61

Impossible de trouver le sommeil.

Les paroles de son geôlier tournaient en boucle dans sa tête.

Un homme t’a violée.

Comment pouvait-on oublier ça ?

Peut-être quand on refusait de s’en souvenir. Quand c’était trop difficile de s’en souvenir.

De sa main libre, elle essuyait machinalement les larmes qui coulaient sur ses joues.

Ce dont elle se souvenait, en revanche, c’est que l’homme qui la confinait dans cette chambre n’aimait pas les lâches. Et ça, elle devait le garder constamment à l’esprit.

Se montrer forte, peut-être même l’impressionner.

Pour l’instant, elle pouvait pleurer. Sans risque, mais sans faire de bruit. Parce qu’il s’était endormi dans le fauteuil, non loin d’elle.

Oui, se faire aimer de lui, s’il le fallait.

Car elle voulait survivre. Survivre et comprendre ce qui l’avait conduite ici. Survivre pour retrouver le fil de son existence. Mais son existence valait-elle la peine d’être reprise là où elle l’avait laissée ? Son passé perdu l’effrayait soudain davantage qu’il ne lui manquait.

Qui était donc cette fille qu’on avait violée, à qui on avait donné un coup de couteau dans le ventre, qu’on avait frappée, qui s’était sauvée ?

Si je me suis enfuie, c’est que je voulais échapper à quelque chose de terrible. Peut-être plus terrible encore que d’être enfermée dans cette chambre avec ce drôle de type.

Cet assassin, incapable de me tuer…

Cet homme qui, pourtant, a déjà creusé ma tombe.

 

Lorsqu’il ouvrit les yeux, elle avait cessé de pleurer. Voir son visage au réveil était un joli présent.

Bien sûr, ce n’était pas le visage de Lana. Mais c’était une présence, un souffle, une respiration.

Être regardé, c’était être vivant.

Inspirer la peur, c’était être vivant.

Il était très tôt – ou très tard – et elle ne dormait pas. Nuit blanche, sans doute à cause de ce qu’il lui avait révélé la veille au soir.

Il se leva, s’étira, jeta un œil par la fenêtre. L’aube les délivrerait bientôt de la nuit. Le ciel était chargé, une journée de pluie ou de neige s’annonçait.

Il pivota vers sa chère inconnue, la considéra longuement. Lana n’aurait pas aimé la voir entravée à ce lit. De toute façon, elle était trop faible pour représenter le moindre danger.

Il prit la clef des menottes au fond de la poche de son pantalon et libéra son poignet.

— Tu as envie d’un café ?

— Oui.

— Alors suis-moi.

Sidérée, elle oublia de bouger.

— Merci, murmura-t-elle.

— Mais attention, pas d’entourloupe. Sinon…

— D’accord, promit-elle. Je peux m’habiller d’abord ? Parce que je n’ai qu’un tee-shirt.

Il se planta devant l’armoire, se gratta la tête. Il prit finalement un jean et une ceinture. Il lui tourna le dos, elle se glissa hors des draps. Elle enfila le jean dans lequel elle flottait, serra la ceinture au maximum et remonta le bas des jambes. Elle grimaça de douleur, porta une main à sa blessure encore très sensible.

— Voilà, dit-elle.

Il se retourna, esquissa un sourire.

— Pas terrible. Je vais essayer de trouver mieux.

Ils traversèrent le couloir, passant devant deux portes fermées et un escalier, pour déboucher dans une vaste salle à manger flanquée d’une cuisine américaine.

— Ça ne te rappelle rien ? espéra Gabriel. C’est là que tu t’es effondrée. Devant la porte d’entrée.

— Je ne m’en souviens pas.

— Assieds-toi.

Elle obéit, il prépara du café.

— Tu préfères peut-être du thé ?

— Euh… Donnez-moi du café, ça ira.

Quand Sophocle s’approcha d’elle, elle esquissa un mouvement de recul.

— N’aie pas peur. Tant que je ne le lui ordonne pas, il ne mord pas !

Il apporta le café, du pain, du beurre, de la confiture. Un véritable festin.

Elle ne semblait pas très à l’aise d’être là, en face de lui.

Quant à Gabriel, il se demanda soudain ce qui lui passait par la tête. Il était en train de déjeuner avec une inconnue qui l’avait menacé avec un flingue et qu’il séquestrait depuis plusieurs jours.

Une inconnue qu’il serait bientôt obligé de faire taire.

Quand elle eut terminé son petit déjeuner, il débarrassa la table et mit les tasses et les couverts dans le lave-vaisselle. L’inconnue s’approcha de la porte-fenêtre et fit mine de regarder dehors. Elle avait croisé ses mains dans le dos, ressemblait à une enfant sage.

— J’ai froid, fit-elle.

Gabriel la frôla pour s’approcher de la cheminée. Il s’accroupit pour préparer le feu.

— Ça va te réchauffer, dit-il.

Il entendit un bruit discret, tourna la tête. La porte était ouverte, l’inconnue avait disparu…

Toutes blessent, la dernière tue
titlepage.xhtml
PL0.xhtml
PL1.xhtml
PL2.xhtml
PL3.xhtml
PL4.xhtml
PL5.xhtml
PL6.xhtml
PL7.xhtml
PL8.xhtml
PL9.xhtml
PL10.xhtml
PL11.xhtml
PL12.xhtml
PL13.xhtml
PL14.xhtml
PL15.xhtml
PL16.xhtml
PL17.xhtml
PL18.xhtml
PL19.xhtml
PL20.xhtml
PL21.xhtml
PL22.xhtml
PL23.xhtml
PL24.xhtml
PL25.xhtml
PL26.xhtml
PL27.xhtml
PL28.xhtml
PL29.xhtml
PL30.xhtml
PL31.xhtml
PL32.xhtml
PL33.xhtml
PL34.xhtml
PL35.xhtml
PL36.xhtml
PL37.xhtml
PL38.xhtml
PL39.xhtml
PL40.xhtml
PL41.xhtml
PL42.xhtml
PL43.xhtml
PL44.xhtml
PL45.xhtml
PL46.xhtml
PL47.xhtml
PL48.xhtml
PL49.xhtml
PL50.xhtml
PL51.xhtml
PL52.xhtml
PL53.xhtml
PL54.xhtml
PL55.xhtml
PL56.xhtml
PL57.xhtml
PL58.xhtml
PL59.xhtml
PL60.xhtml
PL61.xhtml
PL62.xhtml
PL63.xhtml
PL64.xhtml
PL65.xhtml
PL66.xhtml
PL67.xhtml
PL68.xhtml
PL69.xhtml
PL70.xhtml
PL71.xhtml
PL72.xhtml
PL73.xhtml
PL74.xhtml
PL75.xhtml
PL76.xhtml
PL77.xhtml
PL78.xhtml
PL79.xhtml
PL80.xhtml
PL81.xhtml
PL82.xhtml
PL83.xhtml
PL84.xhtml
PL85.xhtml
PL86.xhtml
PL87.xhtml
PL88.xhtml
PL89.xhtml
PL90.xhtml
PL91.xhtml
PL92.xhtml
PL93.xhtml
PL94.xhtml
PL95.xhtml
PL96.xhtml
PL97.xhtml
PL98.xhtml
PL99.xhtml
PL100.xhtml
PL101.xhtml
PL102.xhtml
PL103.xhtml
PL104.xhtml
PL105.xhtml
PL106.xhtml
PL107.xhtml
PL108.xhtml
PL109.xhtml
PL110.xhtml
PL111.xhtml
PL112.xhtml
PL113.xhtml
PL114.xhtml
PL115.xhtml
PL116.xhtml
PL117.xhtml
PL118.xhtml
PL119.xhtml
PL120.xhtml
PL121.xhtml
PL122.xhtml
PL123.xhtml
PL124.xhtml
PL125.xhtml
PL126.xhtml
PL127.xhtml
PL128.xhtml
PL129.xhtml
PL130.xhtml
PL131.xhtml
PL132.xhtml
PL133.xhtml
PL134.xhtml
PL135.xhtml
PL136.xhtml