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En passant en revue les gens qu'il avait convoqués chez lui, Dallas secoua la tête avec agacement. Je n'en avais pas demandé tant... Il avait rassemblé les protagonistes de sa vision fatale. S'en apercevoir à présent le rendait malade.
Comme il s'en était douté, Mia Snow avait tout de suite pris ses dispositions pour le rejoindre. La jeune femme, n'ayant pas beaucoup d'amis, protégeait férocement ceux qu'elle avait. Elle avait amené avec elle un véritable petit arsenal - ce qui était une bonne chose -, ainsi que son amant extraterrestre - ce dont il se serait bien passé.
Pour partie, le sang arcadien de Kyrin courait dans les veines de Dallas. En conséquence, chaque fois qu'il se trouvait en sa présence, il n'avait qu'une envie : tomber à ses pieds et devenir l'esclave soumis de ce putain d'X-tro ! Ce qui était pour le moins... perturbant.
Pour l'heure, le couple était confortablement installé sur son sofa. Petit bout de femme aux cheveux noirs, Mia se lovait amoureusement contre Kyrin, géant à la chevelure de neige. Examiner avec dédain les autres invités comme ils le faisaient ne les empêchait nullement de se peloter, ce que Dallas avait du mal à supporter.
Face à eux se trouvait Eden Black, alien de la race des Raka et tueuse appointée sous ses dehors d'ange à la beauté renversante. Dorée de la tête aux pieds - des cheveux à la peau en passant par les yeux -, ses traits rivalisaient en perfection avec ceux de Dallas lui-même. Devoir constater la vérité, ce n'était pas se vanter...
Bien qu'il ne l'ait jamais rencontrée, c'était elle qu'il avait vue dans sa vision maintenir au sol un Jaxon qui luttait pour se libérer et criait contre elle. Tout naturellement, il en avait conclu qu'elle était l'ennemie. À présent, il lui fallait bien réviser son jugement. Peut-être -dans un avenir hélas à peu près certain - n'agirait-elle ainsi que pour sauver la vie de leur ami.
Jack Pagosa avait toute confiance en Eden. Dallas avait lui-même effectué quelques recherches à son sujet. Elle était censée être la fille adoptive pourrie gâtée d'un marchand d'armes, mais il savait que ce n'était qu'une couverture. Dans l'ombre, elle était une traqueuse et une exécutrice redoutable. Ceux qui avaient eu l'occasion de travailler avec elle répondaient de sa fiabilité et de son honneur.
Eden, elle aussi, s'était fait accompagner par un homme à cette réunion. Dallas ne connaissait Lucius Adaire ni d'Eve ni d'Adam, pourtant il l'avait également aperçu dans sa vision. Partenaire d'Eden et tueur impitoyable, il n'avait pas l'apparence angélique de la Raka. Lui avait plutôt l'air d'un féroce guerrier capable d'avaler ses ennemis au petit déjeuner. Les motifs violemment colorés de ses tatouages dépassaient de l'encolure et des manches de son tee-shirt. Des piercings ornaient ses arcades sourcilières et ses yeux étaient si sombres que l'iris semblait se fondre avec la pupille. De lui également, Dallas n'avait entendu dire que du bien.
Avec ce couple hors norme était arrivé un homme que Dallas n'avait jamais vu, ni dans la réalité ni dans ses visions. Devyn se prétendait de sang royal, bien que nul n'eût été en mesure de dire de qui ou de quoi il était roi.
Aussi grand et athlétique que Lucius, avec des cheveux châtains et des yeux couleur ambre, il avait le teint très pâle. Si pâle, même, que sa peau semblait luire, comme celle d'un personnage elfique. Les femmes devaient adorer cela, mais Dallas ne lui enviait pas cette particularité.
Si Lucius paraissait capable de toutes les violences, Devyn irradiait d'irrévérence et d'humour caustique, comme si tout, autour de lui, n'était qu'un jeu spécialement préparé à son intention. Sous cette apparence, Dallas était conscient que se cachait quelque pouvoir surnaturel dont la nature lui échappait. Tout ce dont il pouvait être sûr, c'est que pour le meilleur comme pour le pire, il allait devoir faire confiance à cet aréopage qu'il avait convoqué.
— Avons-nous fini de nous jauger les uns les autres ? demanda Mia avec son habituelle brusquerie.
— Moi je n'ai pas terminé, répliqua Eden d'un ton désinvolte.
Super... Deux femelles alpha, également déterminées à prendre les commandes. D'ordinaire, Dallas aurait apprécié la perspective d'un beau combat. Mais pour l'heure, il n'avait en tête que d'empêcher que sa vision se réalise, ce qui supposait un minimum d'ordre et de discipline.
— Miam... murmura Devyn avec gourmandise. Crêpage de chignon en perspective.
Tout sourire, il se carra dans son fauteuil et croisa les bras derrière sa nuque.
Dallas, les tempes déjà douloureuses, se passa une main sur le visage.
— Écoutez, dit-il. Nous sommes ici pour Jaxon. Alors si vous avez envie d'un petit duel, voyez ça plus tard.
Un silence penaud s'installa, qu'il choisit d'interpréter comme un assentiment. Satisfait, il prit une position plus confortable sur sa chaise pliante et étendit les pieds sur la table basse. Tous le regardaient. Pour une fois, il s'était conduit en hôte poli, offrant à ses invités les sièges les plus confortables. Bon, d'accord... en fait, ils l'y avaient un peu forcé en s'y installant d'eux-mêmes.
— Je vais vous faire écouter son message, reprit-il. Tendant le bras, il pressa une touche sur son médiacom.
— Je n'ai qu'une minute, annonça la voix profonde de Jaxon. Elle est sous la douche. Je vais bien. Je me remets doucement. Mes ravisseurs sont morts. Je pense qu'il y a autre chose à découvrir. Tant que je n'aurai pas trouvé quoi, je ne chercherai pas à m'enfuir. Si des femmes humaines au comportement étrange sont capturées, aucun agent ne doit être admis dans leurs cellules.
Une courte pause, puis :
— Merde ! Le brumisateur vient de s'arrêter. Je rappellerai dès que possible.
Le message terminé, un autre long silence retomba dans la pièce.
— « Elle » ? répéta enfin Mia. « Merde » ? Depuis quand Jaxon jure-t-il ainsi ?
— Tu as pu remonter l'appel jusqu'à sa source ? s'enquit Lucius, faisant fi des questions hors sujet de Mia.
Dans un haussement d'épaules, Dallas répondit :
— Le signal a transité par la Nouvelle Chine et ce qui reste de Singapour. Mais j'ai pu découvrir deux ou trois autres petites choses...
Il leur fit part des circonstances de l'enlèvement, des cellules de peau bleue délenséenne découvertes au domicile de Jaxon, et du mystérieux dossier sur lequel il travaillait avant sa disparition.
— Jack n'a pas donné plus de détails ? s'enquit Mia.
— Il a simplement dit que les dons « particuliers » de Jaxon étaient requis sur ce cas.
— En d'autres termes, il devait interroger quelqu'un.
— Ou « quelques-uns », rectifia Dallas.
— Et Jaxon n'a parlé de cette affaire à aucun de vous ? voulut savoir Eden.
— Non, répondirent-ils à l'unisson.
Ces cachotteries étaient plutôt inhabituelles de la part de Jaxon. Depuis qu'avec Dallas ils étaient comme deux frères, ils partageaient leurs infos et veillaient chacun sur le derrière de l'autre. Dans l'esprit de Dallas, il n'y avait donc qu'une seule raison pour qu'il ait pu ne rien lui dire : que cette information ait pu mettre sa vie en danger.
— J'ai fait de mon côté quelques investigations, dit-il sans entrer dans les détails de 1'« interrogatoire » de Jack Pagosa. L'un d'entre vous a-t-il entendu parler d'une nouvelle race d'aliens appelée « Schôn » ?
Un grognement monta des lèvres de Lucius.
— Votre ami est dans de sales draps si c'est sur eux qu'il travaille, expliqua-t-il. Cela expliquerait son silence vis-à-vis de nous. Il veut mettre les agents de l'A.I.R. à l'abri d'humaines « au comportement étrange ».
— Pourquoi ? s'étonna Mia en se redressant. Qui sont donc ces « Schôn » et de quoi parlez-vous ?
Lucius se tourna vers Eden et demanda :
— Tu veux t'en charger ?
Le visage sombre, elle acquiesça d'un signe de tête avant de laisser courir son regard doré sur l'assemblée.
— J'ai été élevée sur Terre, raconta-t-elle. Mais j'ai eu un précepteur rakan qui m'a enseigné tout ce qu'il faut savoir de ma planète d'origine, de son peuple et de son histoire. Selon lui, Raka était une planète paisible, dirigée par un monarque absolu qui interdisait aux autres races de séjourner chez nous ou à ses sujets de partir explorer d'autres planètes. Ce qui n'empêchait nullement certains d'entre eux d'essayer.
— Euh... devons-nous réellement nous cogner une leçon d'histoire en bonne et due forme ? intervint Dallas.
L'impatience le gagnait. Eden était manifestement en possession d'éléments essentiels, et il lui tardait qu'elle se décide à les partager.
Le regard noir de Lucius, aussi concentré et menaçant qu'un rayon laser, se focalisa sur lui.
— Tu ferais bien de surveiller tes paroles ! lança-t-il d'un ton menaçant.
— Et la leçon d'histoire n'est pas superflue, enchaîna Eden.
Dallas leva les mains en signe de capitulation.
— D'accord, désolé... dit-il. Continue.
Eden se blottit plus confortablement contre la poitrine de Lucius avant de poursuivre :
— Il y a quelques semaines, plusieurs Rakas sont passés par le trou de ver qui mène de leur planète à la nôtre. Ils ont débarqué à New Dallas et ils ont vu ma photo dans la presse. Puisque je me trouvais à un gala en faveur de l'égalité des droits pour les aliens, ils ont conclu que j'étais parfaitement intégrée dans la société humaine et ont voulu me contacter pour pouvoir faire de même. La guerre et la maladie les y avaient obligés.
— Que s'est-il passé ? s'enquit Dallas avec appréhension.
— Les Schôn sont subitement apparus sur Raka. Ils ont contaminé la population féminine et une petite partie des hommes avant de disparaître aussi soudainement qu'ils étaient apparus. Il n'y a eu que peu de survivants.
De mieux en mieux...
— Quel genre de maladie ? insista Dallas. Et quel était leur but ?
— Ces rescapés n'ont pu me dire grand-chose au sujet de la maladie et du virus responsable. Sur notre planète, celui-ci était inconnu et aucun traitement n'a pu en venir à bout. Ce qu'ils ont pu me dire, c'est que les Schôn semblaient avoir besoin de leurs femmes, puisqu'ils s'affaiblissaient au fur et à mesure que celles-ci mouraient.
Ces extraterrestres étaient donc venus sur Terre pour survivre, conclut Dallas pour lui-même. Pourtant, il avait l'intuition qu'il y avait une autre explication à leur présence, une explication qui leur échappait encore.
— J'ai rendu compte de tout ceci à mes supérieurs, poursuivit Eden. On m'a conseillé de laisser tomber et d'oublier ce que j'avais appris. Au fait... votre propre boss. Qui s'est chargé de le mettre au courant de la mission de sauvetage de votre ami ?
— Le sénateur Kevin Estap, répondit Dallas.
Eden pâlit brusquement, sa peau dorée virant au jaune éteint.
— Qu'est-ce qu'il y a ? s'inquiéta Dallas. Tu le connais ? Elle lui répondit d'un faible hochement de tête.
— Il s'occupe d'opérations spéciales, précisa-t-elle. Des missions dangereuses, dont personne ne veut.
— Dans ce cas, Jaxon pourrait être en grand danger, intervint Kyrin, sortant de son silence.
— Était-il sous isotope traqueur avant son enlèvement ? demanda Lucius en tripotant l'un de ses piercings.
Dallas et Mia échangèrent un regard d'incompréhension puis reportèrent leur attention sur lui.
Eden et Lucius se regardèrent d'un air entendu avant que celui-ci ne conclue :
— On vous tient vraiment dans l'ignorance de certaines choses à l'A.I.R.
Exaspérée, Mia lança les bras en l'air et s'exclama :
— Vas-tu nous dire enfin de quoi il s'agit ? Dardant sur elle un œil malicieux, Lucius répondit :
— Seulement si vous acceptez de lutter nues dans la boue, Eden et toi.
Cette dernière lui assena une tape sur l'avant-bras avant de répondre à sa place :
— Il s'agit d'un liquide rouge faiblement radioactif qui aurait pu lui être injecté. Ainsi, il aurait été possible de connaître à tout instant et durant des mois sa position précise. Mais puisque vous n'êtes pas au courant, j'en conclus qu'il n'a pas été placé sous isotope traqueur.
— Une chose est certaine, intervint Lucius. Si Estap est dans le coup, votre pote a dû avoir affaire à son bras armé : Mishka Le'Ace.
— Cela expliquerait le « elle » de son message, maugréa Mia après avoir lâché une bordée de jurons. Bon Dieu ! Jaxon est vraiment dans le pétrin.
Cela suffit à attirer l'attention d'Eden, qui demanda :
— Tu la connais ?
Une colère noire déforma les si séduisants traits de Mia.
— Et comment ! s'exclama-t-elle. Je l'ai eue comme instructrice pendant quelque temps et nous avons enseigné au même camp d'entraînement de l'A.I.R.
Elle avait dit cela sur un ton tellement chargé de haine que Dallas éprouva une certaine compassion pour la dénommée Le'Ace. Les ennemis de Mia ne vivaient pas vieux et leur agonie était toujours douloureuse.
— Et toi ? demanda-t-elle à Eden.
Celle-ci acquiesça d'un hochement de tête dans un envol de cheveux dorés.
— Oh oui ! La garce m'a tiré dans la jambe.
— Alors la garce devra le payer, maugréa Lucius, au grand plaisir de sa douce qui lui adressa un sourire attendri.
Songeant à la brune de sa vision, Dallas demanda :
— À quoi ressemble cette Le'Ace ? À une grande brune énergique qui aime jouer du flingue et du couteau ?
— Elle est blonde, rectifia Mia.
Simultanément, Eden répondit :
— Elle est rousse.
— Manifestement, elle change d'apparence, conclut-il. Pourtant, il aurait parié qu'il s'agissait bien de la femme qu'il avait aperçue dans sa vision. Étant donné le rôle joué par Estap dans cette affaire, il aurait été étonnant qu'il puisse s'agir de quelqu'un d'autre.
— Manifestement, admit Eden. Ta brunette porte-t-elle des tatouages dans le dos pour dissimuler des cicatrices ?
— Je n'en sais rien. Je n'ai eu qu'un aperçu de son visage, et il était l'image même de la perfection.
Eden haussa l'une de ses épaules frêles et convint :
— Cela lui ressemble.
Quelque chose clochait qui retint l'attention de Dallas.
— Attendez... Quel âge peut bien avoir cette femme ? Si elle était l'instructrice de Mia lorsque celle-ci était ado, elle devrait avoir dans les... quarante, cinquante ans ?
— Oui, mais l'âge importe peu, répondit Eden. Elle ne vieillit pas physiquement.
Dallas fronça les sourcils, désorienté. Tout le monde vieillissait physiquement. Enfin, presque... Kyrin, lui, ne souffrait pas du passage des ans. Grrr !
— Est-elle alien ?
— Non, je ne crois pas. Je suis incapable de dire ce qu'elle est exactement. La science, ce n'est pas mon truc.
— Pour quelle raison t'a-t-elle tiré dessus ?
— Ça, je ne le sais pas non plus. Nous accomplissions une mission. L'une des nombreuses pour lesquelles on nous a fait faire équipe ensemble.
Eden se rembrunit et ajouta :
— Ne me demandez pas de détails, je ne peux pas vous les donner. Quoi qu'il en soit, nous avions réussi et nous rentrions à la base lorsque sans raison elle s'est retournée vers moi, m'a tiré dessus et laissée pour morte.
Les bras de Lucius se refermèrent autour de la taille de la Raka. Le baiser qu'il déposa sur son front était plein de tendresse, mais devant l'éclat meurtrier du regard d'Eden, Dallas comprit que la dénommée Le'Ace allait payer cher ses méfaits.
— Cela lui ressemble bien, intervint Mia. Cette femme est une tueuse de sang-froid.
Eden approuva d'un hochement de tête et renchérit :
— Elle tuerait n'importe qui. Âge ou race : rien ne l'arrête.
Fantastique ! songea Dallas. Et Jaxon se retrouvait à la merci de cette petite ordure.
— L'un d'entre vous aurait son adresse ? s'enquit-il.
— Aurais-tu une carte de la ville ? répliqua Eden plutôt que de lui répondre.
— Naturellement.
Dallas se leva et eut vite fait de se rendre dans son bureau tant son appartement était exigu. Après avoir mis la main sur son holocam, il la ramena dans le salon, la déposa sur la table basse et appuya sur une série de boutons.
Un grand triangle bleu lumineux, parsemé de lumières éparses, se matérialisa au-dessus de l'appareil. Des lignes rouges matérialisaient les artères, et de petites billes noires de différentes tailles les immeubles et bâtiments. Il suffisait de taper du doigt sur cet écran tactile virtuel pour que se détachent des vues agrandies des zones sélectionnées.
Tout le monde s'était rassemblé autour de la table.
— Ici, ici, et ici... commenta Eden, en donnant trois chiquenaudes en différents endroits du plan. Dans cette ville, le sénateur Estap utilise ces trois planques. Il y en a peut-être d'autres, mais je n'ai visité que ces trois-là.
— Un appartement dans le centre, un chalet dans les bois et un grand terrain plat au milieu de nulle part... commenta Mia d'un air sceptique.
Eden eut un ricanement caustique.
— Crois-moi, ce terrain est tout sauf plat et il est des plus protégés. C'est un laboratoire.
— Dans ce cas, nous allons devoir nous séparer, conclut Dallas en se frottant les tempes.
La migraine revenait en force. .
— Pensez-vous que Jaxon puisse être tenu au secret parce qu'il a été contaminé ? demanda Eden, songeuse.
Cela n'avait rien d'impossible et cette éventualité suffisait à rendre Dallas fou d'inquiétude.
— Ne nous as-tu pas dit que seules les femmes contaminées mouraient sur Raka ?
— Tu as entendu ce que tu voulais entendre. Certains des hommes mouraient également.
Lucius secoua négativement la tête et rectifia :
— Rappelle-toi, bébé... Seuls quelques hommes sont morts de la maladie. La plupart ont péri parce que les femmes contaminées les ont mangés.
Mia en resta bouche bée.
— Mangés ? répéta-t-elle.
Eden tapa dans ses mains comme si la mémoire lui revenait.
— C'est vrai ! s'exclama-t-elle. Au dernier stade de la maladie, les femmes devenaient cannibales et faisaient des hommes leurs proies.
Ce cauchemar semblait ne pas avoir de fin...
— Il aurait pu être utile de nous faire part de ce « détail » plus tôt, maugréa-t-il.
Fermant les yeux, le nez dans sa main, il s'efforça sans succès de repousser la migraine qui lui vrillait le cerveau.
— Est-ce que ça va ? s'inquiéta Kyrin.
— Ça va, mentit-il.
— Tu es bien pâle, fit remarquer Mia.
— Ça va ! répéta-t-il. Je m'inquiète juste pour Jaxon. Le silence retomba dans la pièce. Manifestement,
Dallas n'était parvenu à tromper personne.
Soudain, il constata que Kyrin l'avait rejoint et le tenait par l'épaule, l'empêchant de basculer en avant.
Une faiblesse intense s’était emparée de lui jusque dans ses pieds.
— Puis-je te parler en privé ? demanda l'alien qui le maintenait.
Dallas prit appui fermement sur le sol et poussa tant qu'il put sur ses jambes jusqu'à se retrouver debout.
— Non ! répliqua-t-il aussi fermement qu'il le put. Assez perdu de temps. Allons nous équiper pour libérer Jaxon.
Il y eut une autre pause, comme une parenthèse dans le temps, puis Kyrin ordonna :
— Dallas, tu vas me suivre dans la cuisine où nous pourrons discuter tranquillement.
L'ordre se fraya un chemin dans son esprit et ses pieds se mirent en mouvement, sans qu'il n'ait rien contrôlé. Comme un automate, il suivit le petit ami de Mia. Et à chaque pas qu'il faisait, la migraine cédait du terrain, remplacée par une fureur noire.
Dès qu'ils furent arrivés, Dallas se libéra d'un geste sec de la main de Kyrin et s'emporta :
— Bordel ! C'était quoi ce cirque ?
Crânement, Kyrin haussa les épaules et répondit :
— Mon sang coule dans tes veines. Par conséquent, je suis ton maître de sang.
Dallas ouvrit la bouche pour lui dire crûment sa façon de penser, mais Mia l'en empêcha en surgissant dans la pièce, faisant battre violemment les portes derrière elle. Dallas préféra se taire, n'ayant nul besoin d'un témoin à cette scène humiliante.
— Mia... protesta mollement Kyrin.
— Dis-moi de sortir, et tu n'as pas fini d'en entendre parler, le prévint-elle en allant se percher résolument sur l'îlot central. Vous n'avez qu'à faire comme si je n'étais pas là.
— Les femmes... maugréa l'alien en se tournant pour faire de nouveau face à Dallas.
Très bien. Mia voulait assister à son humiliation ? Elle y assisterait. Mais il n'était pas décidé à capituler.
— Je ne suis pas ta marionnette, trouduc ! Si je suis ton raisonnement, tu dois avoir toi aussi un « maître de sang » puisque l'on t'a perfusé du sang humain pour te sauver.
— Il est resté un peu de mon sang dans mon corps lors de cette perfusion. Et comme il est dominant, il a vite pris le dessus sur le sang humain.
— Si tu le dis... N'empêche que tu ne me contrôles pas. Compris ?
Kyrin resta silencieux quelques instants. Ses yeux violets - de la couleur exacte qu'avaient prise les siens -se mirent à luire lorsqu'il ordonna :
— À genoux !
Il ne s'écoula pas une seconde avant que Dallas se retrouve agenouillé à ses pieds. Avec une grimace de douleur, il tenta de se relever, mais il lui fut impossible d'ordonner à ses muscles de se mettre en action. Son corps paraissait statufié.
— Tu me crois, à présent ? s'enquit l'alien en arquant un de ses sourcils.
— Oui... admit-il, les dents serrées, même si ce mot lui brûlait les lèvres.
— Debout !
Dallas se redressa, le poing serré et prêt à frapper. Lorsque les jointures de ses doigts entrèrent en contact avec le nez de l'alien, il eut la satisfaction de sentir le cartilage céder. À peine le sang avait-il jailli que Mia sauta sur Dallas et le cloua au sol en maintenant ses épaules sous ses genoux.
— Ne t'avise pas de recommencer ! menaça-t-elle d'une voix grondante de colère. L'Arcadien est à moi !
Le nez de Kyrin se remit de lui-même en place avec un craquement sec. L'épanchement de sang disparut comme par enchantement. Il ne restait plus rien de sa blessure.
— Je voulais seulement te dire que je sais à quel point ce qui t'arrive doit te déstabiliser, expliqua-t-il. Si tu as des questions à me poser, je suis à ta disposition.
Pour toute réponse, Dallas agrippa les cuisses de Mia à deux mains et tenta de les écarter pour se libérer.
— Fous-moi la paix ! s’écria-t-il. Je ne voudrais pas te faire de mal.
— Tu ne lui feras pas de mal ! ordonna Kyrin.
Les bras de Dallas retombèrent lourdement contre ses flancs. Mia le regardait en souriant d'un air suffisant.
— Tu ne pourras pas me faire de mal, triompha-t-elle.
— J'espère que vous rôtirez tous les deux en enfer !
— Ces migraines qui te pourrissent la vie... reprit Kyrin sans se laisser impressionner. Elles se produisent parce que tu rejettes tes visions. Accepte-les et les maux de tête disparaîtront.
Les accepter ? Plutôt crever !
— Pourquoi les accepterais-je ? protesta-t-il. Elles ne me montrent que la mort et la souffrance !
Mia le libéra et se redressa, le visage grave. Visiblement inquiète, elle lui tendit la main pour l'aider à se relever.
— J'ignorais que tu avais des visions, murmura-t-elle. Pourquoi ne me l'as-tu pas dit ?
— Tu n'as pas brillé par ta présence ces derniers temps, maugréa-t-il en s'asseyant sur le sol sans son aide.
Mia s'empourpra et protesta :
— Tu sais parfaitement pourquoi je suis partie !
Oui, il le savait. Mia avait quelque part dans ce Nouveau Monde des demi-frères et des demi-sœurs qu'elle se faisait fort de retrouver.
— Peu importe, de toute façon ! conclut-il avec un geste rageur de la main.
Kyrin, lui aussi, tendit le bras afin de l'aider. Comme il l'avait fait pour Mia, Dallas ignora son geste et se leva de lui-même, chancelant.
— Tu viens de bloquer une de tes visions, reprit l'alien après avoir retiré son bras dans un soupir. Lorsque cela se produit, c'est moi qu'elles viennent visiter. Tu veux savoir ce que c'était ?
— Non.
Quelque part au fond de lui, Dallas avait l'impression de savoir déjà. Le récit de cette vision pouvait avoir pour conséquence de le faire changer d'avis, de le transformer en lâche, de l'inciter à rester chez lui, loin de Jaxon. Cela, il ne pouvait l'admettre.
Sans tenir compte de sa réponse, Kyrin ajouta :
— Tu t'apprêtes à déclencher un effet domino. Si tu quittes cet endroit pour aller sauver ton ami, ta vie en sera transformée à jamais. Et pas pour le meilleur...