25

 

 

En l'espace de quelques secondes, Jaxon se retrouva au tapis, de même que Lucius. Un ennemi invisible était un ennemi invincible. Du moins, songea Mishka avec rage, était-ce ce que les Schôn s'imaginaient. Même si elle était incapable de les voir et qu'ils gardaient le silence, elle percevait le bruit de leurs souffles précipités tandis qu'ils s'acharnaient sur les deux hommes, dont les armes avaient glissé sur le sol, loin d'eux.

— Fiche le camp d'ici ! hurla Jaxon à son intention. La fureur, l'inquiétude et l'impuissance déformaient ses traits.

— Essaie de les attraper ! lui conseilla-t-elle. De les retenir !

Il fit de son mieux pour y parvenir, même si ses mains se refermaient la plupart du temps sur du vide. Un genou à terre, le pyroflingue à bout de bras, elle tirait tout autour de lui. Elle avait pris soin de régler son arme pour qu'elle ne produise que des rayons bleus incapacitants. L'idée de blesser Jaxon par inadvertance - surtout après la mise en garde de Dallas - lui était intolérable.

— Va-t'en ! lui lança-t-il de plus belle.

— Non ! s'entêta-t-elle.

— Continue de tirer ! intervint Lucius.

Ce qu'elle fit. Mais pendant ce temps, Jaxon et Lucius commencèrent à disparaître à sa vue par morceaux : un bras, une jambe, la tête. Un moment ils étaient là, l'instant d'après ils n'y étaient plus. Qu'est-ce qui se passe ?

Tentative des aliens pour masquer leurs adversaires.

Probabilité d'y parvenir ?

94 %.

Merde ! Le doigt de Mishka appuyait en rafales sur la détente. Un de ses tirs finit par faire mouche. L'un des Schôn, débarrassé de son voile d'invisibilité, apparut à sa vue, serrant entre ses mains un des bras de Jaxon pour le maintenir au sol. Pendant quelques heures, il resterait figé ainsi. Elle aurait pu incapaciter Jaxon et Lucius pour faire en sorte qu'ils ne puissent devenir invisibles, hélas, le rayon n'avait aucun effet sur les humains. Une sécurité prévue par les ingénieurs pour empêcher que des agents de l'A.I.R. ne se retrouvent immobilisés par accident.

Elle se contenta donc de viser au hasard autour d'eux, dans l'espoir d'atteindre les invisibles aliens, sachant que tôt ou tard ceux-ci viendraient s'en prendre à elle.

Soudain, sa vision se brouilla. Un vertige lui fit tourner la tête. Elle ne cessa pas pour autant de tirer, mais il lui fallut fermer les yeux un instant... Le monde continua de tourner autour d'elle. Réaction au stress ?

Molécule étrangère en suspension. Effet soporifique probableUn somnifère ? Bon  sang, non ! J'arrête de respirer ! Suspension de la fonction respiratoire.

Instantanément, sa gorge se contracta et ses poumons cessèrent de se remplir. Expérimentée, Mishka ne paniqua pas. Elle savait qu'une réserve d'oxygène, cachée quelque part dans son corps, se libérerait lentement et ferait en sorte de la maintenir lucide pendant une dizaine de minutes. Si elle parvenait à garder son calme.

Jaxon et Lucius, eux, étaient obligés de respirer. Bientôt, la drogue fit son effet, et leurs corps devinrent parfaitement immobiles, avant de disparaître complètement pour cette fois ne plus reparaître. Où étaient-ils passés ? Tu ne peux leur faire de mal avec un rayon incapacitant. La rage se mêlant à la détermination, elle tira dans tous les sens, comme une possédée, et parvint à immobiliser trois Schôn de plus. Deux ne se trouvaient qu'à quelques pas d'elle. Le troisième avait été à deux doigts de lui toucher le visage.

Même si elle s'y attendait, Mishka fut surprise lorsque les aliens finirent par la rejoindre. Soudain, elle sentit ses pieds se dérober sous elle et elle se retrouva affalée sur le dos. Un instant plus tard, elle sentit les corps massifs et invisibles des Schôn s'abattre sur le sien. Elle lutta pour se libérer pendant ce qui lui sembla durer une éternité. Elle aurait pu y parvenir, mais elle décida finalement de se laisser faire. Elle ne pouvait tuer tous ses adversaires tant qu'ils restaient invisibles et elle le savait. De plus, elle ne pouvait pas sauver Jaxon tant qu'il l'était aussi. Ce qu'elle ne pouvait se permettre, c'était de se retrouver séparée de lui.

Manifestement, les Schôn n'avaient pas prévu de les tuer. Sans cela, ils l'auraient déjà fait. Et comme ils ne l'avaient pas fait, leur plan devait être plutôt de les enlever. Pour rester avec Jaxon, il lui suffisait de se laisser enlever avec lui. Quand les Schôn auraient regagné leur repaire, ils se sentiraient assez en sécurité pour se rendre de nouveau visibles. Alors, elle pourrait sauver Jaxon et tous les tuer.

Cela n'avait rien d'un plan infaillible, mais c'était le seul qu'elle avait à sa disposition...

En continuant à se débattre, elle fit donc comme si elle commençait à faiblir. On lui écarta les doigts, et ses armes lui furent confisquées. Un spray froid et humide lui fut appliqué sur la figure : le somnifère, sans doute. Mishka fit semblant de tousser, mais sans oxygène dans ses poumons, aucun son ne sortit de sa gorge. Pour ne pas se trahir, elle feignit donc de sombrer aussitôt dans l'inconscience.

Les aliens n'avaient toujours pas prononcé une parole. Dès qu'ils furent certains qu'elle ne bougeait plus, ils se redressèrent et elle les entendit s'éloigner. Une minute s'écoula, suivie d'une autre, et d'une autre encore. Le cœur de Mishka cognait violemment dans sa poitrine. L'inactivité n'avait jamais été son fort... Que sont-ils en train de faire ? demanda-t-elle à la puce. Ils s'activent à ramasser leurs congénères et les agents endormis. L'un d'eux s'approche. Intention ? Forte probabilité de capture. Aucune intention violente détectée.

Mishka sentit des bras forts la soulever et elle se retrouva calée contre un torse tout aussi puissant. Un souffle chaud lui caressa la joue. Un nouveau vertige -plus prononcé que le premier - s'abattit sur elle. Mise à mal par les efforts qu'elle avait dû fournir, sa réserve d'énergie commençait manifestement à s'épuiser. Je dois respirer ! Maintenant !

Fonction respiratoire rétablie.

Le parfum épicé de Nolan lui emplit les narines à sa première inspiration. Nolan... Son seul nom suffisait à la plonger dans une rage meurtrière. Ce traître, ce fourbe, ce putain d'X-tro ! Comment ose-t-il ? Si Jaxon n'avait pas été en danger, elle se serait empressée de faire payer au Schôn sa traîtrise sur-le-champ en lui faisant passer l'arme à gauche. Ce n'était que partie remise. Au fond de toi, tu t'en doutais bien un peu, non ? Certes. Mais une part d'elle-même n'avait pas renoncé à espérer la collaboration de l'alien.

Elle entendit les bruits de pas des Schôn qui se mettaient en marche, et aussitôt après elle se sentit ballottée. Mishka se demanda si elle était elle aussi invisible à présent. Et si c'était le cas, était-elle capable de voir ses adversaires, désormais ? Lentement, elle entrouvrit les paupières. La rue, les immeubles, les voitures : tout lui était perceptible. Tout, sauf Nolan qui la transportait contre lui. Tout, sauf le groupe d'aliens qui l'accompagnait. Tout sauf elle-même... Comment faisaient-ils pour ne pas se cogner les uns dans les autres ?

La question l'intriguait, mais pour l'instant, seul le sort de Jaxon lui importait vraiment. Le fait de ne pas le voir l'inquiétait. Elle décida donc d'avoir recours à la vision infrarouge pour se rassurer. Un soulagement intense se fit jour en elle quand elle distingua les silhouettes de deux extraterrestres transportant contre eux les deux hommes. Leurs corps étaient inertes, mais il en émanait un rouge vif, signe d'activité.

Enregistrement des coordonnées...

Localisation géographique enclenchée.

À présent, il ne lui restait plus qu'à attendre.

 

Jaxon revint à lui lentement, l'esprit embrumé, les membres engourdis et entravés de lourdes chaînes. Bon sang ! Ça me rappelle quelque chose... Au moins n'était-il pas assailli par d'atroces douleurs.

— Voilà, bébé... Doucement. Ouvre les yeux pour moi.

— Mishka ?

— Je suis là.

Sa douce voix acheva de le tirer de l'inconscience. Jaxon ouvrit les yeux, mais il s'écoula un long moment avant qu'il parvienne à percer les ténèbres fangeuses qui l'entouraient. Une grille en guise de porte. Murs humides et croulants. Moquette marron rongée par l'humidité. Où diable était...

Là ! Dieu merci ! Mishka... Plus belle que jamais. Contrairement à lui, qui était attaché à un lit, on l'avait enchaînée à un mur. Sale et contusionnée, mais vivante. Tous deux assis à terre, les jambes allongées devant eux et les bras entravés en croix, ils se faisaient face. Un sourire ravi s'attardait sur les lèvres de Mishka.

Le soulagement illuminait son visage et faisait briller ses yeux.

— Enfin... dit-elle. La Belle au bois dormant se réveille.

Jaxon s'en doutait, son soulagement devait être aussi visible que le sien.

— La Bête, tu veux dire...

Ma Bête... rectifia-t-elle.

Femme adorable...

— Que s'est-il passé ? s'interrogea-t-il à haute voix.

Il se souvenait d'avoir suivi un invisible Nolan dans une impasse, d'avoir dégainé et commencé à tirer, puis d'avoir été mis au tapis par de tout aussi invisibles agresseurs. Peu de temps après, Lucius était arrivé et était tombé lui aussi. Ensuite, plus rien : le black-out total.

— Ils avaient planifié une embuscade, expliqua Mishka. Nolan était l'appât. Ils t'attendaient dans l'impasse. Il nous a livrés aux siens comme un paquet cadeau.

Jaxon sentit un muscle tressaillir sur sa mâchoire. Une colère noire l'envahissait. Il avait été trahi, et le rouge de la honte lui montait aux joues. Ses adversaires s'étaient montrés plus futés et plus forts que lui. Le tout sous les yeux de la femme qu'il aimait...

— Est-ce qu'ils t'ont fait mal ? s'enquit-il.

Il l'examina fiévreusement, à la recherche de blessures apparentes ou cachées. Elle portait les mêmes vêtements, sales et froissés à présent. Des égratignures toutes fraîches lui barraient la joue, mais autrement, elle paraissait n'avoir pas souffert. Un flot de bile lui monta à la gorge à l'idée qu'il ait pu lui arriver quelque chose pendant qu'il était inconscient. Certes, elle était de taille à se défendre toute seule - et cela le remplissait de fierté -, mais il avait besoin de se sentir toujours apte à la défendre.

— Non, répondit-elle. Ils nous ont conduits ici, à dix minutes de marche de l'impasse. Nolan a insisté pour que nous restions ensemble. Je pense qu'il ne voulait pas que nous nous inquiétions l'un pour l'autre. Ils ont installé Lucius dans la cellule d'à côté.

— Personne d'autre ?

Mishka secoua négativement la tête.

— Non. Rien que nous trois.

Tandis que les souvenirs affleuraient à sa mémoire, Jaxon commença à raconter :

— J'entendais Eden hurler des ordres à Lucius, dans mon oreillette. Elle lui disait de battre en retraite s'il ne voulait pas qu'elle vienne le rejoindre. Tu ne l'as pas vue ?

— Si elle a mis ses menaces à exécution, elle a dû le faire après la bataille. Et pour que tu saches à quoi t'en tenir, il y avait neuf aliens dans cette impasse... et il y en a toujours neuf ici.

— Trois contre neuf, commenta Jaxon. Faisable... Il fit tinter ses chaînes et ajouta :

— Ça ne te rappelle rien ?

— L'un des plus beaux jours de ma vie, répondit-elle dans un sourire. Celui où je t'ai rencontré. Au fait, inutile de t'en faire. Je peux nous tirer de là. Facilement.

— Comment ?

— Regarde.

En voyant le poignet et la main métalliques de Mishka diminuer de taille, Jaxon écarquilla les yeux.

— Ne t'inquiète pas, le rassura-t-elle. C'est normal. Bientôt, la main ainsi affinée put échapper sans difficulté au bracelet qui l'entravait.

— Tu vois ? triompha-t-elle quand la chaîne retomba contre le mur et que son bras fut libéré.

Puis, passant à son autre poignet, Mishka introduisit un doigt de métal épointé dans la serrure du bracelet et n'eut qu'à le faire tourner d'un coup sec - clic ! - pour déclencher l'ouverture. Il lui suffit ensuite de faire de même avec ses deux chevilles et elle se retrouva libre avec une déconcertante facilité. En son for intérieur, Jaxon exultait.  Ça, c'est trop fort !

— Rappelle-moi de ne jamais t'attacher à un lit... plaisanta-t-il.

— Pour toi, je ferai semblant d'être totalement démunie et sans déf...

Mishka s'était figée. La tête penchée sur le côté, pensive, elle donna l'impression de prêter l'oreille à une conversation avant d'annoncer :

— Nolan arrive.

Jaxon eut beau écouter, il n'entendit rien.

En hâte, Mishka se rassit contre le mur et rajusta sommairement ses chaînes autour de ses chevilles et de ses poignets. En la regardant faire, Jaxon perçut enfin faiblement un bruit de pas. Quelques instants plus tard, Nolan apparut à la grille. Il paraissait bien plus triste et abattu que triomphant.

— Vous êtes réveillés, constata-t-il d'une voix atone. Jaxon attaqua bille en tête.

— Je croyais que vous vouliez punir les vôtres pour leurs péchés...

Les doigts de l'alien se refermèrent autour des barreaux.

— Je vous ai menti... avoua-t-il, penaud. Du moins, c'est une partie de moi qui vous a menti.

Incapable de soutenir leur regard, il baissa les yeux avant d'ajouter :

— Je suis désolé. Extrêmement désolé... Je veux juste vivre. Vous pouvez le comprendre, n'est-ce pas ?

— Oui, répondit Mishka. Mais vous fallait-il vraiment nous trahir pour ça ?

— Oui, assura Nolan dans un soupir. Il le fallait. Je suis simplement surpris que vous ayez pu me faire confiance. Même un tout petit peu.

— Pourquoi les avez-vous aidés à nous capturer ? insista Jaxon.

Autre soupir à fendre l'âme.

— Voyez-vous, reprit le Schôn, chaque fois que nous sommes forcés d'émigrer sur une nouvelle planète, il nous faut dans un premier temps récupérer nos forces. Pour nous, la seule manière d'y parvenir, c'est d'échapper à la pression que le virus exerce sur nous en nous livrant à des activités sexuelles. Dès que nous avons suffisamment récupéré, il nous faut ensuite chercher sur notre nouvelle planète la plus grande menace pour nous et la détruire, afin que puissent nous rejoindre tous nos frères.

Dieu tout-puissant ! Il y en a d'autres...

— Ici, c'est l'A.I.R. qui fait peser sur nous la plus grande menace, poursuivit Nolan.

— Vous faisiez donc semblant de nous aider pour nous infiltrer ?

Nolan acquiesça d'un signe de tête.

— Oui. Mais vous m'avez ignoré pendant des jours et des jours, vous m'avez constamment tenu à l'écart et n'avez cessé de disparaître pour que je ne puisse vous suivre. Votre technologie est plus avancée que celle des autres planètes que nous avons conquises. Nous ne savions que faire d'autre.

— Pourquoi ne pas simplement nous avoir tués ? demanda Mishka.

— Nous ne sommes pas des monstres ! protesta l'alien en pâlissant brusquement. Nous voulions vous laisser choisir vous-même votre sort.

— Nous laisser choisir entre quoi et quoi ? s'enquit vivement Jaxon. En ce qui me concerne, le seul choix acceptable, c'est votre reddition.

— Que vous n'obtiendrez jamais.

Nolan se passa une main sur son visage las.

— Nous pourrions vous contaminer et vous apprendre à survivre avec le virus, expliqua-t-il. Ainsi, nous serions frères. Vous vous battriez à nos côtés et non contre nous.

Mishka haussa un sourcil et s étonna :

— Pourquoi ne pas avoir appris aux populations des autres planètes à s'accommoder du virus ?

— Pour avoir plus de concurrence encore dans la lutte pour les femelles ? s'étrangla le Schôn.

Une question d'un autre ordre tracassait Jaxon.

— Pourquoi nous ?

Nolan lui adressa un sourire triste et expliqua :

— Vous êtes intelligents et forts. Quand cette planète tombera - et elle tombera -, vous nous aiderez à conquérir d'autres mondes, d'autres femmes.

— Non, merci ! lança Mishka en secouant la tête. Le choix suivant ?

Sous l'effet de la colère, le visage de Nolan s'assombrit quand il répondit :

— Nous pourrions vous tuer !

— Je croyais que vous n'étiez pas des monstres, répliqua Jaxon.

Nolan se redressa.

— C'est vous qui choisiriez de mourir, protesta-t-il. Nous ne serions donc pas responsables de votre mort.

— Choix suivant, répéta Mishka.

— Nous pourrions vous utiliser comme appâts pour capturer d'autres agents de l'A.I.R., à qui nous offririons le même choix. L'un d'eux finirait bien par accepter.

— Choix suivant.

— Il n'y en a pas d'autre. Ce sont vos seules options.

— Vous pourriez également nous contaminer de force, fit valoir Jaxon. Pourquoi ne le faites-vous pas ?

Son accès de colère ayant fait long feu, Nolan baissa les yeux et se dandina sur place.

— Vous êtes des guerriers, répondit-il. Comme nous. Nous vous respectons pour cela.

— Mais aussi ? le pressa Mishka. Je suis prête à parier qu'il y a autre chose que le « respect » que vous nous portez pour motiver votre attitude à notre égard.

— Dépouiller un guerrier de son libre arbitre est une faute et un déshonneur. Ayant moi-même eu à subir cela, je sais de quoi je parle.

Nolan appuya le front contre les barreaux et commença à raconter d'une voix distante :

— Un jour, une femme plus belle que toutes celles que j'avais jamais vues est arrivée sur notre planète. Elle était comme votre soleil : glorieuse, lumineuse, éclipsant tout autour d'elle. Nous n'avons pu longtemps lui résister. Nous l'avons adorée. Nous lui avons offert tout ce qu'elle voulait. Et en retour, elle a contaminé, l'un après l'autre, tous les mâles de notre planète. Vous comprenez, elle est la première : le vecteur d'origine du virus.

En l'entendant parler de cette femme au présent, Jaxon sentit son estomac se nouer.

— Est-elle toujours vivante ? s'enquit-il.

D'un hochement de tête, Nolan lui répondit par l'affirmative.

— Elle compte débarquer chez nous elle aussi, n'est-ce pas ? intervint Mishka.

L'air honteux, l'alien hocha une nouvelle fois la tête et expliqua :

— Dès que l'A.I.R. sera suffisamment affaiblie, elle nous rejoindra. C'est une autre des raisons pour lesquelles nous ne vous avons pas tués tout de suite. Même si nous la détestons à présent et même si nous nous passerions bien de la revoir, nous sommes démunis face à elle. Il lui suffit de commander pour que nous lui obéissions. Ce qui n'est pas votre cas.

— Nous pourrions la tuer pour vous, suggéra Jaxon. Une brève lueur d'espoir flamba dans le regard du Schôn, avant qu'il ne secoue la tête avec découragement.

— Si elle meurt, nous mourrons aussi. C'est du moins ce qu'elle prétend. Je veux la savoir morte, mais je ne veux pas mourir. Je veux vivre ! C'est tout ce que j’ai toujours voulu : vivre et être heureux. Aimer... comme vous. Nolan laissa retomber ses bras et recula d'un pas.

— Réfléchissez à ce que je viens de vous dire, conclut-il. S'il vous plaît.

— Nolan ? fit Mishka, l'empêchant de partir.

— Oui ? répondit-il avec lassitude.

— Je suis désolée.

Le Schôn parut d'autant plus pris de court qu'elle paraissait sincère.

— À quel propos ? s'étonna-t-il.

— À propos de ça.

Dans la seconde suivante, Mishka se retrouva collée contre la grille. Elle s'était déplacée si vite que Jaxon n'avait vu qu'une ombre mouvante passer devant ses yeux. Les bras passés entre les barreaux, elle agrippa le Schôn par le cou et commença à serrer. Les yeux exorbités, celui-ci n'eut pas le temps de pousser un cri que déjà l'un des anneaux piégés de Mishka s'enfonçait dans sa jugulaire.

Elle aurait pu lui briser la nuque d'une torsion du poignet, mais elle avait préféré l'endormir. Nolan se débattit, cherchant à desserrer les mains de Mishka, mais elle tint bon. Quelques instants plus tard, l'alien tomba en une masse inerte sur le sol couvert de poussière.

— Tu es sûr qu'il ne fait pas semblant ? s'inquiéta Jaxon en la voyant se redresser.

— Certaine. Ses fonctions vitales tournent au ralenti.

— Bien ! Dépêche-toi de me libérer, chérie. N'oublions pas qu'ils peuvent communiquer par télépathie. S'il a pu prévenir ses potes de ce qui se passait ici, ils ne vont pas tarder à rappliquer, et nous devons encore libérer Lucius.

Une expression pensive sur le visage, Mishka alla libérer Jaxon. Tout en s'y employant, elle pencha la tête sur le côté et prêta l'oreille, pour se mettre de nouveau à l'écoute de quelque conversation lointaine.

— Ils n'ont pas l'air de se douter que nous sommes libres, commenta-t-elle. On dirait...

Les sourcils froncés, elle se concentra davantage.

— On dirait qu'ils regardent un film, reprit-elle. Une série B d'autrefois, pleine de fusillades et de dialogues merdiques... Il me semble même que ça les fait bien rire.

Jaxon se frotta longuement les poignets et maugréa :

— Cinéphiles ou pas, nous allons devoir les tuer. Tous, y compris Nolan.

— Je sais... reconnut-elle, vaguement coupable. Je n'ai pas pu m'y résoudre, je ne sais pas pourquoi. Je le déteste et je suis furieuse contre lui, mais... je me suis dit qu'après avoir tué tous les autres, nous pourrions l'interroger sur leur reine.

En le voyant hocher la tête d'un air dubitatif, Mishka haussa les épaules et ajouta :

— Bon, d'accord... C'était stupide de ma part. J'aurais dû lui régler son compte tout de suite.

— Non, ce n'était pas stupide. C'était humain. Trouver l'amour est un but honorable. Personne ne mérite de mourir avant de l'avoir connu.

Jaxon marqua une pause, songeant rapidement à tout ce qui pouvait mal tourner pour eux.

— Nous allons devoir les tuer sans les faire saigner, résuma-t-il. Et assez rapidement pour qu'ils n'aient pas le temps de se rendre invisibles.

— Oui.

Mishka lui libéra les chevilles, qu'il massa en poursuivant :

— Mia et les autres ne devraient pas tarder, mais j'ai peur qu'ils ne se débrouillent pas mieux que nous avec leur foutue invisibilité. Tu as une idée ? Pour le moment, nous sommes plutôt... désarmés.

— Pour le moment.

En se relevant, Jaxon lui jeta un coup d'œil intrigué.

— Que veux-tu dire ?

— Donne-moi dix minutes, répondit-elle. Si dans dix minutes je ne t'ai pas fourni un pyroflingue, tu auras droit à une petite gâterie plus tard pour me faire pardonner.

— Bébé ! protesta-t-il. Tu as besoin de motivation pour réussir, pas pour rater...

Un rire mutin jaillit des lèvres de Mishka, ce qui le combla de joie.

— Quoi qu'il en soit, reprit-il plus gravement, j'espère que tu n'auras pas besoin de motivation pour venir vivre avec moi.

Manifestement, elle ne s'attendait pas à ça.

— Qu... quoi ? balbutia-t-elle.

Jaxon vint la prendre dans ses bras et la fixa au fond des yeux, puis il déclara solennellement :

— Je t'aime. Et je veux que nous vivions ensemble.

Il lui prit la main et la porta à ses lèvres avant d'ajouter :

— Je veux également que tu acceptes d'être ma femme, mais je comptais garder ce détail pour plus tard - quand tu te seras habituée au plaisir des douches chaudes et du vrai chocolat...

Savait-elle ce qu'était le chocolat ? C'était devenu une douceur hors de prix et réservée aux riches, depuis que la production de cacao s'était effondrée suite à la guerre avec les aliens.

Les yeux exorbités, Mishka ouvrit la bouche et la referma plusieurs fois avant de pouvoir balbutier :

— Je... tu... tu m'aimes vraiment ?

Jaxon l'entraîna vers les barreaux, devant lequel elle s'accroupit, s'activant sur le verrou d'une main qui tremblait un peu.

— Ça ne te paraît pas évident ? s'indigna-t-il. Après ce que j'ai fait d'Estap ? Comment faut-il que je te le prouve ?

Les yeux rivés sur le verrou, Mishka se mordit la lèvre mais ne lui répondit pas.

— Dis quelque chose, bébé ! supplia Jaxon. Tu ne vois pas que ton silence me tue ?

— Moi je vais dire quelque chose, bébé... intervint Lucius dans la cellule voisine. Les dix minutes s'écoulent et tu es sur le point de perdre ton pari. Est-ce que j'aurai droit à la récompense, moi aussi ?

Jaxon dut se mordre l'intérieur de la joue pour ne pas éclater de rire. Il avait complètement oublié qu'ils n'étaient pas seuls, mais il connaissait suffisamment Lucius pour savoir qu'il plaisantait. Il aimait trop Eden pour être sérieux. Autrement, il aurait été dans l'obligation de le tuer. Violemment.

Enfin, le verrou se débloqua en cliquetant et la porte s'ouvrit. Lorsque Mishka se redressa, Jaxon lui déposa un baiser sur le nez et murmura :

— Tu pourras me dire plus tard que toi aussi tu m'aimes. Pour l'instant, nous avons du pain sur la planche.

— Allons tuer quelques Schôn, approuva-t-elle. Et ne t'étonne pas trop quand tu te retrouveras avec un pyroflingue dans la main...