CHAPITRE VII

Selon les indications de Starlight, nous divisâmes le troupeau en trois groupes qui, voyageant séparément, devaient se retrouver au bout de trois semaines. Papa et Two-Suns prirent le premier groupe, Starlight, Charley et moi le second, et les trois cow-boys furent chargés du reste. Ils devaient d'ailleurs demeurer au camp une semaine de plus, afin de brûler les corrals et effacer les traces de notre passage. Au cas où ils apprendraient que le vieux Tatum avait eu vent de quelque chose, ils devaient nous télégraphier à Poco où nous avions l'intention de passer. Nous nous demandions bien si ces trois hommes ne seraient pas capables de nous rouler, mais Starlight nous rassura.

— Pas avec la part de bénéfice qu'ils vont toucher. Avec ce genre de gars, il n'y a que l'argent qui compte.

Nous poussâmes le troupeau à assez vive allure, voyageant surtout de nuit, et, après un certain temps, nous nous sentîmes moins nerveux. Starlight avait endossé des vêtements propres et avait maintenant tout à fait l'air d'un respectable éleveur. Au passage, il n'hésitait pas à lier conversation avec les propriétaires des ranches des régions que nous traversions, prétendant qu'il venait de South Fork et conduisait ses bêtes jusqu'au Montana. Certains exploitants l'invitèrent même à passer la nuit chez eux, mais il répondait invariablement :

— J'ai pour habitude de ne jamais abandonner mes hommes quand je voyage.

Nous retrouvâmes les deux autres groupes à l'endroit convenu, et nous prîmes le chemin de Billings. Starlight partit en éclaireur et loua une chambre dans le meilleur hôtel de la ville. Il annonça qu'il attendait un important troupeau et s'arrangea pour se faire présenter au plus gros éleveur de la région. Il avait donc tout mis au point lorsque Charley et moi arrivâmes. Nous le rejoignîmes au Bison Saloon, où il était en compagnie de quelques joueurs de cartes dont il avait fait la connaissance.

— Mon troupeau est enfin arrivé, annonça-t-il.

Puis, se tournant vers Charley, il lui tendit un bout de papier en disant :

— Frank, tu vas aller voir Runnimall. Voici où tu le trouveras, et il te montrera l'endroit où il faut conduire les bêtes.

Le troupeau tout entier fut vendu dès le lendemain, et nous en retirâmes une somme considérable que nous partageâmes suivant ce qui avait été convenu.

— Grand Dieu ! s'écria Charley en considérant la somme qui lui était revenue, je ne puis arriver à le croire. Vendre ce troupeau exactement comme s'il nous appartenait !

— C'est grâce à Starlight, dis-je, que les choses ont pu se passer ainsi.

— J'aurais préféré, intervint mon père, ne pas lui voir faire autant d’esbroufe. Cela attirera l'attention sur nous.

— Je ne vois pas ce que son attitude a pu changer, répondis-je. Il fallait bien trouver un acheteur et lui fournir un certificat de vente, afin qu'il ne se doute de rien. Si nous avons fait une aussi bonne affaire, c'est grâce à l'habileté de Starlight.

Le vieux marmonna entre ses dents quelques paroles inintelligibles avant de déclarer :

— En tout cas, il nous faut quitter la région aussi vite que possible.

C'était d'ailleurs le plan de Starlight, ainsi qu'il nous l'apprit le lendemain. Nous devions, encore une fois, nous diviser. Charley et moi ferions route vers le sud, en direction du Texas, et Starlight emmènerait le métis avec lui. Mais il ne nous dit pas où il comptait se rendre. Je ne sus pas non plus où mon père et les trois autres devaient aller.

Starlight nous serra la main, et nous nous mîmes en route.