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Mishka Le'Ace - alias Marie - fouilla les poches de l'alien mort, à la recherche des clés pour libérer Jaxon de ses chaînes. Thomas avait eu une trouille bleue des scanners d'identification qui lui auraient permis d'utiliser une bonne paire de menottes-laser. Il avait redouté que l'A.I.R. puisse capter le signal, comme elle en était théoriquement capable, et lui donner la chasse.

Mishka n'avait jamais constaté de telles prouesses, mais la trouille était un sentiment universel, déraisonnable, et parfois incontrôlable. Elle avait pratiquement supplié Thomas et pourtant, aujourd'hui, elle pouvait se féliciter qu'il ne l'ait pas fait. Cela lui faisait gagner un temps précieux. Au lieu d'avoir à mettre hors service des circuits, elle n'avait qu'à insérer un bout de métal dans un trou et tourner le poignet.

Quand elle eut enfin déniché ce qu'elle cherchait, elle se dépêcha de libérer l'agent qu'on l'avait envoyé sauver - ou tuer, selon qu'il était capable de garder un secret ou non.

De manière surprenante, il avait réussi à tenir sa langue. Elle s'était attendue à le voir se mettre à table dès l'instant où sa lame était allée visiter son entrejambe, mais il n'en avait rien fait, suscitant en elle étonnement et admiration. À présent, sa mission consistait à le sauver.

Elle se demanda ce qu'il savait de si précieux, quels sombres secrets dansaient sous ce crâne. Quelque chose de crucial - vital même -, autrement on ne l'aurait pas arrachée à une mission pour lui ordonner de le retrouver.

— Tu penses pouvoir marcher ? lui demanda-t-elle.

— Qui es-tu ?

Une voix pâteuse, presque incompréhensible, chargée de colère, d'incertitude et d'incompréhension.

— Ta nouvelle meilleure amie, lança-t-elle. C'est ton boss qui m'envoie.

Enfin presque.

En quelques secondes, elle eut libéré ses poignets et ses chevilles. Puis, elle l'agrippa sous les aisselles et l'aida à se mettre debout. Un sifflement de douleur lui échappa. Il se tenait sur une jambe, la droite légèrement repliée pour ne pas toucher le sol.

— Cassée, maugréa-t-il.

Mishka baissa les yeux - encore, encore... bon sang, ce qu'il était grand ! - et grimaça en découvrant sa cheville. Brisée, pas de doute là-dessus. Peut-être même de manière irréparable. Voilà qui n'allait pas lui faciliter la tâche.

— Alors il va falloir que je te porte ?

Grossière provocation de sa part, pour l'inciter à faire de son mieux pour avancer.

— Va te faire foutre, marmonna-t-il.

Du moins, c'est ce qu'elle avait cru entendre. Difficile d'avoir une certitude.

D'un regard, elle estima sa corpulence : un mètre quatre-vingt-dix de muscles d'acier. Était-elle vraiment capable de le porter ? Elle était d'une force peu commune - ses créateurs y avaient veillé - mais...

Jaxon inclina la tête vers elle et lui lança ce qui pouvait ressembler à un rictus de défi. Le'Ace était à la fois machine, animale et humaine - même si certains en doutaient -, et les trois composantes de son être lui certifiaient qu'elle l'avait vexé. En cela, au moins, il était prévisible. En véritable mâle alpha, il ne pouvait supporter un tel affront à sa virilité.

En cela, également, il différait de celui qu'elle s'était attendue à trouver. Son dossier le décrivait comme un homme « calme », « imperturbable » et même « gentil ». Or, celui qui la foudroyait du regard n'était rien de tout cela. « Secret », « déterminé » et « ombrageux » auraient été plus appropriés.

— OK, reprit-elle. Quand bien même j'adorerais te prendre au mot, tu n'as pas répondu à ma question : vais-je devoir te porter, oui ou non ?

— À ton avis ? demanda-t-il de sa voix éraillée. T'as qu'à essayer - non : je vais marcher.

— Brave garçon... dit-elle en le lâchant. Immédiatement, il pencha sur le côté, et il serait tombé si elle ne l'avait rattrapé. Le'Ace soupira, résignée. Il ne fallait pas compter le voir se déplacer seul. La volonté était intacte, mais le corps restait faible. Comment allait-elle gérer l'imprévisible agent Tremain et la bataille à venir contre le reste de ses ravisseurs ? Elle passa en revue les différentes options. Il n'y en avait pas beaucoup. Jaxon, pendant ce temps, l'observait avec méfiance.

— Je suppose qu'il va falloir s'en remettre au plan B, murmura-t-elle.

— Quel est le plan B ?

— Je ne l'ai pas encore décidé. Je n'en connais que la conclusion.

— Quelle est-elle ?

— Nous nous tirons d'ici sans bobo.

— Je ne te fais pas confiance, grogna-t-il. Ce pourrait être un piège.

Super ! Il allait lui mettre des bâtons dans les roues...

D'une certaine manière, elle s'en trouvait soulagée. En fait, il réagissait comme tous ceux à qui elle avait affaire. Et eux, elle savait comment les traiter.

— Ce pourrait en être un, reconnut-elle. L'avenir le dira.

Le'Ace s'inclina de manière à l'appuyer contre le mur. Faible et blessé comme il l'était, Jaxon ne put s'y opposer. Après s'être assuré que sa position était stable et qu'il n'allait pas s'écrouler, elle alla récupérer dans sa sacoche un chiffon pour essuyer ses mains pleines de sang.

Lecture statistique de l'environnement immédiat, ordonna-t-elle à la puce implantée dans son cerveau. En plus de contrôler nombre de ses fonctions et capacités, celle-ci était capable de repérer les signatures énergétiques des êtres vivants autour d'elle. Fort heureusement, la puce était programmée pour ne lui fournir que les informations qu'elle sollicitait, l'empêchant d'avoir à être inondée jour et nuit d'un torrent de données.

La réponse lui parvint aussitôt. Quatre Délenséens et deux humains. À l'étage. L'information lui arrivait comme une sorte d'inspiration soudaine. Probabilité d'une attaque dans les prochaines minutes ?

18 %. Aucune hostilité détectée.

Bien ! Préviens-moi si quelqu'un approche.

Capteurs enclenchés... effet immédiat.

De sa sacoche, Le'Ace tira une seringue et un flacon de rinaloras de contrebande.

— Qu'est-ce que tu fais ? s'inquiéta Jaxon.

— Je vais t'aider. Pas la peine de me remercier.

Sa force de caractère l'impressionnait. N'importe qui d'autre, dans son état, aurait déjà perdu connaissance ou, au moins, serait en train d'implorer qu'on le soigne. Entre ses plaisanteries, sa hargne et sa méfiance inébranlable, Jaxon attisait sa curiosité. Elle aurait presque aimé découvrir comment il se comportait dans la vie de tous les jours.

En vérité, jamais elle n'avait rencontré d'homme tel que lui. Fort. Irrévérencieux. Maître de lui. Indéfectiblement honorable et loyal, un peu voyou dans l'âme. Où se cachait l'homme réservé et poli dont l'A.I.R. gardait la trace dans ses dossiers ?

Peut-être la torture l'avait-elle métamorphosé, songea-t-elle sans y croire. Il avait disparu depuis huit jours. Pas de quoi bouleverser la personnalité d'un agent surentraîné. Après tout, il avait déjà eu à subir de tels sévices et rien n'avait été modifié au dossier. L'impertinence ne faisait pas partie de ses attributs.

Fallait-il en conclure qu'elle avait affaire au véritable Jaxon Tremain ? Et dans ce cas, pourquoi au quotidien éprouvait-il le besoin de masquer sa véritable personnalité ? Le'Ace était intriguée, et elle détestait cela. Ce type était une mission à accomplir. Il ne pouvait être davantage. Son boss ne le permettrait pas. L'enfoiré !

Une fois que Jaxon serait à l'abri, Le'Ace appellerait Estap - celui à qui elle appartenait - pour lui rendre des comptes. Ensuite, l'agent Tremain serait pris en charge et disparaîtrait de sa vie à jamais.

— Marie ? s'impatienta-t-il. À mon tour de te demander à quoi tu penses. Donnes-tu un nom à tes aiguilles aussi ?

Lentement, elle se tourna vers lui. La seringue sous les yeux, elle donna quelques chiquenaudes sur la paroi pour chasser les bulles d'air.

— Non, répondit-elle. Et mon véritable nom est Mishka, mais tout le monde m'appelle Le'Ace.

À peine ces paroles lui avaient-elles échappé qu'elle se maudit de les avoir prononcées. Sa véritable identité était une information d'ordre confidentiel, et il n'avait pas à être dans la confidence. Pourquoi n'avait-elle pu résister à la tentation de lui dire son vrai nom ? Et pourquoi, soudain, mourait-elle d'envie d'entendre cet homme le prononcer ?

— Quel genre de nom est-ce là ?

Cela, ce n’était pas la réaction qu'elle avait espérée... Pour masquer son irritation, elle passa la langue sur ses dents.

— Un nom approprié, dit-elle.

Dans la manche de ses créateurs, elle était un atout dissimulé.

— Qu'est-ce que tu comptes faire ? reprit-il. Réponds-moi, cette fois !

— Sinon ?

En guise de réponse, il ne lui offrit qu'un grognement menaçant. Le'Ace poussa un soupir et ajouta :

— Je vais te faire dormir. OK ?

Un autre que lui, elle l'aurait laissé, livré à lui-même - éveillé - le temps de nettoyer le terrain. Outre le fait qu'elle ne supportait pas de le voir souffrir, il n'était pas à exclure qu'il s'arrange en son absence pour tenter de lui échapper ou pour se cacher.

— J'ai dit que j'allais marcher, assura-t-il avec une détermination intacte. Je ne te créerai pas d'ennuis.

— Ta cheville est bousillée et je ne peux pas prendre le risque que tu ne te tiennes pas tranquille.

Tout aussi déterminée, elle s'approcha de lui et reprit :

— Je vais te tirer de là, ne t'inquiète pas. Pour te donner du courage, imagine que Cathy, ta petite fée, sera là à ton réveil pour t'embrasser le front et distiller sa magie.

Le corps brisé de Jaxon se raidit soudain, menaçant.

— Comment es-tu au courant ? gronda-t-il. Je n'ai pas vu Cathy depuis des mois.

Le'Ace haussa imperceptiblement une épaule en se campant devant lui. Seul un souffle les séparait encore.

— Je sais un tas de choses sur toi, assura-t-elle. Et sur elle aussi. Elle était ta « fée », et toi son « agent ».

Autant elle avait détesté tout ce qu'elle avait appris sur Cathy Savan-Holt, autant elle avait apprécié découvrir le portrait-robot de Jaxon : courageux, loyal, intrépide. Des qualités rares chez un homme. Elle ne l'ignorait pas.

— Lorsque j'accepte une mission, expliqua-t-elle, j'apprends tout ce qu'il m'est possible d'apprendre sur ceux qui sont concernés. Ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est pourquoi tu as passé un an avec cette fille. Cinq minutes en sa présence, et je pourrais me couper les veines. Elle ne parle jamais que pour se plaindre. Elle est condescendante et d'un abord glacial.

Sa phrase à peine achevée, Le'Ace réalisa que les doigts blessés de Jaxon s'étaient refermés sur son poignet ganté afin de tenir la seringue à distance. Comment avait-il pu agir si vite et sans qu'elle le remarque ? Mais surtout, pourquoi ce simple contact lui faisait-il un tel effet ?

Ce que Jaxon ignorait, c'est que le bras qu'il tenait était en partie mécanique et que rien n'aurait pu l'arrêter. Il ne pouvait pas non plus savoir que c'était elle qui autorisait ce contact, incapable qu'elle était de se soustraire au trouble qu'il suscitait en elle.

— Parlons un peu de tout ça, suggéra-t-il.

— Pas le temps.

Le'Ace détestait être déstabilisée et ne le permettait que lorsque les nécessités d'une mission l'exigeaient. Car quand son boss lui ordonnait de faire quelque chose, elle s'exécutait sans hésiter. Toujours. La puce implantée en elle ne lui permettait pas d'adopter une autre ligne de conduite. Et la désobéissance se payait trop cher.

Une vague d'amertume bien connue la submergea. Je ne suis qu'un pion. On ne lui avait pas ordonné de laisser Jaxon user d'elle à sa guise, mais elle se retrouvait d'une certaine manière plus désarmée que jamais. Au contact de ses doigts, une chaleur et une force inexorable passaient la barrière du gant, puis du métal, pour se faire sentir jusque dans la moelle de ses os.

L'espace d'un instant, elle entretint la folle espérance qu'il puisse être celui qui combattrait ses démons et la libérerait enfin... Prendre ses rêves pour la réalité ne menait jamais qu’à la désillusion.

— Te voilà encore dans la lune... marmonna-t-il.

Merde ! Ce n'était pas son genre. Jamais elle ne se permettait la moindre absence au boulot. Pourtant, avec lui, cela lui était déjà arrivé à plusieurs reprises. Comme son dossier le prétendait, sa présence devait avoir quelque chose d'apaisant.

Contrairement à ce qu'elle avait prétendu, elle prit le temps de lui expliquer :

— Si je dois m'inquiéter que tu puisses t'en prendre à moi ou tenter de m'échapper, je ne pourrai affronter tes ravisseurs au mieux de mes capacités.

— Tu n'iras pas te battre seule contre eux. S'inquiétait-il pour elle ? Une première... Totalement superflue, mais touchante.

— Crois-moi, c'est mieux ainsi, affirma-t-elle.

Elle fit jouer les mécanismes de son poignet de métal pour se libérer, mais Jaxon tint bon.

— Tu ne tiens pas vraiment à me droguer, Le'Ace. Sur ses lèvres, son nom avait la ferveur d'une prière qui la fit frissonner. Quand il lui avait suggéré de le libérer de ses chaînes, elle s'était trouvée totalement subjuguée. Une part d'elle-même n'avait alors aspiré à rien d'autre qu'à lui obéir. Et voilà qu'il remettait cela... Un doute survint.

Est-ce un alien ?

Aucune possibilité. Biochimie intégralement humaine.

Qui était-ce, pour que sa voix seule exerce une telle influence sur elle ?

— Je dois le faire.

En jouant des doigts de sa main libre, elle fit pivoter le chaton d'une bague, exposant l'aiguille qui se trouvait dessous.

— Je ne te lâcherai pas, menaça-t-il. Je peux rester comme ça toute la nuit s'il le faut.

— Je n'ai pas besoin que tu me lâches, répondit-elle. Alors agis ! Fais-le !

Les yeux plongés au fond des siens, elle ne put accomplir son geste.

J'ai besoin d'un réglage... J'ai des ratés.

Brusquement, Le'Ace se demanda quel effet cela lui ferait de l'embrasser. Une partie d'elle-même restait troublée par la voix de Jaxon. Elle sentit un désir imparable fuser en elle et se répandre dans son corps.

Il faut que ça cesse, avant que tu fasses quelque chose de vraiment stupide ! S'obligeant à agir, elle leva le bras - dans un geste vif et précis - et planta l'aiguille de sa bague dans la veine qui puisait à la base du cou de Jaxon.

Celui-ci se raidit, écarquilla les yeux, émit un sifflement de colère.

— Désolée, lui dit-elle. Juste pour information : je ne donne pas de nom à mes bagues non plus.

— Espèce de... garce !

Ses paupières papillotaient.

— La seringue contient un analgésique et une solution antibiotique, expliqua-t-elle. Rien de plus. C'est la bague qui aide à dormir...

— Tu m'as... roulé, marmonna-t-il, la voix pâteuse.

— Non, rectifia-t-elle. Je t'ai sauvé.

Les muscles de Jaxon se détendaient. Il ferma les yeux et ne les rouvrit plus. Il tenta jusqu'au bout de lutter contre l'engourdissement qui le gagnait en s'accrochant à elle de toutes ses forces, dans un combat perdu d'avance. Son menton s'affaissa, ses doigts se décrispèrent et l'un de ses bras retomba lourdement. De nouveau, il la stupéfiait par sa résistance et sa force de caractère.

Aussi doucement que possible, elle l'accompagna dans sa chute, veillant à ménager ses os brisés. Elle se sentait réellement désolée pour lui. C'était un gâchis de devoir museler une telle puissance, fût-ce provisoire.

En soupirant, elle enfonça la longue aiguille dans le bras de Jaxon et vida sa seringue.

Elle aurait voulu s'attarder près de lui, pour l'étudier à son aise. Pour elle, il était une énigme - un mystère humain des plus sexy -, et elle détestait que quoi que ce soit lui résiste. C'est juste un job de plus, tenta-t-elle de se raisonner. Il fallait qu'il en soit ainsi. Elle était mauvaise, corrompue, et coupable de tant d'atrocités. Il valait mieux pour un homme ne pas se frotter à elle, car plus il s'attardait, plus le risque était grand qu'elle le trahisse un jour.

Élevée dans un laboratoire, Le'Ace n'avait jamais eu de petit ami, n'avait même jamais rêvé en avoir un. Si on lui ordonnait de tuer Jaxon, si on lui donnait l'ordre de coucher avec un autre homme alors qu'ils étaient engagés l'un envers l'autre... elle obéirait.

Elle détestait ces missions-là plus que tout. Elle vomissait ses tripes chaque fois qu'une de ses entreprises s'achevait.

Assez ! Si elle continuait à s'apitoyer sur elle-même, elle allait tout faire foirer.

Laissant Jaxon derrière elle, Le'Ace alla ramasser sa sacoche. Thomas et ses sbires la connaissaient en tant que Marie l'Exécutrice, l'une des multiples identités qui lui servaient de couverture. Elle avait toute leur confiance parce qu'elle avait rempli quelques contrats pour eux ces dernières années, toujours avec succès. Pour donner de la crédibilité à son personnage, elle avait dû commettre pour leur compte un meurtre par-ci, une séance de torture par-là...

« Marie » avait accès à certaines informations dont les services gouvernementaux n'auraient jamais eu vent autrement : le kidnapping et le lieu de détention de Jaxon, par exemple. Pour acquérir ce statut privilégié, il lui avait fallu faire ce qu'on lui demandait avec le sourire, et en faisant croire qu'elle prenait son pied.

Désormais, « Marie » pouvait reposer en paix. Plus personne ne lui ferait confiance, mais le sacrifice en avait valu la peine. L'homme méprisable qu'était son boss lui avait réclamé Jaxon sain et sauf si possible. Non pas pour lui sauver la vie, bien sûr. Estap convoitait les secrets que l'agent de l'A.I.R. savait si bien préserver. Si Thomas n'avait pas réussi à le briser, elle doutait que son boss y parviendrait. Finalement, elle n'avait peut-être sauvé Jaxon des griffes des Délenséens que pour devoir l'exécuter plus tard.

Nouvelle lecture statistique.

Aucun changement.

Excellent !

D'un linge noir tiré de sa sacoche, elle sortit les pièces détachées de ses flingues, qu'elle commença à assembler. Bien qu'il lui ait fait confiance, Thomas s'était méfié des armes à feu autant que des scanners d'identification. Elle avait dû mêler les siennes à ses poignards. Après avoir achevé l'assemblage, elle inséra le cristal de détonation dans son pyroflingue, le chargeur dans son Glock et elle rangea le tout dans sa sacoche, le temps de sangler un poignard, sous ses manches, à chacun de ses poignets. Enfin, elle empoigna ses deux armes à feu et, après un dernier coup d'œil à Jaxon - sa poitrine se soulevait régulièrement -, elle sortit.

Quelqu'un d'autre est-il entré depuis tout à l'heure ?

Négatif.

Restait donc à se débarrasser de quatre aliens et de deux humains. Faisable...

En haut de l'escalier, elle repoussa la porte conduisant au premier niveau du bâtiment. La pièce était vide. L'ameublement ancien et propre. De lourds rideaux cachaient toutes les fenêtres.

Localisation des occupants ?

Tous les six dans le quadrant sud-est.

Ce qui signifiait qu'ils étaient regroupés dans la cuisine. Une bonne chose, de les trouver tous dans un lieu clos.

Fermeture des capteurs... maintenant.

Capteurs éteints.

Elle ne tenait pas à avoir l'esprit distrait par un flot de données en phase d'approche. Elle voulait rester concentrée.

Après avoir rapidement traversé le salon et son couloir attenant, Le'Ace pénétra dans un hall où lui faisaient face trois entrées : un escalier menait à l'étage, une porte donnait sur un vestiaire bien tenu et... la double porte fermée de la cuisine. Silencieuse comme une ombre, elle se tint dos au battant, les sens aux aguets.

Des rires étouffés lui parvenaient. Pas d'affolement... Ce n'est que la routine pour toi. Après s'être composé un visage neutre, elle entra. Un nuage de fumée de cigarette l'enveloppa aussitôt et lui brouilla la vue. Peut-être, plus tard, pourrait-elle imaginer avoir rêvé...

Les rires jaillirent de nouveau, plus fort cette fois. Avant que ses adversaires aient pu la repérer, elle dissimula ses armes dans son dos et lança à la cantonade :

— Gentlemen !

Cinq hommes - trois aliens, deux humains - bondirent de leurs sièges, pris au dépourvu. Seulement cinq ? Bon sang ! Il en manquait un. Où était-il passé, celui-là ?

Avec la précision d'un microprocesseur, Le'Ace localisa dans l'espace chacune de ses cibles en moins d'une seconde. Les cinq hommes entouraient une table de poker. Dans le fond se tenait Jacob, le bras droit de Thomas. Sa peau était d'un bleu plus pâle que celle de son défunt chef, et il avait sept bras au lieu de six. Amusée, elle songea que chaque race devait avoir ses particularités.

Pour l'heure, deux de ses mains tenaient ses cartes, une autre une bière, la quatrième un cigare, deux autres encore lui massaient les épaules, et la septième brandissait un couteau vers elle. Jacob baissa sa garde en la reconnaissant.

— Tout va bien, Marie ? s'inquiéta-t-il.

Ayant vécu sur Terre toute sa vie, il s'exprimait sans la moindre trace d'accent. Ses comparses avaient eux aussi en main des cartes, des bières, des cigares et des couteaux. Mais comme elle n'avait pas beaucoup travaillé avec eux, ils se méfiaient davantage et ne baissèrent pas leurs armes.

— Oui, répondit-elle. Tout va bien. Où est ton ami, le grand avec qui je t'ai vu ce matin ?

— Aux toilettes.

— En haut ou en bas ?

— En haut, dans la chambre d'amis, répondit Jacob, en proie à la confusion. En quoi est-ce important ?

— Ça ne l'est pas. Attends-tu d'autres amis ?

— Non.  Dis-moi ce qui se passe...  Où est Thomas ?

— En enfer. Tu lui diras bonjour de ma part. Le'Ace fit jaillir ses armes de derrière son dos, les croisa aux poignets et commença à actionner les détentes. Blam ! Blam ! Blam ! Progressivement, elle élargit l'ouverture de ses bras pour arroser toute la pièce, une moitié sifflant du bruit de ses balles, l'autre s'illuminant des rayons orange et or de son pyroflingue. C'est juste un cauchemar...

Les cinq hommes tressautaient sous les impacts et grimaçaient de douleur. Couteaux, bières et cartes allèrent s'éparpiller sur le sol en un ballet discordant. Le sang jaillissait à flots des blessures par balles. La chair grillait sous la morsure des rayons. Elle aurait pu en avoir la nausée, hélas cette odeur répugnante lui était familière.

Elle ne cessa de tirer que lorsque chacune de ses cibles se trouva inerte sur le sol. À présent que le Glock s'était tu, le silence paraissait assourdissant. Le nuage de fumée qui s'élevait toujours rendait la scène plus irréelle encore.

Capteurs enclenchés. Empreintes énergétiques ?

Quatre ont disparu.

La cinquième ?

Tout au fond à droite. Faible.

Le'Ace vérifia le chargeur de son Glock, dans lequel il ne restait qu'une balle. Après l'avoir refermé, elle pointa son arme, visa et tira. Blam ! La balle alla se loger entre les deux yeux du blessé. Un jet de cervelle éclaboussa le mur derrière lui. Alors qu'un dernier spasme le secouait, il déféqua. Cette fois, elle eut envie de vomir.

Au-dessus de sa tête, un bruit de pas précipités se fit entendre. Le'Ace ferma les yeux un instant. Le travail n'était pas terminé ; la réalité, comme les rêves, s'affranchissait de toute volonté.

Probabilité d'une attaque ?

23 %. La cible semble chercher à se cacher.

Augmentation du volume auditif.

Un instant plus tard, elle entendit grincer les gonds d'une porte de chambre au premier. Un pas, un autre, un autre encore. Pause. Swoosh !

32 %.

Nouveaux bruits de pas en rafale.

38 %. 39 %. 46 %. En rapide progression. La cible semble prête à la confrontation.

Le'Ace rengaina son Glock déchargé et se plaqua contre le mur. Son rythme cardiaque s'accéléra, stimulé par une poussée d'adrénaline. Jusque-là, tout s'était déroulé sans anicroche. Mais au fil des années, elle avait remarqué que chaque mission comportait au moins une complication.

Ce devait être celle-ci...

Les pas se rapprochaient. Une nouvelle pause, plus longue, puis un juron étouffé. Alors, comme s'il avait brusquement changé d'avis, le Délenséen renonça à se porter au secours de ses amis et fit demi-tour.

31 %. En constante diminution.

Le'Ace grinça des dents. Bon sang ! Ce pleutre allait l'obliger à lui donner la chasse. Brandissant son pyroflingue, elle sortit lentement et en silence de la cuisine. Coup d'œil à gauche, puis à droite : la voie était libre.

Au-dessus d'elle, une porte se referma et un bruit de verrou se fit entendre. Tout cela, elle en percevait l'écho sonore aussi bien que lui. Finissons-en !

Le'Ace se glissa sous l'escalier, dans la pénombre. Prête à tirer s'il le fallait, elle se servit de sa main libre pour prendre dans sa botte un petit boîtier aplati. Elle s'était entraînée à se servir de l'engin dans le noir, aussi trouva-t-elle sans difficulté sous ses doigts les boutons d'activation.

Un pâle holo-écran carré apparut bientôt au-dessus du clavier. Un quadrillage de lignes noires et de lumières bleues s'y dessina tandis que le système de repérage passait la maison au crible, à la recherche de toute trace de chaleur corporelle, de mouvement ou de voix. Toutes les lumières se confondirent au bout d'un moment en un point, localisant la présence de l'alien au premier, dans la dernière chambre au bout du couloir.

Il demeurait immobile au centre de la pièce. Connaissant la maison, Le'Ace savait qu'un lit se trouvait là. Sans doute avait-il rampé dessous pour se cacher.

L'espace d'un instant, elle hésita à jouer le chat avec cette innocente souris. Tu connais les ordres, Le'Ace, lui serina la voix de la raison. Pas de survivants. De toute façon, cette souris-là n'était en rien innocente. Tous les occupants de la maison s'étaient servis à tour de rôle de Jaxon comme d'un punching-ball. Et à en juger d'après l'étendue des dégâts, ils avaient pris leur pied...

Le'Ace sentit refluer ses réticences et le dégoût qu'elle avait d'elle-même. Après avoir éteint le scanner, elle le remit en place et entreprit de gravir l'escalier, silencieuse comme une ombre. Subrepticement, elle se demanda ce que Jaxon aurait pensé de la voir opérer. Aurait-il été impressionné ou dégoûté ? Héroïne ou meurtrière à ses yeux ? Les hommes pouvaient agir à leur guise ; si c'était pour le bien de l'humanité, ils étaient portés aux nues. Mais qu'une femme s'aventure à la frontière entre le bien et le mal, quel qu'en soit le motif, et elle devenait une réprouvée. Eve et sa pomme, Pandore et sa boîte en savaient quelque chose.

Jaxon avait un tableau de chasse impressionnant – plus de soixante aliens malveillants anéantis -, même s'il avait pour principe de ne délivrer le coup de grâce qu'en dernier ressort. Il préférait faire prisonniers ceux qu'il traquait. Il me ferait la morale, décida-t-elle finalement. Peut-être m'interrogerait-il pour connaître mes motivations.

Son dossier l'affirmait : pour mener un interrogatoire, Jaxon Tremain n'avait pas son pareil. Qu'il opte pour un discours musclé jouant sur l'intimidation et la colère ou pour des paroles enrobées de miel, il parvenait à ses fins. Sa voix ensorcelante et sa nonchalance étudiée devaient l'aider à ce que ses victimes révèlent leurs plus noirs secrets.

Si les extraterrestres étaient seulement moitié moins sensibles qu'elle à ses méthodes, ils devaient lui confier tout ce qu'il désirait savoir, et avec le sourire. Elle-même avait été à deux doigts de craquer. Quelques minutes de plus avec lui, et elle se serait laissé convaincre. Elle avait du mal à l'admettre, car elle détestait être faible.

Elle avait reproché à Thomas les yeux tuméfiés de Jaxon parce que Marie était censée être une garce sadique et aimer lire la souffrance dans le regard de ses victimes. En réalité, c'était pour une tout autre raison qu'elle avait été déçue de le découvrir ainsi. Elle savait qu'il avait les yeux bleus, mais une photo ou un hologramme ne pouvaient rendre l'intensité du regard d'un homme. Elle aurait aimé découvrir jusqu'à quel point celle-ci vibrait en lui, même si elle soupçonnait que cela n'aurait fait que la mettre davantage en émoi.

Un gémissement la tira de ses pensées. Arrête de penser à lui et termine ton travail !

Arrivée devant la porte de la chambre où l'X-tro avait trouvé refuge, elle se figea pour écouter. Aucun bruit. Il devait être encore sous le lit. Il était temps d'y aller.

D'un grand coup de pied, Le'Ace défonça la porte, qui alla buter contre le mur. Sous le lit - elle avait vu juste -, un autre gémissement.

Elle avait pris soin d’ôter la sûreté de son arme et elle n'eut qu'à presser la détente. Une fraction de seconde plus tard, un rayon d'un jaune orangé creusait un trou au centre du matelas. Réalisant qu'il allait être transformé en torche s'il ne bougeait pas, le Délenséen poussa un petit cri et se dégagea en roulant sur lui-même. Dans son empressement, il se retrouva immobilisé, un bras prisonnier du tapis. Il lutta pour se libérer en lançant à Le'Ace des regards terrifiés.

— S'il vous plaît, non... gémit-il, comme s'il n'avait pas fait bien pire au cours de son existence.

Sans hésiter, elle pressa une nouvelle fois la détente. Le rayon transperça l'alien. Il poussa un tel cri d'agonie qu'elle en fut elle-même secouée. Son corps se tordit longuement sur le sol avant de s'immobiliser enfin. À l'endroit où aurait dû se trouver son cœur, il n'y avait plus qu'un trou noir et fumant.

Empreinte énergétique ? demanda-t-elle à la puce.

Éteinte, répondit celle-ci.

Tout était fini. Le'Ace poussa un soupir et laissa retomber son bras, au bout duquel son arme pesait soudain une tonne. Une goutte de sueur roula entre ses seins et se perdit sur son ventre. Elle prit soudain conscience que sa mission n'était pas tout à fait terminée. En hâte, elle redescendit au sous-sol. Qu'allait-elle y trouver ? Jaxon était-il parvenu à lui échapper ? Était-il mort ? Avec soulagement, elle le découvrit encore inconscient, exactement où elle l'avait laissé.

Elle détacha l'oreillette insérée dans la bretelle gauche de son soutien-gorge et l'introduisit dans son oreille. Automatiquement, le numéro de téléphone de son boss fut composé.

— Alors ? demanda-t-il en guise de bonjour. Pas de politesses superflues avec elle...

— Mission accomplie.

— Bien, se réjouit-il. C'est bien.

— Il me reste à procéder à l'extraction, précisa-t-elle. Je prendrai de nouveau contact quand tout sera terminé.

— Non. Les plans ont changé.

Le'Ace réprima un gémissement de consternation. Son regard se porta sur Jaxon. Qu'allait-on lui ordonner de lui faire encore ? Il avait déjà enduré tant de choses... De la compassion, Le'Ace ? De mieux en mieux...

— De quelle manière ? s'enquit-elle.

— Deux autres femmes contaminées ont été capturées. Elles ne cessaient de marmonner que c'était à présent au tour de la Terre. Au tour de quoi ? Impossible de le leur faire dire. Jaxon a été le seul capable de faire parler ces femmes et je suis prêt à parier qu'il n'a pas tout dit de ce qu'il a appris. Tu dois l'y obliger.

— Quel est le plan ? demanda-t-elle en s'efforçant de ne pas trahir son appréhension.

— Quoi qu'il te faille faire pour ça, brise-le. Apporte-moi les réponses que j'attends.

Quoi qu'il te faille faire pour ça. Combien de fois avait-elle déjà entendu cette phrase dans la bouche d'Estap ? En temps normal, cet ordre la rendait malade. À cet instant, elle aurait volontiers poussé un cri de joie. Davantage de temps passé en compagnie de l'énigmatique Jaxon ? Elle était partante, et comment ! Stupide midinette... Qu'allait-elle devoir faire à l'inflexible agent de l'A.I.R. pour l'obliger à parler ?

— Que devient Tutor ? s'inquiéta-t-elle soudain.

— Tu iras le rejoindre juste un peu plus tard que nous ne l'avions pensé.

Ce qui signifiait qu'il lui faudrait reprendre tout à zéro avec le personnage aussi répugnant que méfiant qu'était Tutor. Une fois encore, il lui faudrait flirter avec un homme qu'elle méprisait, juste pour regagner sa confiance et se faire de nouveau une place dans sa vie. Sans doute se demandait-il où elle était passée et ce qu'elle faisait. Elle avait dû le quitter brutalement et sans donner d'explication pour ne pas prendre le risque qu'il la retienne.

— Jaxon est blessé, monsieur. Il peut à peine parler. Sa voix avait-elle tremblé, comme elle le craignait ?

— Soigne-le et fais-le parler, ordonna Estap. Je te l'ai dit : utilise tous les moyens nécessaires.

— Et si je refuse ? répliqua-t-elle, même si elle connaissait déjà la réponse.

Avec un peu de chance, sa provocation cacherait à quel point il lui tardait - pour une fois - d'obéir à ses ordres. Il n'était pas rare qu'elle provoque ainsi son boss. Parfois, elle le détestait plus que l'idée de mourir.

— On se prend de nouveau pour une femme, Le'Ace ? Elle serra les dents pour ne pas hurler. Ce salaud n'était pas son premier propriétaire. Ceux qui l'avaient précédé étaient morts. Malheureusement, pas de la main de Le'Ace. Il savait qu'elle était un bébé-éprouvette et la considérait en conséquence comme un objet, une machine.

— Tu sais que je déteste quand tu fais ça, reprit-il d'une voix faussement attentionnée. Et tu dois savoir que j'ai à l'instant même ton panneau de contrôle sous la main.

Au fil du temps, il était arrivé à Le'Ace de voir son boss interagir avec d'autres, ses pairs à elle, comme il disait, et qu'il traitait avec affection. Cela ne paraissait pas être un rôle. Ses sourires, ses compliments, ses attentions semblaient sincères. C'était ce qui la stupéfiait le plus chez lui, elle qui n'avait droit qu'à son mépris et à ses menaces.

— Je n'ai qu'à appuyer sur un bouton pour que tout s'arrête pour toi... menaça-t-il. Ne l'oublie pas.

— C'est ça ! le défia-t-elle. Une pression sur un bouton et votre androïde à plusieurs millions de dollars disparaît. Plus de basses besognes, plus de passes sordides pour votre compte. N'oubliez pas ça !

Une vive douleur se déclencha aussitôt sous son crâne, qui la fit gémir sourdement. Elle aurait dû se méfier... Chaque manifestation d'indépendance de sa part était punie de la même manière. Ne supplie pas ! s'ordonna-t-elle mentalement. Surtout, ne t'abaisse pas à le supplier !

La douleur s'éternisa, ravageant son cerveau, annihilant la haine et le ressentiment que lui inspirait Estap. Plus rien ne comptait pour elle que l'instant où cette torture cesserait. Des points noirs apparurent en périphérie de son champ de vision. Son cœur se serra, comme écrasé par un poing géant. Ses poumons cessèrent de fonctionner. Encore une minute, et son crâne éclaterait. Encore un instant, et...

— Stop ! s'entendit-elle supplier.

En vain. La douleur se répandit. On aurait dit que des lames poignardaient ses os jusqu'à la moelle. Ses jambes vacillèrent. Ne fais plus un bruit ! s'intima-t-elle rageusement. Ne dis plus un mot ! Elle pressa ses lèvres l'une contre l'autre. Des larmes noyaient ses yeux. D'une seconde à l'autre, elle allait s'évanouir. C'en était trop ! Trop de souffrance, de...

S'il vous plaît !

Elle avait supplié. Aussi soudainement qu'elle était apparue, la douleur cessa. Le'Ace se retrouva pantelante, l'esprit étourdi, les vêtements moites. Intérieurement, elle se sentait paralysée.

— Tu disais, Le'Ace ? fanfaronna Estap.

Elle se retint de respirer et serra les dents pour se forcer au calme. L'indifférence et la torpeur étaient ses seules alliées. Elle ne devait pas l'oublier et ne l'oublierait plus. Du moins l'espérait-elle.

— Vous aurez vos réponses. Monsieur...