CHAPITRE IV
Nous étions là depuis une semaine lorsqu'un matin, alors que Charley et moi étions en train de prendre le café, le vieux s'avança vers nous.
— Ils arrivent ! annonça-t-il.
— Qui ?
— Starlight et Two-Suns.
Il pointa son index vers un léger panache de fumée qui s'élevait à l'horizon et ajouta :
— Voilà le signal. Ils seront ici pour le dîner.
— Amènent-ils du bétail ? s'informa Charley.
— Non. Car, dans ce cas, il y aurait deux fumées.
J'allais donc enfin voir cet homme qui avait une si grande influence sur mon père et sur Two-Suns. Au cours de cette semaine passée dans le cañon, mon père nous avait raconté quantité d'histoires sur Starlight, dont certaines assez difficiles à croire.
Le vieux était maintenant debout près du corral, une paire de jumelles devant les yeux, en train d'observer les deux silhouettes qui se rapprochaient.
— Grand Dieu ! s'écria-t-il soudain. L'un d'eux est blessé. Allons à leur rencontre.
Nous montâmes à cheval et sortîmes du parc par une étroite brèche à peine visible dans la muraille rocheuse. Au bout d'un certain temps, papa, qui marchait en tête, nous fit signe de nous arrêter. Deux cavaliers venaient d'apparaître au détour de la piste. Le premier était Two-Suns, le métis. Mais ce fut le second qui attira mon attention. Il était penché en avant, presque couché sur l'encolure de son cheval. Cependant, même dans cette position, je pouvais apercevoir son visage blême.
— Comment est-ce arrivé ? demanda mon père lorsque nous nous retrouvâmes à l'intérieur de la caverne après avoir descendu Starlight de cheval.
— Nous passions aux environs du ranch de Hoodoo, répondit le métis, au moment où on était en train de lyncher un homme. Starlight a voulu s'en mêler, et il a ramassé une balle dans l'épaule. Nous avons eu un mal de chien à nous échapper, mais nous avons sauvé l'homme.
Nous avions étendu Starlight au fond de la caverne, et j'aurais donné ma tête à couper qu'il était mort et bien mort, bien que mon père fût maintenant en train de lui tâter le pouls.
— Soulevez-lui la tête, nous ordonna-t-il. Je vais lui faire avaler un peu de whisky.
Pour le vieux, cette drogue était une panacée. En soulevant la tête de Starlight, je m'aperçus qu'il vivait encore. Papa lui humecta les lèvres de whisky, et peut-être réussit-il à lui en faire avaler quelques gouttes. Quoi qu'il en soit, le blessé poussa un gémissement et, au bout de quelques instants, il ouvrit les yeux.
— Qui sont ces deux-là ? demanda-t-il.
— Mes deux fils, Zip et Charley, répondit mon père.
— Pourquoi ne les as-tu pas laissés au ranch avec leur mère ?
Sa voix avait pris un accent plus dur.
— J'ai pensé que nous aurions besoin d'un ou deux hommes supplémentaires pour ce travail.
— Ah oui ? Eh bien, moi, si j'avais deux fils, je me ferais couper la gorge plutôt que de les entraîner dans un boulot comme celui-ci.
Je n'avais encore jamais entendu personne parler sur ce ton à mon père.
Nous restâmes dans le cañon une dizaine de jours. La blessure de Starlight guérissait peu à peu. Nous occupions notre temps à réparer des selles, et nous entreprîmes aussi de clôturer un nouveau corral. Starlight aimait à nous parler, à mon frère et à moi, nous racontant certaines de ses aventures, mais ne disant rien de sa vie privée. Cependant, à sa façon de s'exprimer, on sentait qu'il était instruit. À l'insu de mon père, il nous donna quelques bons conseils, ne nous cachant pas que le chemin dans lequel nous étions engagés risquait de nous conduire tout droit à la prison.
— Moi, j'ai mes raisons pour mener cette vie, nous dit-il un jour, bien que je puisse voir aussi clairement que si c'était écrit dans un livre comment elle se terminera. Votre père et Two-Suns ont aussi leurs motifs pour agir comme ils le font. Mais, en ce qui vous concerne, je ne puis que vous conseiller de rentrer chez vous. Quand nous quitterons ce cañon, filez et détachez-vous définitivement de votre père. Croyez-moi, et faites ce que je vous dis.
Il fut décidé que Charley et moi partirions les premiers, papa ayant déclaré que lui et Starlight resteraient quelques jours de plus. La pensée me vint, naturellement, qu'ils devaient avoir combiné quelque chose.
Avant notre départ, le vieux nous enjoignit de ne pas dire à maman et à Eileen où nous avions passé ces quelques jours.
— Cela ne servirait à rien, déclara-t-il, et votre mère a déjà bien assez de soucis.
Je ne l'avais jamais entendu parler ainsi, et je pouvais à peine en croire mes oreilles. Je fus sur le point de lui rétorquer : « Mais alors, pourquoi ne laisses-tu pas tomber ce sale boulot, et pourquoi ne rentres-tu pas chez nous pour travailler honnêtement ? » Mais, bien entendu, je ne dis rien. Il nous adressa un signe d'adieu et, comme nous nous éloignions, il nous cria :
— Quand j'aurai besoin de vous, j'enverrai Two-Suns vous chercher.