt stratégique mais qui pouvait receler quelque butin. C'était toujours la même histoire...
Son indigestion était revenue. Oui, ils vivaient vraiment une époque très troublée. Et il ne semblait pas y avoir le moindre espoir.
Il savait qu'il existait une base sur le continent nord que les hommes avaient autrefois appelée Russie » et il donna l'ordre à son commandant de mettre le cap dessus.
L'un des vaisseaux de la force d'attaque larguait des avions au-dessus de cette base. Des transporteurs de personnel. Sous les yeux du petit homme gris, une unité de débarquement d'environ cinq cents marines hawvins se déploya dans la plaine, non loin de la base. Protégés par des boucliers antifeu, ils commencèrent à progresser. Il semblait presque que la base n'était pas défendue. En tout cas, aucun tir ne ripostait à celui des Hawvins. Peu à peu, ils se rapprochaient de la base, tout en tirant de temps à autre. Puis la force d'attaque entreprit de gravir la pente d'une colline en direction de ce qui devait être un point de défense souterrain. Elle n'en était plus qu'à une centaine de mètres, et avait ouvert un feu nourri.
Brusquement, le sol entra en éruption sous les pas des marines.
Des mines ! Le terrain tout entier s'embrasa.
Des éclairs ardents jaillirent de la colline. L'unité d'attaque se replia hâtivement au-delà du village. Les officiers criaient pour regrouper leurs éléments. Ils avaient laissé derrière eux une centaine de morts et de blessés.
Tout ce beau monde se regroupa et repartit en direction de la base.
Des avions jaillirent des hangars souterrains et mitraillèrent les marines.
Le petit homme gris n'avait toujours observé aucune trace de signal sur ces écrans. Mais il n'avait pas eu vraiment d'espoir, pas avec tous ces tirs.
Il demanda à son commandant de passer au-dessus de la base américaine à une altitude de six cents kilomètres. Elle n'était pas très éloignée de la mine russe.
Cela prit quelque temps et le petit homme gris en profita pour sommeiller un peu. Il fut réveillé par un bourdonneur et activa ses écrans.
Loin en bas, les ruines de la mine étaient totalement désertes. Les camions et les pompes abandonnés près de la rivière étaient toujours là. Quel spectacle de désolation! Et le dôme qui avait recouvert une console était encore là, attaché au grappin d'une grue renversée.
Au nord, la ville brûlait encore.
Le traceur à minéraux indiquait que tout le secteur était totalement irradié.
Le petit homme gris donna l'ordre à son commandant de faire route vers l'Écosse. Il avait dans l'idée de s'arrêter pour voir si la vieille femme était revenue. Mais, lorsque l'Écosse fut en vue, les senseurs détectèrent de la chaleur et il eut bientôt l'image claire et nette d'un bâtiment de guerre drawkin. Il consulta
ses cartes. Elles n'étaient pas très bonnes car elles venaient de livres scolaires, mais il identifia facilement la ville. C'était « Edinburgh ». Et elle était en flammes.
Sa radio crachota et le communicateur la régla. Il y eut un véritable torrent de sons ! Il reconnut d'abord le langage drawkin. Les Drawkins contrôlaient vingt planètes, mais le petit homme gris était incapable de comprendre leur langue. Elle se parlait sur un ton hystérique. Il aurait pu utiliser un vocodeur, car il disposait des circuits adéquats quelque part, mais ce ne devait être que des ordres adressés aux pilotes qui opéraient là en bas. Quant à l'autre langue qui sortait de sa radio, il l'avait fréquemment entendue dernièrement. Elle était douce, méditative. Il s'était servi d'une table de décodage à fréquence pour tenter de la comprendre, mais elle semblait défier toute tentative.
Mais il n'avait pas besoin de comprendre la moindre langue pour le moment. Les faits parlaient d'eux-mêmes : un combat aérien de grande envergure se déroulait en cet instant précis.
Il regarda par le hublot. La ville était surplombée par un grand promontoire. Des tirs de barrage antiaériens en jaillissaient. En dessous, la ville était en feu. Le rocher se dressait au centre d'une mer de flammes.
Un bombardier drawkin explosa en plein ciel et tomba vers la cité embrasée, ses débris ardents se mêlant aux flammes orange.
Pas question de téléportation ici. C'était sûr et certain.
Le petit homme gris se sentait très déprimé, très triste. Il s'interrogea à son propos. Est-ce que tous les soucis de l'année écoulée ne l'avaient pas rendu émotif? Non ! Impossible ! Pourtant, la disparition de la vieille femme, au nord de l'Ecosse, avait éveillé en lui un sentiment. Et à l'idée qu'elle pût être dans cet incendie, il éprouvait quelque anxiété.
Tout cela ne lui ressemblait guère. Ce n'était pas digne d'un professionnel comme lui.
Il se dit qu'il devrait plutôt faire une petite sieste pour se réveiller avec des pensées plus claires et l'esprit moins embrumé, moins flou. Oui, cette année avait été affreuse. il gagna sa cabine et s'étendit. Et il lui sembla qu'un instant à peine s'était écoulé lorsqu'il s'éveilla, avec l'image claire et précise de ce qui s'était passé.
Il se rappelait ce ballet auquel s'étaient livrés les avions terrestres. Quel imbécile il avait été ! Bien sûr, il n'avait rien d'un stratège militaire, mais il aurait dû comprendre depuis longtemps. Ce groupe qui s'était dirigé à haute altitude en direction de Singapour, c'était le leurre ! La console brûlée n'était qu'un appât.
Il se rendit dans son petit bureau gris et repassa lentement l'enregistrement du « ballet d'avions ». Il détermina avec précision la trajectoire du groupe qui importait vraiment. Oui, ils s'étaient dirigés vers cette pagode, dans l'hémisphère sud de la planète.
Il donna des ordres au commandant et ils s'éloignèrent à grande vitesse, à deux fois la vitesse de la lumière.
Ils arrivèrent juste à temps pour assister à la fin du Capture.
Le petit homme gris fut stupéfait.
Il n'était pas certain de comprendre comment cela avait pu se produire. Un vaisseau-amiral porte-avions de classe Terreur ? Il avait explosé en orbite ?
Il prévint l'officier de passerelle de maintenir le vaisseau à bonne distance tout en observant le gigantesque vaisseau qui se désintégrait en pénétrant dans l'atmosphère avant de s'abattre dans le lac de retenue du barrage. Il prolongea son observation afin de voir si le barrage allait céder. Il était possible qu'il fût touché, décida-t-il, mais il semblait devoir tenir pour le moment. Une énorme voie d'eau avait été ouverte et le flot grossissant déferlait dans le lit du fleuve en aval.
Il cadra les écrans sur le barrage lui-même. Oui, effectivement, l'ouvrage avait été endommagé. Une quantité d'eau importante passait du côté gauche inférieur, pour la plus grande part sous la structure. La brèche était de taille, à en juger par ce qu'il voyait.
Le combat avait été violent. Les bois étaient en feu. Il vit un groupe d'avions de combat du Capture qui grimpaient au-dessus de l'horizon à toute vitesse dans l'espoir d'être récupérés par quelque vaisseau tolnep dans le secteur de Singapour. Au moment de la destruction du Capture, ils avaient dû se trouver à l'extérieur. Ils ne réussiraient sans doute pas à s'en tirer, se dit le petit homme gris. Leur rayon d'action était trop court et ils termineraient dans la mer.
Mais mieux valait concentrer toute son attention sur cette pagode. A présent, il n'y avait plus le moindre avion alentour. Ses infra rayons ne captaient que de la musique religieuse qui noyait tout autre son.
A distance prudente, il continua d'observer sans interruption ses écrans et il n'eut pas longtemps à attendre.
Un signal de téléportation !
Oui, oui, oui ! Il repassa l'enregistrement.
L'espoir reflua en lui.
Et puis, il se dit que c'était trop beau pour être vrai. Les consoles qu'on avait réussi à capturer au cours des âges ne marchaient qu'une fois et une seule. Ensuite, c'était terminé. Elles étaient mortes. Il lui sembla attendre des éternités.
Le signal se répéta.
La console avait tiré deux fois. Deux fois !
Une vague de joie déferla en lui. Mais il trouva cependant un instant pour s'interroger sur lui-même. Du sentiment ? De l'anxiété ? Et maintenant de la joie ? Ce n'était vraiment pas digne d'un professionnel ! Il ne devait se consacrer qu'à une chose : le travail urgent qui l'attendait.
Comment communiquer avec eux ?
Sur la fréquence radio, il ne recevait que ce discours aux accents religieux. Quelle langue parlaient-ils donc là-bas ?
Il empoigna un vocodeur. Il le mit devant un micro. Mais quel langage choisir? Il en avait plusieurs dans la banque du vocodeur. L'un, le « français », était absolument mort. Et cet autre appelé l'« allemand » ?... Non, jamais il ne l'avait entendu sur leurs fréquences. L'« anglais »... Il commencerait avec l'anglais.
Il parla dans le vocodeur et l'appareil traduisit :
- Je sollicite un sauf-conduit. Mon vaisseau ne dispose d'aucun armement. Vous pouvez braquer vos armes sur lui ou sur moi. Je n'ai pas d'intention hostile. Si vous m'accordiez cette entrevue, cela pourrait fort bien s'avérer bénéfique pour chacun de nous.
Le petit homme gris répéta le message et attendit. Il osait à peine respirer. Tant de choses dépendaient de la réponse qu'il allait recevoir.