41
Ce fut le froid qui réveilla Gabriel. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il chercha un point de repère avant de se souvenir qu’il s’était endormi dans l’écurie. Gaïa était près de lui, Maya de l’autre côté. Il regarda la masse posée sur la paille, puis ses paumes ensanglantées. Il se remit debout, caressa Gaïa, lui parla doucement pour la rassurer. Elle était d’un naturel inquiet, tandis que Maya avait toujours été plus aventureuse.
Il monta l’escalier et, dès qu’il ouvrit la porte, Sophocle quitta la maison pour son petit tour matinal. Gabriel se lava les mains avec une grimace de douleur puis fit couler du café avant de se glisser dans sa chambre. Devenue celle d’une inconnue.
Elle dormait encore. Rien d’étonnant avec la dose de somnifère qu’il l’avait forcée à avaler. Mais son sommeil était agité. Sans doute son cerveau qui tentait de rassembler les morceaux, de reconstruire une vie.
Gabriel prit une douche et désinfecta ses mains écorchées avant de les bander.
Il donna un tour de clef et grimpa dans son pick-up. La route était verglacée par endroits et le 4 × 4 dérapa deux ou trois fois avant d’atteindre Florac. Le bourg était à moitié endormi, comme engourdi par le froid. Gabriel acheta des cigarettes et le journal avant de remonter vers son domaine.
Lorsqu’il arriva chez lui, il parcourut le quotidien, s’arrêtant sur la page Faits divers. Un article relatait le meurtre odieux d’une honnête commerçante de Toulouse. Aucun doute, il s’agissait d’un crime crapuleux. L’assassin avait massacré une mère de famille respectable pour trois cents euros. La Ville rose était en émoi, une marche devait y avoir lieu l’après-midi même.
— Marchez, murmura Gabriel. Suivez le troupeau, pauvres cons…
Il découpa l’article et le glissa dans une pochette plastifiée qui en contenait beaucoup d’autres.
Il alluma son ordinateur pour consulter ses mails, même s’il savait qu’il n’en recevrait plus avant longtemps.
Lorsque sa boîte s’ouvrit, il resta bouche bée.
Lady Ekdikos lui avait écrit pendant la nuit.
*
* *
Elle ouvrit les yeux et une vive luminosité agressa ses rétines. Le soleil envahissait la chambre, elle n’avait pas encore glissé vers l’enfer.
En tournant la tête, elle aperçut l’homme dans son fauteuil. Elle se souvenait parfaitement qu’il avait voulu l’étouffer à l’aide de son oreiller. Au moins, sa mémoire recommençait-elle à fonctionner même si elle aurait préféré oublier ce moment terrifiant.
Elle se redressa légèrement, laissant échapper un gémissement de douleur. Ils se dévisagèrent de longues secondes.
Elle, en pleine lumière. Lui, tapi dans l’ombre.
— Ta mémoire est revenue ?
D’un signe de tête, elle lui indiqua que non. À l’intérieur de son cerveau, toujours le même vide, ou plutôt le même brouillard tenace. Ses souvenirs remontaient à la veille, son esprit refusait de s’enfoncer plus loin dans le passé.
— Je me rappelle hier, murmura-t-elle.
— Inoubliable, je sais, répondit Gabriel avec un sourire. En tout cas, tu arrives à parler normalement, c’est déjà ça ! Tu as faim ?
Elle ignorait à quel jeu il jouait. Avait-il renoncé à la tuer ? Voulait-il d’abord s’amuser avec elle ? Prendre son temps…
— J’ai envie de faire pipi, avoua-t-elle timidement.
D’un signe de la main, il lui désigna un seau posé près du lit.
— Il est là pour ça.
Il s’éclipsa, elle hésita. Comme si le moindre mouvement pouvait la condamner. Au bout de quelques secondes, elle parvint à s’asseoir sur le bord du matelas au prix d’un effort démesuré. Avec son pied, elle attira le seau plus près. Elle n’avait guère le choix et soulagea sa vessie dans une position plus qu’inconfortable. Elle attrapa un mouchoir sur le chevet pour s’essuyer puis remonta son caleçon. Tout ça avec une seule main et une blessure au ventre qui continuait à la martyriser.
Elle se rallongea, déjà épuisée, attendant la suite des événements.
Gabriel revint quelques minutes plus tard, avec un café et du pain beurré. Il la regarda manger sans grand appétit puis lui apporta une bassine d’eau chaude, du savon, un gant et une serviette. Il ouvrit l’armoire, choisit un tee-shirt propre et un nouveau caleçon.
— J’imagine que tu as envie de te laver, dit-il en déposant les vêtements près d’elle. Je te laisse un quart d’heure.
Il détacha son poignet, mit la clef dans sa poche.
— Je te conseille de ne rien tenter, précisa-t-il froidement.
Il referma la porte derrière lui, elle se leva prudemment. Aussitôt, le vertige la fit vaciller. Elle se tint au mur et s’approcha de la fenêtre qui donnait sur un toit et une grille en fer forgé. Il lui restait la porte, mais l’homme devait être derrière.
Alors, elle fit sa toilette du mieux qu’elle pouvait, craignant à chaque seconde qu’il ne débarque dans la chambre. Mais il tint parole et lorsqu’il reparut, elle était habillée et assise sur le lit.
Il sortit la clef des menottes de sa poche, elle lui jeta un regard oblique.
— Pourquoi ?
— Tu m’as menacé avec un flingue. Tu ne t’en souviens pas ?… Moi je n’ai pas oublié. Et ça m’a donné envie de te faire confiance, tu peux pas savoir ! ajouta-t-il avec un sourire cynique.
Il attrapa son poignet, le rattacha à l’un des barreaux du lit. Il l’abandonna et elle se rallongea. Une main sur sa blessure, elle ferma les yeux.
Tu m’as menacé avec un flingue.
Le genre de chose qu’on n’oublie pas.