Ma ruelle, 1967

 

 

L’appartement que je loue à Lagos est régulièrement cambriolé, non seulement quand je pars pour une longue période au Tchad, au Gabon ou en Guinée, mais même quand je vais moins loin, à Abeokuta ou à Oshogo, pour une brève période, je sais qu’à mon retour l’encadrement de ma fenêtre aura été démis, les meubles renversés, les armoires dépouillées.

L’appartement se trouve au centre de la ville, sur l’île de Lagos. Jadis, cette île était le point de chute des marchands d’esclaves. Ce passé honteux et sinistre a laissé dans l’atmosphère de la capitale des traces inquiétantes, violentes et vivaces. Je suis par exemple dans un taxi et je discute avec le chauffeur qui soudain se tait et regarde de tous côtés avec nervosité. « Que se passe-t-il ? demandé-je intrigué.

-- Very bad place ! » répond-il en baissant la voix. Nous poursuivons notre route, il se détend et recommence à discuter tranquillement. Mais sur les bords de la route – il n’y a pas de trottoirs ici  un groupe passe. En les apercevant, le chauffeur de taxi se tait de nouveau, regarde à droite et à gauche et accélère : « Que se passe-t-il ? demandé-je.

- Very bad people ! » répond-il, et ce n’est qu’au bout de un kilomètre qu’il reprend la conversation interrompue.

Ce chauffeur de taxi a le plan de la ville gravé dans la tête, mais ce plan doit ressembler à celui que l’on voit sur les murs des commissariats de police. Des lumières multicolores scintillent, palpitent sans cesse, lui signalant les points chauds, là où se passent les attaques et les crimes. Ces signaux sont particulièrement nombreux au cœur de la capitale, justement là où j’habite. J’aurais pu, il est vrai, choisir Ikoyi, le quartier sûr et luxueux des Nigérians riches, des Européens et des diplomates, mais c’est un endroit artificiel, exclusif, fermé et strictement surveillé. Je préfère vivre dans la ville africaine, dans la rue africaine, dans une maison africaine. Comment connaître autrement cette ville, ce continent ?

Pour un Blanc cependant, vivre dans un quartier africain n’est guère chose facile. Les Européens sont les premiers à être choqués et à protester. Il faut être bizarre ou toqué pour avoir de telles lubies. Ils essaient donc de me dissuader, de me mettre en garde : « Tu vas y laisser ta peau, à tous les coups ! » Le seul point sur lequel ils divergent concerne le type de mort qui m’attend. Soit je serai tué, soit je succomberai tout seul tant les conditions de vie sont abominables.

Du côté africain, mon idée ne suscite guère l’enthousiasme non plus. D’abord, il y a les difficultés techniques : où habiter ? Le quartier est pauvre, bondé, les maisons sont misérables, ce sont des cases, c’est un bidonville, on y étouffe, il n’y a pas de lumière, c’est poussiéreux, ça pue et il y a des tas de bestioles. Où me trouver un endroit ? Un coin à moi ? Comment me déplacerai-je ? Et l’eau ? Il faut aller la chercher à l’autre bout de la rue, c’est là que se trouve la pompe. Or c’est le travail des enfants, éventuellement celui des femmes. Jamais celui des hommes. Et moi, le Blanc, je vais faire la queue avec les enfants devant le puits ! Ha ! Ha ! Ha ! C’est impossible ! Bon d’accord, admettons que j’aie une chambre où je désire m’enfermer pour travailler. M’enfermer ? C’est absolument impossible ! Ici tous vivent ensemble, en famille, en groupe. Enfants, adultes, vieux, ils ne se séparent jamais. Même après la mort, leurs esprits restent parmi les vivants. S’enfermer tout seul dans une chambre afin que personne ne puisse entrer ? Ha ! Ha ! Ha ! C’est impossible ! « Et pardessus le marché, m’expliquent avec douceur les habitants du coin, notre quartier est dangereux. Il y a plein d’hommes mauvais ici ! Les plus dangereux sont les boma boys, des gangs de malfaiteurs enragés qui attaquent, cognent et détroussent, des bandes qui dévastent tout. Ils auront vite flairé qu’un Européen solitaire habite ici. Or pour eux, un Européen est un nanti, point final. Qui te défendra ? »

Je tiens tête. Je fais fi de leurs avertissements, je suis résolu. Peut-être parce que je suis agacé par les gens qui arrivent ici, habitent dans la « Petite Europe » ou la « Petite Amérique » (c’est-à-dire dans des hôtels luxueux) et repartent, se vantant par la suite d’avoir été en Afrique alors qu’en réalité ils n’ont rien vu de ce continent.

Or voilà qu’une occasion se présente. Je fais la connaissance d’un Italien, Emilio Madera, propriétaire d’un petit local désaffecté dans une ruelle près de Massey Street. Il y entrepose des outils agricoles (les Blancs liquident peu à peu leurs affaires). À côté, ou plus exactement au-dessus de ce local, se trouvent deux chambres de service, vides, car personne ne veut y habiter. Il est content que je veuille bien les lui louer. Un soir, il m’y conduit en voiture et m’aide à installer mes affaires (on monte à l’étage par un escalier métallique fixé à l’extérieur de la maison). À l’intérieur règne une fraîcheur agréable, car dès le matin Emilio branche le climatiseur. Il y a aussi un réfrigérateur qui fonctionne. L’Italien me souhaite bonne nuit et disparaît en hâte, car le lendemain matin il regagne Rome ; redoutant que le dernier coup d’État militaire n’engendre de nouveaux troubles, il veut rapatrier une partie de son pactole.

Je défais mes paquets.

Au bout d’une heure, la lumière s’éteint.

L’appartement est plongé dans l’obscurité. Je n’ai pas de lampe. Mais le pire, c’est que le climatiseur s’est aussi arrêté et que la chaleur est tout d’un coup devenue brûlante et étouffante. J’ouvre la fenêtre. Une odeur de légumes pourris, d’huile brûlée, de lessive et d’urine envahit la chambre. Malgré la proximité de la mer, on ne sent pas le moindre courant d’air dans cette ruelle fermée et étroite. On est en mars, le mois des chaleurs torrides. La nuit, l’air semble plus chaud et suffocant que pendant la journée. Je regarde par la fenêtre. Au fond de la ruelle, des gens à moitié nus sont couchés sur des nattes tressées ou à même le sol. Les femmes et les enfants dorment, quelques hommes, le dos appuyé aux murs des cases, me fixent. Je ne comprends pas leurs regards. Veulent-ils me connaître ? M’aider ? Me tuer ?

Conscient qu’avec la chaleur régnant dans l’appartement je ne tiendrai pas jusqu’au matin, je descends. Deux hommes se lèvent, les autres se regardent sans broncher. Nous dégoulinons tous de sueur, nous sommes tous morts de fatigue. Le seul fait d’exister par un tel climat nous coûte un effort immense. Je leur demande si les coupures de courant sont fréquentes. Ils n’en savent rien. Je leur demande si la panne est réparable. Ils discutent entre eux dans une langue incompréhensible pour moi. L’un d’eux s’éloigne. Les minutes passent. Au bout d’un certain temps, il revient accompagné de deux jeunes gens qui se disent prêts à réparer la panne pour dix livres. J’accepte. Peu de temps après, la lumière revient dans mon appartement et le climatiseur se remet en marche. Quelques jours après, une nouvelle panne : encore dix livres, puis quinze, puis vingt.

 

Et les cambriolages ? Au début, quand je retrouve à mon retour un appartement pillé, je suis pris de fureur. Être volé, c’est avant tout une humiliation, une tromperie. Je me rends toutefois compte qu’ici considérer un vol comme une humiliation et une tromperie est un luxe de l’esprit. Vivant au milieu de la pauvreté de mon quartier, je comprends que le vol, même le plus infime, équivaut parfois à une condamnation à mort. J’ai un jour assisté à un vol revenant à un meurtre, à un assassinat : dans un petit coin de ma ruelle vivait une femme solitaire dont le seul bien était une marmite. Elle subsistait en achetant à crédit des haricots qu’elle préparait, accommodait d’une sauce et revendait. Pour nombre d’Africains, ce plat est le seul repas de la journée. Or voilà qu’une nuit un cri saisissant nous a réveillés. Toute la ruelle s’est animée. La femme courait en rond, désespérée, folle : des voleurs lui avaient pris sa marmite, elle avait perdu son unique moyen de subsistance.

Dans ma ruelle, beaucoup de gens ne possèdent qu’un seul objet. Pour l’un c’est une chemise, un autre un panga, c’est-à-dire une machette, un troisième une pioche dénichée on ne sait où. Celui qui a une chemise peut se faire embaucher comme gardien de nuit (personne ne voudra d’un gardien à moitié nu), celui qui a un panga peut être employé pour couper des mauvaises herbes, celui qui a une pioche peut creuser un fossé. Ceux qui n’ont que leurs muscles à vendre espèrent être embauchés comme porteurs ou commissionnaires. Dans tous les cas de figure, les chances sont minimes, car la concurrence est rude. Ce ne sont du reste que des emplois occasionnels, pour un jour, pour quelques heures.

C’est ainsi que ma ruelle, les rues avoisinantes et le quartier tout entier grouillent de gens désœuvrés. Ils se réveillent le matin et vont chercher de l’eau pour se débarbouiller. Puis celui qui a de l’argent se paie un petit déjeuner : un verre de thé et un morceau de pain sec. Mais nombreux sont ceux qui ne mangent rien. Avant midi la chaleur est déjà difficile à supporter, il faut trouver un endroit ombragé. Au fil des heures, l’ombre se déplace avec le soleil, et avec elle, l’homme dont c’est la seule occupation : suivre l’ombre en rampant, se mettre à l’abri de ses ailes obscures et fraîches. La faim l’obsède, il a très envie de manger, mais il n’a rien. Avec cela, le bar d’à côté embaume la viande rôtie. Pourquoi ces hommes ne s’y ruent-ils pas ? Ils sont pourtant jeunes et forts.

 

L’un d’eux cependant n’a pas pu se retenir. Un cri a retenti. C’est une marchande ambulante à qui un gamin a chipé un régime de bananes. Avec sa voisine, elle s’est mise à lui courir après et a fini par le rattraper. Des policiers ont surgi d’on ne sait où. Ici ils sont armés de grandes matraques en bois avec lesquelles ils cognent sec, sans pitié. Le gamin gît dans la rue, roulé en boule, il se protège des coups. Immédiatement un attroupement s’est formé, ce qui est fréquent ici, car la foule oisive est avide du moindre événement, du moindre trouble, de la moindre sensation pour se distraire, regarder, faire quelque chose. Ils se serrent de plus en plus près comme si le bruit des coups de matraque et les gémissements de l’enfant battu leur procuraient une réelle volupté. Ils encouragent et excitent les policiers avec des cris. Ici, quand un voleur est attrapé, les gens veulent sur-le-champ le mettre en pièces, le lyncher. Le gamin pousse des gémissements, il a lâché les bananes. Les spectateurs les plus proches se ruent sur elles et se les arrachent.

Puis tout rentre dans l’ordre. La marchande continue de se lamenter et de pester, les policiers s’éloignent. Mal en point, l’enfant battu se traîne dans une cachette, endolori et affamé. Les gens se dispersent, chacun retourne à sa place, contre une maison, un mur, sous un auvent, bref à l’ombre. Ils resteront là jusqu’à la tombée de la nuit. Après une journée de chaleur torride et de jeûne, l’homme est affaibli et abruti. Mais cet étourdissement, cet engourdissement intérieur a quelque chose de salutaire. Autrement l’homme ne survivrait pas : la composante biologique, animale de sa nature aurait dévoré tout ce qui lui reste d’humain.

 

Le soir, ma ruelle s’anime un peu. Ses habitants se réunissent. Les uns sont restés là pendant toute la journée, en proie aux affres du paludisme. D’autres reviennent de la ville. Pour certains, la journée a été chanceuse : ils ont travaillé ou ont rencontré un parent qui a partagé avec eux ses quelques sous. Ceux-ci dîneront : un plat de manioc avec une sauce au paprika relevée, parfois accompagné d’un œuf dur ou d’un morceau de mouton. Une partie du repas revient aux enfants qui fixent avec avidité les hommes avalant morceau après morceau. Ici la moindre bouchée disparaît instantanément, sans laisser de trace. Ici, on mange tout, jusqu’à la dernière miette. Personne ne fait de provisions. D’ailleurs, où les mettre ? Où les enfermer ? Ici, on vit dans l’immédiat, au jour le jour. Chaque journée est un obstacle difficile à vaincre. L’imagination ne peut aller au-delà. On ne fait pas de plans. On ne rêve pas.

Celui qui a un shilling va au bar. Les bars ici sont légion, dans les petites rues, aux croisements, sur les places. Parfois ce sont des locaux misérables, avec des murs en tôle ondulée, des rideaux de percale en guise de portes. Pourtant on a l’impression d’entrer à Lunapark, d’être invité à un festin coloré. Une vieille radio diffuse de la musique, sous le plafond brille une ampoule rouge. Sur les murs sont affichés des photos d’actrices de cinéma découpées dans des journaux. Derrière le comptoir se tient d’ordinaire une imposante et grosse madame, la propriétaire. Elle vend la seule boisson que l’on puisse consommer dans ce genre de bar, une bière maison. Cela peut être une bière à base de banane, de maïs, d’ananas ou de palmier. En général chaque patronne est spécialisée dans la préparation d’une bière. Un verre de ce breuvage a trois vertus : a) il contient de l’alcool, b) il étanche la soif, c) comme au fond du verre la solution est dense et épaisse, il constitue pour celui qui a le ventre creux un succédané d’aliment. C’est pourquoi celui qui dans la journée n’a gagné qu’un shilling ira à coup sûr le dépenser au bar.

Dans ma ruelle, on ne s’installe jamais pour longtemps. Les gens qui la hantent sont des nomades de la ville, des voyageurs éternels errant dans le labyrinthe chaotique et poussiéreux des rues. Ils déguerpissent aussi vite qu’ils sont apparus, sans laisser de traces, car ils n’ont strictement rien. Ils vont plus loin, attirés par le mirage d’un emploi, effrayés par une épidémie venant de se déclarer dans la ruelle ou chassés par les propriétaires des cases et des vérandas à qui ils ne peuvent payer le loyer de leur place. Tout dans leur vie est provisoire, mouvant et précaire, existe sans exister. Et quand quelque chose existe, pour combien de temps ? Cette incertitude permanente fait que les hommes de ma ruelle se sentent toujours menacés, sont constamment effrayés. Ayant abandonné la misère de leur campagne, ils ont fait le voyage jusqu’à la ville avec l’espoir d’y vivre mieux. Celui qui y a retrouvé un cousin peut compter sur son soutien, sur un coup de pouce. Mais beaucoup de ces villageois d’hier n’ont trouvé aucun proche, aucun membre de leur tribu. Souvent ils ne comprennent même pas la langue qu’ils entendent dans la rue, ils ne savent pas demander le moindre renseignement. L’univers de la ville les engloutit. Le lendemain de leur arrivée, ils ne sont plus capables d’en sortir.

Ils commencent par se construire un toit, un petit coin, une place à eux. Comme ces migrants n’ont pas d’argent, puisqu’ils sont justement partis en ville pour en gagner – le village traditionnel africain ignore la notion de l’argent - ils ne peuvent se réfugier que dans les bidonvilles. L’architecture de ces quartiers est invraisemblable. Le plus souvent, les autorités de la ville affectent aux pauvres les terrains les plus mauvais : des marécages, ou bien des terres nues et sablonneuses. C’est là qu’on installe la première cabane. À côté d’elle vient s’élever une deuxième. Puis une troisième. Spontanément surgit une rue. Quand cette rue en rencontre une autre, cela forme un croisement. Puis ces rues commencent à se séparer, tourner, se ramifier. C’est ainsi que naît un quartier. Mais comment se procurent-ils les matériaux ? C’est le grand mystère. En creusant le sol ? En décrochant les nuages ? En tout cas il est sûr et certain que cette foule de miséreux n’achète rien. Sur la tête, sur les épaules, sous le bras, ils transportent des morceaux de tôle, de planches, de contre-plaqué, de plastique, de carton, de carrosserie, de cageot, puis ils assemblent, montent, clouent, collent ces pièces en un ensemble qui tient de la cabane ou de la hutte et forme un collage multicolore improvisé. En guise de couche, ils tapissent la terre d’herbe à éléphant, de feuilles de bananiers, de rafia ou de paille de riz, car souvent le sol est bourbeux ou pierreux. Faites de bric et de broc, ces architectures monstrueuses en papier mâché sont infiniment plus créatives, imaginatives, inventives et fantaisistes que les quartiers de Manhattan ou de La Défense à Paris. La ville entière tient sans une brique, sans une poutre métallique, sans un mètre carré de verre !

À l’instar des happenings, des œuvres éphémères, ces bidonvilles ont la vie brève. Ils disparaissent dès qu’ils prennent trop d’ampleur ou que la municipalité décide de construire autre chose à leur place. J’ai un jour assisté à la démolition d’un bidonville situé non loin de ma ruelle. Il s’étendait sur les bords de l’île. Ayant estimé que c’était inadmissible, le gouvernement militaire a envoyé un beau matin des camions avec la police. Aussitôt les gens se sont attroupés. Les policiers se sont rués dans le bidonville et en ont chassé les habitants. Il y a eu des cris, du tintamarre. Là-dessus des bulldozers énormes, jaune vif, ont débarqué. En un instant, des nuages de fumée et de poussière se sont élevés : les engins se sont avancés et ont démoli rue après rue, laissant derrière eux une terre écrasée et déserte. Les réfugiés ont envahi ma ruelle. Elle a grouillé de monde pendant quelque temps et la chaleur est devenue encore plus suffocante.

 

J’ai eu un jour la visite d’un homme d’âge moyen en djellaba blanche. Il s’appelait Souleïman et était originaire du nord du Nigeria. Il avait récemment travaillé chez un Italien comme gardien de nuit. Il connaissait la ruelle et ses environs. Il était réservé, ne voulait pas s’asseoir en ma présence. Il m’a demandé si je n’avais pas besoin d’un gardien de nuit puisque justement il venait de perdre son job. Je lui ai dit que non, mais comme il m’a fait une bonne impression, je lui ai donné cinq livres. Quelques jours plus tard, il est revenu. Cette fois, il s’est assis. Je lui ai préparé du thé. Nous avons commencé à discuter. Je lui ai confié que j’étais constamment cambriolé. Souleïman a reconnu que c’était un phénomène tout à fait normal. Le vol permet, de manière regrettable certes, de niveler les inégalités. C’est bien qu’ils me volent, a-t-il affirmé, c’est même un geste amical de leur part. Par ce biais, ils me font savoir que je leur suis utile et qu’ils m’acceptent. Au fond, je peux me sentir en sécurité. Est-ce qu’il m’est déjà arrivé de me sentir en danger ici ? J’ai avoué que non. Justement ! Je serai en sécurité tant que je me laisserai cambrioler sans chercher à faire punir le coupable. Mais si je préviens la police et qu’on le poursuit, j’ai intérêt à quitter les lieux.

 

Il est revenu au bout d’une semaine. Je lui ai offert du thé, puis il m’a dit d’un ton mystérieux qu’il m’emmènerait au « Jankara Market » et que nous y achèterions ce qu’il me faut. « Jankara Market » est un marché où les sorcières, les herboristes, les cartomanciens et les exorcistes vendent toutes sortes d’amulettes, de talismans, de baguettes et de médicaments miraculeux. Souleïman allait d’étal en étal, regardait, demandait. Finalement il m’a fait acheter à une femme un bouquet de plumes de coq blanches. C’était cher, mais je me suis laissé faire.

Nous sommes revenus dans ma ruelle. Souleïman a posé les plumes à plat, les a attachées avec un fil et les a accrochées sur le haut du chambranle de ma porte. À partir de ce jour-là, je n’ai plus jamais été cambriolé.