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— On voulait vous dire au revoir avant de partir, fit Tama en embrassant Gabriel.
Il invita les deux jeunes gens à entrer et leur servit un café.
— Vous allez où, finalement ? demanda-t-il.
— Tarmoni nous a trouvé un bateau pour traverser, révéla Izri. Une fois au Maroc, nous aviserons.
— C’est bien, dit Gabriel. Vous avez fait le bon choix…
Izri esquissa un sourire et Gabriel comprit qu’il conservait une douleur au fond de lui. Sans doute parce qu’il abandonnait ce qu’il avait conquis par la force, le laissant en pâture aux charognards.
En gardant sa reine, il perdait son royaume.
— Le départ, c’est pour quand ?
— Demain, dit Tama. On rend les clefs de la maison, on descend à Montpellier chercher les papiers et le reste et puis on file vers Marseille. Le bateau part en début de soirée…
— Tu me donneras des nouvelles ? sourit Gabriel.
— Dès qu’on sera installés quelque part, je vous appellerai, promit-elle. Et peut-être que vous pourrez venir nous voir ?
Il se contenta de sourire puis de hocher la tête, pour ne pas la décevoir. Elle avait l’air tellement heureuse…
Gabriel les raccompagna jusqu’à l’extérieur. Le printemps était là, Gaïa et Maya étaient sorties de l’écurie. Tama s’attarda près de la barrière qui délimitait leur enclos. Lorsque Gabriel la rejoignit, elle prit sa main dans la sienne.
— Encore merci, Gabriel. Si on ne se revoit pas, je voulais vous dire que je ne vous oublierai jamais.
Il resta silencieux, embarrassé. Chaque fois qu’il croisait cette fille, cette gamine qui aurait dix-sept ans dans quelques semaines, l’émotion était trop forte.
— Et… je voulais vous dire aussi que je ne m’appelle pas Tama.
Surpris, il la regarda à nouveau.
— Quand je suis arrivée en France, ils ont changé mon prénom, pour que j’oublie qui j’étais.
— Pourquoi tu continues à te faire appeler Tama, dans ce cas ?
— Izri préfère ce nom à celui que mes parents m’ont donné ! fit Tama. Et puis, je m’y suis habituée. Je l’aime bien, finalement.
— Mais comment tu t’appelles, en vrai ?
— Leyla… En arabe, ça veut dire compagne de la nuit, révéla Tama. Et en latin, ça vient de lea qui veut dire lionne…
*
* *
Ils quittèrent le cabinet de Tarmoni et montèrent dans l’ascenseur. L’avocat leur adressa un dernier signe de la main avant que les portes se referment.
Dehors, le ciel était lumineux et Tama prit le temps de l’admirer.
— Des ciels comme ça, tu en auras tous les jours ! promit Izri en l’embrassant.
— Tu n’as aucun regret ? demanda-t-elle.
— Aucun.
Il alluma une cigarette et lui prit la main. Ils marchèrent jusqu’à la Mercedes et Tama s’arrêta soudain devant la vitrine d’une boutique de vêtements.
— Elle est jolie, cette robe !
— Va l’essayer, sourit Izri. Je finis ma clope et je te rejoins dans un instant.
Elle l’étreignit avec force, lui donna un long baiser avant de disparaître dans le magasin. Il s’adossa à la Mercedes et à son tour, contempla le ciel.
Aucun regret, non.
Parce que Tama valait tous les empires. Et tous les sacrifices.
Il entendit rugir un moteur, tourna la tête.
Deux hommes à moto.
Izri lâcha sa cigarette et saisit la crosse du Glock au moment où la première balle pulvérisait son poumon gauche. La seconde déchira sa gorge.
Avant de toucher le sol, Izri aperçut les yeux de son assassin.
Les yeux du Gitan.
Tama se précipita dans la rue, les tueurs s’éloignaient.
— Iz ! hurla-t-elle.
Elle tomba à genoux près de lui, le prit dans ses bras.
— Ta… ma…
— Iz ! Non !
Apprends-moi ce qu’est la mort.
Dis-moi qu’elle est douce, qu’elle est juste.
En un regard, elle eut le temps de lui confier tout leur amour, pour qu’il l’emporte avec lui dans le plus long des voyages.
Le cœur d’Izri lâcha, celui de Tama se brisa.
Définitivement.
Raconte-moi qu’elle est comme une mère qui te prend dans ses bras et te console de la vie.
Jure-moi qu’entre ses mains, il n’y a ni maître ni esclave.
Le garder contre moi, encore et encore. Le bercer de larmes, de baisers et de tendresse.
Des gens, des cris d’horreur autour de nous…
L’enlacer, pour toujours. Le couvrir d’amour, d’honneur et de respect.
Un bruit de sirènes au milieu de mes sanglots…
Le serrer dans mes bras, encore et encore. Le combler de fleurs, de douceur et de promesses.
Des voitures, des gyrophares, des hommes en uniforme…
Ils vont nous séparer.
Personne ne peut nous séparer.
Alors, je prends le pistolet d’Izri et me relève pour leur faire face.
— Lâche ton arme !
Je brandis le Glock en direction des flics.
— Lâche ce flingue immédiatement !
Je ne suis plus une esclave, je ne reçois aucun ordre.
Vous ne m’obligerez pas à vivre sans lui.
Je presse le canon contre mon cœur.
— J’arrive, mon amour…
Promets-moi qu’en son royaume, on oublie ses blessures et ses chaînes.
Mais jamais son amour.