CHAPITRE XXVIII
Starlight avait à peine rendu le dernier souffle qu'un cavalier arriva au grand galop. Il vacillait sur sa selle, comme s'il était ivre ou blessé, et sa tête était entourée d'un linge crasseux et taché de sang. Sans même voir son visage, je le reconnus à sa silhouette. C'était Two-Suns.
Il arrêta son cheval et se laissa glisser à terre. Puis, s'approchant du corps de Starlight, il tomba à genoux et se mit à gémir et à sangloter comme je n'ai jamais vu aucun être humain le faire. Soulevant la tête inanimée, il essuya le sang qui maculait la bouche. Puis il se mit à parler sans que personne comprît ce qu'il disait, tout en entrecoupant ses paroles de cris et de plaintes. Finalement, il reposa doucement la tête du cadavre et recouvrit le visage d'un mouchoir. S'étant relevé, il se tourna vers moi, tira un revolver de sa chemise et me le tendit.
— Tue-moi ! s'écria-t-il. C'est moi qui suis cause de sa mort.
L'un des hommes m'avait arraché l'arme avant que le métis n'eût fini de parler, et deux autres s'étaient emparés de lui.
Je ne me rappelle pas autre chose, car je dus m'évanouir à ce moment-là. Plus tard, je crus me souvenir vaguement qu'on m'avait transporté à Cheyenne dans un fourgon, avec Starlight et Charley étendus à mes côtés. Tantôt il me semblait que nous étions tous les trois vivants, et tantôt je croyais que j'étais mort moi aussi et qu'on s'apprêtait à nous enterrer.
Bien souvent, depuis lors, j'ai revu par la pensée ce combat de Crow Crossing et ce qui a suivi. Et, tandis que j'étais là dans ma cellule, ce souvenir m'a longtemps hanté jour et nuit. Je revoyais le métis à genoux, tenant entre ses mains la tête de Starlight, et je l'entendais pleurer et gémir. Je revoyais Charley, couché le visage contre terre et les deux bras en croix. Pauvre Charley qui, la veille encore, pensait rejoindre sa femme et son enfant !
Quand on pensa que nous étions en état de voyager, on nous emmena jusqu'à Billings où devait se tenir notre procès. Nous parcourûmes la distance qui sépare ces deux villes par petites étapes, car nous étions encore faibles, et nous ne pouvions non plus aller très vite étant donné que nous étions attachés sur nos chevaux.
Un jour, au moment où nous traversions un cours d'eau, le cheval de Two-Suns s'arrêta pour boire. Il était au milieu de la rivière, et le shérif-adjoint – qui était nouveau dans le métier – lui lâcha un instant la longe. J'entendis soudain un bruit de remous et jetai un coup d'œil autour de moi. Le métis avait fait faire demi-tour à son cheval et, avant que le policier se fût rendu compte de ce qui se passait, il avait disparu. Deux hommes se lancèrent à sa poursuite, mais en vain.
Dès notre arrivée à Billings, on me jeta dans une cellule en attendant mon procès. On prit naturellement toutes les précautions nécessaires pour que je ne puisse m'échapper, mais je crois bien que je ne me serais pas enfui même si je l'avais pu. J'étais las de ma vie, et ma seule hâte était d'en avoir fini une fois pour toutes.
Le jour du procès, la salle du tribunal était pleine à craquer, chacun voulant jeter un coup d'œil sur Zip Hardy, le célèbre hors-la-loi. L'audition des témoins ne fut pas longue. Il fut seulement prouvé qu'on m'avait reconnu lors de l'attaque du convoi au cours de laquelle quatre gardes avaient été tués. On prétendit aussi que j'avais pris part au meurtre des quatre chasseurs de primes et, pour faire bonne mesure, on m'accusa encore d'une demi-douzaine d'autres délits. L'avocat qui me défendait fit de son mieux, faisant remarquer qu'il n'existait aucune preuve que j'eusse jamais tué quelqu'un. Il rappela aussi que Starlight et moi-même nous étions montrés fort respectueux envers les deux dames qui se trouvaient dans la diligence que nous avions attaquée. Il mit en lumière d'autres détails du même ordre, mais tout cela ne pesa pas lourd dans la balance et, au demeurant, je m'en souciais peu. Finalement, le juge me condamna à être « pendu par le cou jusqu'à ce que mort s'ensuive. »
On me ramena dans ma cellule et on me mit les fers aux pieds. Ma carrière de hors-la-loi était terminée.
Je n'ai pratiquement aucun souvenir des deux semaines qui s'écoulèrent après cela. Il me semblait parfois que je rêvais tout éveillé et que cet homme, enfermé dans cette cellule, ne pouvait être Zip Hardy, le hors-la-loi le plus redouté de tout le pays. Et parfois, je me mettais à crier jusqu'à ce que le gardien vînt me faire taire.
Puis je me repris peu à peu, et je commençai à me rendre compte que, dans six semaines, je serais pendu. On m'avait prévenu que ma mère était morte peu après avoir appris la triste fin de Charley. Eileen continuait à s'occuper du ranch, et Gracie venait, de temps à autre, lui donner un coup de main, ainsi que George. Jeanie s'était fixée de nouveau à Cheyenne. Elle avait suffisamment d'argent pour vivre, et j'étais sûr que son petit garçon serait élevé dans de bons principes. Quant à Gracie, elle me fit parvenir une lettre dans laquelle elle me disait qu'elle ressemblait à ces oiseaux qui ne savent chanter qu'un seul refrain, et qu'elle me resterait fidèle jusqu'à la mort.
Enfin arriva le jour qui devait pour moi être le dernier. Quelle étrange sensation j'éprouvai en m'allongeant la veille au soir sur ma couchette et en me disant que j'avais vu tomber la nuit pour la dernière fois. Je n'avais pas peur, cependant, et je finis par m'endormir. Quand je me réveillai, il était jour. Un shérif entra, accompagné du gardien.
— Ôtez-lui ces fers, dit-il. Il ne les portera plus désormais.
— Je suis heureux de constater que vous avez le sens de l'humour, répondis-je.
Il me considéra un instant en silence, puis dit d'une voix calme :
— George Storefield et un groupe d'éleveurs de Pitchfork ont signé une pétition en votre faveur, et votre peine a été commuée en quinze ans de prison.
Je ne pus en entendre davantage. Je m'évanouis.