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Il la portait dans ses bras. Parfois, elle ouvrait les yeux. Parfois, leurs regards se croisaient.
Mais celui de la jeune femme restait vide.
Gabriel quitta la forêt, aperçut le hameau au loin. À bout de forces, il reprit son souffle de longues secondes. Mais il fallait faire vite, alors il repartit.
Après une demi-heure d’efforts, Gabriel arriva chez lui. Il déposa la jeune femme devant la cheminée et alluma le feu. Elle était en hypothermie.
Tandis qu’il soufflait sur les braises, il secoua la tête.
Non, il ne devait pas la réchauffer.
Plutôt la laisser crever.
Pourquoi n’y arrivait-il pas ? Pourquoi s’acharnait-il à repousser l’inéluctable ?
Il grelottait, claquait des dents tandis qu’elle s’endormait doucement. À la va-vite, il se changea, puis s’occupa d’elle. Il lui ôta ses vêtements mouillés, posa une compresse sur sa plaie et l’enroula dans une couverture. Ils étaient à un mètre des flammes, Gabriel sentit le sang circuler à nouveau dans ses veines. Il serrait toujours la jeune femme dans ses bras.
— Allez, reviens ! implora-t-il.
Alors qu’il aurait dû lui ordonner de lâcher prise.
Peut-être qu’il était en train de perdre la raison.
Non, il y a longtemps que sa raison vacillait. Longtemps qu’il était devenu fou.
— Lana, aide-moi, murmura-t-il. Aide-moi s’il te plaît…
Gabriel la berça longuement. Pourquoi lutter ? Il était incapable de la tuer, Lana le lui interdisait. Et les désirs de Lana étaient des ordres.
Elle ouvrit les yeux et lorsqu’elle vit son geôlier, la terreur la transfigura. Il la ramena dans la chambre, la déposa sur le lit et plaça une seconde couverture sur son corps. Il poussa le radiateur à fond avant de s’asseoir dans le fauteuil.
— Merci, murmura-t-elle.
Le visage de Gabriel se crispa. Des sentiments contradictoires le submergeaient par vagues successives.
Soulagement.
Colère.
Admiration.
Ça faisait une éternité qu’il n’avait pas ressenti tant d’émotions. Une éternité qu’il dormait au fond d’un lac gelé dont il n’émergeait que pour exécuter ses cibles.
Et voilà que cette inconnue, cette gamine, profanait sa dernière demeure.
Voilà qu’elle réveillait le mort.
Lana, aide-moi… Aide-moi, s’il te plaît…