18

 

 

Le'Ace prit place à la table de Nolan, douloureusement consciente du regard de Jaxon qui lui transperçait le dos et provoquait chez elle toutes sortes de réactions physiques qu'elle ne pouvait réprimer. Son pouls battait follement à la base de son cou. Comme la serveuse, ses seins s'étaient dressés sous sa robe et ses joues avaient rosi.

Jaxon avait épaissi sa mâchoire, s'était fait un nez en bec d'aigle et avait changé la couleur de ses cheveux et de ses yeux, mais elle l'avait reconnu dès qu'elle était entrée. Un tel choc que ses genoux s'étaient heurtés et qu'elle en avait perdu le souffle. Il émanait de lui une aura de virilité qu'aidée de la puce elle parviendrait sans doute à repérer toujours au premier coup d'œil. Mais même sans cela, il lui aurait été difficile de manquer le regard possessif et ombrageux qu'il braquait à cet instant sur elle. Aucun homme ne l'avait jamais regardée ainsi.

— Vous tremblez, constata Nolan.

Cela paraissait sincèrement l'inquiéter. Il s'installa sur sa chaise. Ses sbires - deux hommes ramassés dans la rue et payés avec des diamants volés sur la planète Raka dévastée - allèrent s'installer contre le mur le plus éloigné, afin d'avoir une vue entière sur la salle.

— Il est ici ? reprit l'alien.

Nul doute qu'il voulait parler de Jaxon. Le'Ace déglutit longuement et posa les yeux tour à tour sur chacune de ses mains. L'une comme l'autre tremblaient comme feuilles au vent. Empêche-les de trembler ! ordonna-t-elle à la puce.

L'organisme se décharge ainsi de sa tension. Risque de surcharge émotionnelle. Confirmation de l'ordre ?

Non ! fulmina-t-elle en grinçant des dents. Et à Nolan, elle répondit :

— Oui, il est ici.

Sûrement confirmait-elle ce qu'il savait déjà. Soudain, elle regretta que les efforts des spécialistes pour purger sa mémoire du souvenir de Jaxon n'aient pas abouti. Le retrouver sans pouvoir le rejoindre provoquait en elle le genre de réaction auquel elle s'était attendue - en pire.

Un sourire rêveur était apparu sur les lèvres de Nolan.

— Enfin... murmura-t-il.

— J'ai repéré cinq autres agents, ajouta Le'Ace.

Sans se départir de son sourire, l'alien s'étonna :

— Ah ? Je n'en ai compté que quatre.

— Vous oubliez le van garé en bas de la rue. Il doit y avoir au moins un agent en planque à l'intérieur, mais je parierais plus sûrement sur deux ou trois.

— Ah oui, le van... approuva-t-il en hochant la tête. C'est exact.

— Notre conversation est probablement enregistrée. Nolan haussa les épaules avec mépris, comme s'il s'en fichait. Ce salaud s'imaginait invincible et il pensait avoir toutes les femmes à ses pieds. Il avait su à qui il avait affaire dès qu'elle l'avait approché, trois jours plus tôt. Ce n'était donc pas à son intention qu'elle s'était déguisée. Le'Ace avait en réserve différentes personnalités, dans cette ville. Il lui fallait faire attention à celles qu'elle décidait d'interpréter en public. Pour peu que la mauvaise personne la découvre au mauvais moment dans la peau de Marie, de Clarisse ou de Tess - entre autres -, elle pouvait se retrouver contrainte de renoncer à un rôle qu'elle avait mis des années à élaborer.

— Qu'est-ce que ce sera ? s'enquit le serveur, qui venait de les rejoindre.

Le'Ace rêvait d'une vodka pour apaiser ses nerfs mis à rude épreuve. Je peux me le permettre ?

Plus d'un kilo perdu la semaine passée. Aucune nourriture solide avalée aujourd'hui. Une telle dose d'alcool entraînerait vulnérabilité et inefficacité.

— Menthe à l'eau, dit-elle, désappointée.

Après que Nolan eut passé commande lui aussi, Le'Ace se pencha vers le serveur et ajouta à mi-voix :

— Ne regardez pas, mais il y a derrière vous un homme avec un tatouage « God & Country » sur l'épaule, assis avec une petite brune. Vous voyez de qui je veux parler ?

Le voyant acquiescer d'un hochement de tête, elle poursuivit :

— Apportez-lui de ma part un cocktail Flaming et mettez-le sur ma note.

Sur un nouveau hochement de tête, le serveur se retira.

— La petite brune... commença Nolan dès qu'ils se retrouvèrent seuls. Qui est-ce ?

— Une de ses collègues, mentit-elle.

— Êtes-vous jalouse d'elle ?

Elle, jalouse de Mia Snow, la reine des garces ?

— Oui, admit-elle honnêtement. Je la connais. Elle et moi avons quelques souvenirs communs.

Et pas de merveilleux... Mia la haïssait. À juste titre. Il y avait une éternité de cela, Le'Ace s'était vu ordonner d'exécuter la meilleure amie de Mia pour montrer l'exemple et faire comprendre aux nouvelles recrues de l'A.I.R. ce qu'il en coûtait de trahir l'agence. Le'Ace avait commis l'erreur de commencer par consulter son dossier. Le passé marqué par la violence parentale et l'inceste qu'elle y avait découvert lui avait retourné le cœur, car elle comprenait parfaitement le besoin d'être aimé qui en résultait, et que ce besoin pouvait facilement conduire à se laisser berner.

Elle avait tenté de convaincre le père d'Estap - son boss de l'époque - d'épargner cette fille. Lorsqu'il avait refusé, elle ne s'était pas découragée et avait insisté. Finalement, son refus obstiné d'obéir lui avait valu une sévère punition. Par le biais de la puce implantée dans son cerveau, il lui avait administré à intervalles irréguliers des chocs électriques qui l'avaient laissée sur le carreau. Après trois jours de ce traitement, elle l'avait pratiquement supplié de l'autoriser à aller tuer cette fille.

Certaines nuits, Le'Ace maudissait encore sa faiblesse et le fait d'avoir capitulé si facilement, si rapidement. Elle ne se pardonnait pas de ne pas avoir résisté davantage. La mort aurait encore été préférable à cette mauvaise action.

Il n'est pas trop tard.

L'idée qui venait de s'imposer à elle n'était pas aussi innocente qu'elle y paraissait. Toutes ces années, elle avait fait le nécessaire pour rester en vie, même en sachant que le monde se porterait mieux sans elle. Elle n'avait survécu que dans l'espoir de vivre un jour un seul moment d'amour, un seul moment de paix.

Or, la semaine précédente, elle avait réalisé entre les bras de Jaxon la première de ces ambitions. Elle ne l'ignorait plus. Il lui avait donné du plaisir au-delà de ce qu'elle avait espéré, et elle avait connu avec lui ses premiers moments de joie. Elle s'était sentie aimée, même s'il ne l'aimait probablement pas. Elle pouvait mourir sans regret à présent. L'instant de paix viendrait avec la mort. Et elle emporterait Estap avec elle... Cette prise de conscience lui donna le vertige. Après avoir tant lutté, le temps était-il venu de renoncer ?

— Vous êtes sûre que ça va ? demanda Nolan, la tirant de ses pensées.

— Ça va, assura-t-elle, d'une voix qui tremblait autant que ses doigts. Je vais parfaitement bien.

— Pardon de vous interrompre.

La voix de Jaxon...

Le'Ace eut l'impression que son cœur s'arrêtait de battre. Elle tourna la tête, la redressa lentement... et leurs regards se mêlèrent. Ses yeux n'étaient guère plus que des fentes.

— Merci pour le cocktail, reprit-il avec une politesse glaciale. J'espère ne pas t'offenser en le refusant.

Rudement, il déposa le verre et le poussa vers elle, renversant une partie de son contenu sur la table.

— Pas le moins du monde, se força-t-elle à répondre. Te joindras-tu à nous ?

Sans rien dire, Jaxon tira la seule chaise disponible et s'assit. Par-dessus son épaule, Le'Ace vit que Mia Snow la regardait ouvertement, sans chercher à cacher la haine qu'elle lui vouait.

— Nolan sait qui tu es, annonça-t-elle en s'efforçant d'ignorer la tension qui existait entre eux.

La lueur dansante de la chandelle faisait de son visage un masque d'ombre et de lumière, farouche et intraitable. Tel qu'elle le découvrait, il n'avait plus rien du tendre amant qu'elle avait connu.

— J'avais compris ! lança-t-il sèchement.

— Je préférais l'autre apparence, intervint l'alien en fixant avec dégoût le faux nez aquilin. Pourquoi vous infligez-vous cela ?

— Quelles sont tes intentions à son égard ? s'enquit Le'Ace, sachant que Nolan s'attendait à ce qu'elle se préoccupe de son sort.

— À ton avis ? répondit Jaxon dans un grondement sourd.

Il semblait refuser à présent de croiser son regard. Le'Ace ne chercha pas à répondre. Tout ce qui l'intéressait, tout ce qu'elle avait envie de savoir, c'était si elle lui avait manqué, s'il avait toujours envie elle, et si Mia avait réussi à le monter contre elle.

— Vous êtes tous les deux ici pour une raison précise, reprit Jaxon. Vous me donnez une piste ou je dois deviner ?

Elle détestait la distance qu'il maintenait entre eux. Même si elle savait que c'était mieux ainsi, elle aurait voulu y mettre un terme en se jetant à son cou.

A quoi t'attendais-tu ? Tu es néfaste, pour lui, pour sa carrière, pour sa vie. Il doit l'avoir compris.

— Je suis toujours disposé à vous aider, répondit Nolan.

— Dans ce cas, pourquoi avez-vous disparu la dernière fois ? demanda Jaxon d'un ton accusateur. Et pourquoi avoir mis tant de temps à refaire surface ?

Toute trace de jovialité disparut du visage du Schôn, qui se pencha en avant et frappa violemment sur la table, faisant vaciller la flamme de la bougie et tinter l'argenterie. La fureur irradiait son visage et se manifestait dans ses yeux en une danse frénétique de cristaux lumineux.

— Vous n'avez pas la moindre idée de ce que cela peut me coûter, s'emporta-t-il. Ceux que vous voulez tuer sont mes frères, mes amis. Ils sont le seul lien qui me rattache encore à ma race, et je suis sur le point de les trahir.

Cela ne fut pas de nature à attendrir Jaxon.

— Ce que cela vous coûte ! répéta-t-il. Des femmes sont en train de mourir parce que vous les avez contaminées !

— Je ne voulais pas ça, bon sang !

On commençait à les regarder dans la salle, mais Le'Ace ne prit pas le risque d'interrompre cet échange. Il fallait que les deux hommes parviennent à trouver un terrain d'entente, et cela ne serait possible que lorsqu'ils auraient vidé leur sac. Tant pis pour le public.

— Je serais idiot de vous faire confiance, s'entêta Jaxon. Pour ce que j'en sais, vous ne cherchez peut-être qu'à nous induire en erreur.

— Euh... voilà vos consommations, intervint le serveur en déposant les verres.

Dès qu'il se fut éclipsé, Jaxon ajouta :

— Il faudrait que nous allions poursuivre ailleurs cette conversation.

— Pas question, répondit l'alien.

Avec deux doigts, il se frotta le menton. La lumière se refléta dans la seule bague qu'il portait. Le'Ace avait noté qu'il tenait à ce simple anneau de la couleur du cuivre terni comme à la prunelle de ses yeux.

— Écoutez... reprit-il. Je suis fatigué de semer la mort et la destruction et je veux réellement vous aider. Je suis resté trop longtemps sans rien faire, à espérer que, peut-être, il pourrait y avoir une porte de sortie pour nous.

— Et maintenant ? intervint Jaxon sans chercher à  masquer son  incrédulité.  Vous avez changé d'avis ?

Nolan hocha la tête d'un air sombre.

— Oh oui... dit-il. Et comment !

Le'Ace se demanda ce qui avait bien pu le faire renoncer à tout espoir. Il ne lui en avait rien dit.

Un instant plus tard, elle n'y songea plus. Jaxon la regardait enfin. L'effet que ce regard semblable à du vif-argent avait sur elle était effrayant. Elle eut l'impression que son corps s'enflammait comme une torche.

— Eh bien ? demanda-t-il.

Manifestement, il voulait connaître son opinion sur ce qui venait d'être dit.

Le'Ace se força à hausser nonchalamment les épaules. Qu'aurait-elle pu lui répondre ? Déjà, en quelques minutes, il avait réussi à en apprendre davantage de Nolan qu'elle ne l'avait fait en trois jours.

Lorsque Jaxon reporta son attention sur l'alien, elle sentit son cœur s'emballer. L'espace d'un instant, avant que leurs regards se séparent, elle avait cru discerner dans le sien une certaine chaleur... et un désir brûlant. N'était-ce que le fruit de son imagination ?

— Dites-moi où sont les vôtres, si vous désirez vraiment nous aider.

Tout en parlant, Jaxon avait croisé les bras. De manière à pouvoir se saisir de ses armes ?

— Savoir où ils se trouvent ne vous aiderait pas, assura le Schôn en lui jetant un regard morne. Pour l'instant. Vous ignorez comment les retenir, à supposer que vous puissiez mettre la main dessus.

Sur ce, il tira sur le col de sa chemise, révélant un lourd collier de métal terni.

Les joues brûlantes, Le'Ace se recroquevilla sur son siège. Fallait-il vraiment que cette ordure la ridiculise ainsi ?

— Vous voyez ce que m'a offert cette diablesse ?

Jaxon ne jeta qu'un regard superficiel au collier et répondit :

— Oui. Et alors ?

— Cette chose est supposée m'empêcher de disparaître. Il n'en sera rien. Je doute que les vôtres disposent de quoi que ce soit susceptible d'y parvenir.

Jaxon plissa les yeux et le dévisagea d'un air suspicieux.

— Vous paraissez savoir beaucoup de choses sur notre planète, dites-moi... Je remarque également que votre anglais est parfait. Pourtant, vous n'êtes ici que depuis quelques semaines.

Nolan haussa les épaules et répondit :

— Nous étudions les planètes sur lesquelles nous débarquons.

Un aveu implicite que les Schôn n'en étaient pas à leur coup d'essai. Jaxon dévisagea longuement Nolan avant de décréter :

— Je ne suis pas sûr d'avoir envie de vous aider. En fait, je n'éprouve que de la répulsion à votre égard.

— C'est également ce que je ressens.

Était-il sincère ou simplement bon acteur ? Il se tenait à l'écart des autres Schôn qu'il affirmait être sur le point de trahir à cause de ce qu'ils faisaient, mais cela ne l'avait pas empêché de prendre une maîtresse humaine et de lui transmettre en toute connaissance de cause le virus...

Le'Ace avait failli le tuer quand elle avait vu cette femme quitter sa chambre. Le couteau sur la gorge, il s'était mis à pleurer. Elle avait écouté ses supplications, qui ne l'avaient en rien ébranlée. Mais alors que la lame allait s'enfoncer pour de bon, il avait prononcé les seuls mots susceptibles de la retenir : « Je vous aiderai, vous et votre amour. »

Elle et son amour... autrement dit, Jaxon. C'était la seule chose qui l'avait poussée à faire ami-ami avec lui, comme l'avait voulu Estap, mais pour une raison qui n'appartenait qu'à elle : Jaxon, toujours Jaxon.

— Avez-vous autre chose à nous dire ? demanda-t-elle à Nolan.

Le serveur refit son apparition, prêt à prendre leur commande. Le'Ace le congédia d'un geste de la main.

— D'abord, je veux que l'A.I.R. me garantisse une protection à vie, répondit-il.

— Pas question ! répliqua Jaxon du tac au tac. Pour quelle raison vous offrirais-je notre protection si je ne suis même pas sûr que vous possédez les informations dont nous avons besoin.

Le'Ace admira la manœuvre. La partie de poker menteur commençait. Nolan suivit :

— Les miens vont bientôt se disperser. Vous avez une semaine, deux tout au plus. Ensuite, il sera trop tard pour les arrêter.

— Pour quelle raison se disperseraient-ils ? insista Le'Ace.

— Pour de nombreuses raisons. La première, que vous pouvez aisément deviner, c'est qu'ils savent que vous êtes sur leurs traces et ne tiennent pas à se laisser prendre. Ils sont occupés à étudier, à faire des recherches pour résoudre un problème qui nous occupe tous. Une fois qu'ils auront appris tout ce qu'il y avait à apprendre à New Chicago, ils iront ailleurs poursuivre leur quête.

Jaxon se carra contre le dossier de sa chaise.

— Et quel est ce  fameux  problème qui  les occupe ? demanda-t-il.

Nolan garda le silence et sirota son verre. Une minute s'écoula, puis une autre, sans qu'il se décide à parler. Il aurait pu tout aussi bien être seul. Au bout d'un moment, Jaxon se décida à poursuivre :

— Vos victimes peuvent-elles communiquer entre elles... par télépathie ?

Nolan écarquilla les yeux, manifestement choqué.

Elles, non... répondit-il de manière laconique.

— Que voulez-vous dire ? insista Le'Ace. Quelles ne le peuvent pas... mais que quelqu'un d'autre le peut.

L'alien acquiesça d'un bref hochement de tête.

— Je ne comprends pas, maugréa Jaxon.

— Ce n'est pourtant pas difficile à comprendre, répliqua-t-il en lui lançant un regard de défi. Une fois que ces femmes sont contaminées, qu'ont-elles de plus ?

— Seulement le...

Jaxon secoua la tête, comme s'il refusait de croire ce à quoi il venait de penser et enchaîna :

— Pourquoi uniquement des femmes fertiles ?

Une grande tristesse parut soudain accabler Nolan, qui répondit, le regard vague :

— J'imaginais que vous auriez au moins compris cela... La fertilité n'est pas une condition impérative. C'est un aphrodisiaque, tout au plus. Ce sont les relations sexuelles qui sont le vecteur de contamination. Peu importe avec qui et dans quelles circonstances.

Jaxon hocha la tête et lança pour l'encourager à poursuivre :

— Allez-y. Je suis tout ouïe.

— Ce virus est en chacun de nous et se propage, poursuivit Nolan, l'air vaguement honteux. La seule façon pour nous d'en contrôler la propagation...

Il déglutit péniblement avant de poursuivre :

— ... c'est de le transmettre à d'autres, pour qu'il ne prolifère pas en nous et demeure à des niveaux acceptables.

Le'Ace et Jaxon assimilèrent l'information dans un silence tendu. Au bout d'un moment Nolan conclut :

— Comprenez-vous à présent pourquoi il nous faut errer de planète en planète ?

Le'Ace vit rouge et s'emporta :

— Jamais entendu parler de la masturbation, connard ?

— Croyez-moi, cela ne fonctionne pas.

— Pourquoi ? Si tout ce que vous avez à faire pour vous débarrasser d'une certaine quantité de virus est d’éjaculer...

Nolan tapota son menton du bout de son index.

— Comment pourrais-je vous expliquer tout cela clairement ? murmura-t-il.

— Pendant que vous y réfléchissez, intervint Jaxon, expliquez-moi pourquoi étudier ce virus risque d'en hâter la propagation. Nous avons des labos, des moyens de le confiner de manière à ce qu'il ne puisse se répandre.

L'alien secouait de nouveau la tête, comme un prof las de la bêtise de ses élèves récalcitrants.

— La meilleure façon de décrire ce virus, c'est de dire qu'il est vivant. Ainsi, je réponds à vos deux questions... Il est également intelligent, et les colonies implantées dans des individus différents peuvent communiquer entre elles - d'où la « télépathie » que vous évoquiez. Pour ce qui est de la masturbation, cela n'a jamais été une solution. Pour que le virus accepte de quitter le corps qui l'abrite... il faut qu'il y en ait un autre à sa disposition. Un épanchement de sang, pourtant, peut lui suffire à trouver un nouvel hôte.

— Comment ? s’étonna-t-elle, à l'unisson avec Jaxon.

— Le virus ne peut envahir un autre corps lorsqu'il est aspiré dans une seringue, mais il sent la personne qui effectue le prélèvement, et il sait qu'au bout du compte il trouvera toujours un moyen de la contaminer. Si vos médecins ont effectué des prises de sang sur les femmes contaminées, ils sont à présent eux-mêmes contaminés. Le seul moyen d'enrayer la contagion... c'est de tuer sans effusion de sang tous ceux qui en sont victimes.

La tête penchée sur le côté, Le'Ace scruta attentivement son visage.

— Vous rendez-vous compte que cela signifie que vous aussi devriez être éliminé ?

— Oui, répondit-il dans un soupir.

— Et pourtant, vous n'avez pas renoncé à survivre. Dès qu'elle eut prononcé ces mots, Le'Ace songea avec un sentiment d'amertume qu'elle aussi n'avait jamais rien fait d'autre : survivre, à n'importe quel prix, quelles que puissent en être les conséquences pour autrui.

— Parce que vous tenez à vivre certaines expériences avant de mourir, ajouta-t-elle. Et c'est pour cela que vous réclamez notre protection.

La surprise fit scintiller brièvement un cercle de points lumineux dans les yeux de Nolan, qui répondit :

— Oui, c'est exactement ça.

— Et pourtant, pour vous, rester en vie signifie que d'autres doivent mourir.

C'était d'elle autant que de lui qu'elle parlait. Le'Ace n'avait plus aucun doute, désormais : elle devait se tuer. Il n'y avait pour elle aucune autre option. Elle avait été folle d'imaginer qu'il puisse en être autrement.

— L'amour... ajouta Nolan d'un ton nostalgique. Je rêve de savoir, même un bref instant, ce qu'est le véritable amour. Quand ce sera fait, je pourrai mourir heureux.

Du coin de l'œil, Le'Ace vit que l'attention de Jaxon restait fixée sur l'extraterrestre. L'amour... Elle en avait finalement fait l'expérience. Le seul homme capable de combler le vide qu'elle avait dans le cœur était assis là, à ses côtés. À présent que la fin était proche, elle pouvait bien l'admettre : elle aimait Jaxon, qui lui avait tout donné. En retour, elle ferait tout son possible pour l'aider sur cette affaire. Elle lui devait bien ça. Et ensuite...

Oui. Ensuite.