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Dimanche matin, 7 heures. Tama se lève.

Le dimanche, elle peut dormir un peu plus longtemps car il n’est pas nécessaire que le petit déjeuner soit prêt de bonne heure. Même Vadim n’est pas encore réveillé.

Alors Tama en profite pour faire sa toilette. Elle va dans la cuisine, pousse la porte pour ne pas faire de bruit. Puis elle se déshabille et se savonne le haut du corps. Sefana lui a acheté un nouveau savon. Ce n’est pas le même que d’habitude, il a une odeur agréable, une mousse généreuse. Elle lui a aussi donné une bouteille à moitié pleine d’eau de Cologne, ce qui l’a rendue folle de joie.

Après avoir rincé sa peau à l’aide d’un gant, elle passe à sa toilette intime et termine par ses jambes et ses pieds. Ensuite, elle se sèche soigneusement. C’est à ce moment-là qu’elle remarque que la porte de la cuisine est entrebâillée.

Charandon la regarde, ses yeux brillent.

Tama se fige, ses mains se crispent sur la serviette. Depuis combien de temps est-il là, à l’épier ? L’a-t-il déjà fait ?

Le fait-il chaque matin ?

Il entre dans la pièce et, tout en la fixant d’un drôle d’air, il ouvre le frigo pour attraper une bouteille d’eau. Tama n’a pas bougé, incapable du moindre geste face à cet homme quasiment nu.

Charandon lui adresse un de ses sourires abjects et s’approche. Tama bat lentement en retraite vers la buanderie, attrapant au passage son vieux tee-shirt de nuit et sa culotte.

— N’aie pas peur, chuchote Charandon. Ne te sauve pas…

Tama est contre la porte de la buanderie, tétanisée par un mauvais pressentiment.

— Tu sais que tu es très jolie ? ajoute-t-il.

Tama tient toujours sa serviette, seul rempart entre elle et cet homme. Soudain, il lui arrache sa dérisoire protection.

— Oui, vraiment très jolie…

Nouveau pas en arrière. Afaq lui a souvent dit que face à un animal dangereux, il fallait bouger le moins possible.

Mais Charandon est sans doute le plus dangereux des carnassiers.

— Je t’avais dit qu’on se retrouverait…

Tama continue à reculer doucement et sent la machine à laver dans son dos. Impossible d’aller plus loin. Une voix s’interpose entre eux. Sefana se tient juste derrière Charandon.

Regard noir et visage gonflé de sommeil, elle voit la serviette dans les mains de son mari, Tama nue face à lui.

— Qu’est-ce qui se passe ?

Charandon ne prend même pas la peine de se retourner pour lui répondre.

— J’avais soif, je suis venu prendre de l’eau dans le frigo… Et cette petite pute s’est mise à poil devant moi… Tu le crois, ça ?

— Tama, habille-toi tout de suite ! ordonne Sefana.

Charandon pivote enfin vers son épouse et la fixe droit dans les yeux.

— Je suis sûr qu’elle finira sur le trottoir.

Il quitte la cuisine tandis que Tama enfile ses vêtements à la hâte. Sefana entre dans la buanderie et la toise avec hargne.

— J’étais en train de me laver quand il est arrivé, murmure-t-elle en boutonnant sa blouse.

Sefana lui assène une gifle retentissante.

— Ne recommence jamais ça ! s’écrie-t-elle. Jamais, tu as compris ?

— Mais…

Nouvelle gifle.

— Mon mari n’est pas un menteur !

— Oui, madame.

*
*     *

Ce dimanche m’a paru interminable. J’ai eu mal au cœur toute la journée. Une nausée persistante, comme si j’avais mangé quelque chose d’avarié, impossible à digérer. Une nouvelle fois, je me suis sentie sale, avec l’impression que quelqu’un avait essuyé ses mains souillées sur ma peau.

Fadila est sortie avec son petit copain, Adina a joué devant son ordinateur. Émilien a fait du skateboard dans la rue et Vadim a dessiné et s’est amusé avec des puzzles. Parfois, le dimanche, les Charandon emmènent leur progéniture au restaurant, mais, aujourd’hui, l’ambiance était morose.

Tandis que j’astiquais la baignoire, le couple s’est disputé dans la chambre. Ils n’ont pas crié, sans doute de peur d’être écoutés par les enfants, alors je n’ai pas compris grand-chose à ce qu’ils se disaient. J’ai seulement entendu Charandon demander à sa femme si elle cherchait la merde. Je ne sais pas si ça a un rapport avec ce qui s’est passé ce matin dans la cuisine ou si c’est pour un autre motif…

De toute façon, Sefana ne me donnera jamais raison devant son mari. Ici, je suis comme un meuble ou un animal. Je ne compte pas. Je n’ai pas de vraie place. Je pourrais disparaître, ils me remplaceraient par une autre Tama.

Je ne sais pas exactement ce que veut Charandon. Je sais juste qu’il faut que je m’en méfie. Heureusement pour moi, il est très rare que je me retrouve seule dans la maison avec lui. Il rentre tard le soir, part tôt le matin. Mais je me dis qu’une nuit, il pourrait venir dans la buanderie pendant que je dors. Et ça, ça me terrifie. Jusqu’où irait-il alors ?

La porte de ma cage ne se ferme que de l’extérieur, à l’aide d’un verrou. Je dois trouver un moyen de la bloquer. Sinon, je crois que je ne parviendrai plus à dormir…

*
*     *

La machine à laver est tombée en panne, le moteur a rendu l’âme.

Alors Tama est obligée de faire la lessive à la main. Des cargaisons de linge et même les draps d’Émilien qui fait encore pipi au lit malgré son âge.

De quoi faire souffrir encore et encore sa main droite qui ne s’est toujours pas remise de la barbarie de Charandon. Sefana lui a expliqué qu’ils avaient d’autres priorités que de changer le lave-linge et Tama a compris qu’elle allait jouer les lavandières pendant de longues semaines, peut-être des mois. Et même si la lessive lui prend beaucoup plus de temps, elle doit continuer à assurer les autres tâches ménagères.

Ses journées n’en finissent pas et lorsqu’elle a enfin le droit d’aller se coucher, elle s’effondre sur son matelas, n’ayant même plus la force de lire ne serait-ce qu’une ligne.

Elle a trouvé comment interdire à Charandon l’accès à la buanderie pendant la nuit. Elle utilise une chaise de la cuisine dont le dossier sert à bloquer la poignée.

Pourtant la peur est toujours là, telle une seconde peau. Une peur qui la suit jusque dans ses rêves…

Toutes blessent, la dernière tue
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