CHAPITRE XVI
Un des amis de mon père nous avait fait parvenir un journal dans lequel un article concernant les mines d'or d'Alder Gulch intéressa tout spécialement Starlight.
— C'est là que nous pouvons nous enrichir, les gars, dit-il.
— Tu n'as pas l'intention de nous faire prendre la pelle et la pioche ? rétorqua mon père.
— Non. Ce travail-là, nous le laisserons à d'autres. Nous prendrons simplement la suite. Rappelez-vous que les diligences qui circulent dans ces parages transportent vers la ville l'or extrait par les mineurs.
Starlight et Two-Suns connaissaient assez bien la région, et nous allâmes repérer un endroit où la diligence était obligée de ralentir. Juste avant d'avoir franchi Eagle Pass, sur l'ancienne route de Butte, il y avait une montée assez raide où la plupart des voyageurs descendaient afin de soulager quelque peu l'attelage. Le chemin, étroit à cet endroit, était bordé d'une sorte de barrière de bois, de construction relativement récente et difficile à franchir. Ce lieu nous parut convenir admirablement à notre projet.
Le lendemain matin, avant l'aube, je quittai le cañon en compagnie de Charley et de Starlight. Le vieux et Two-Suns étaient partis la veille au soir avec les chevaux que nous devions utiliser au retour, et ils campèrent à une vingtaine de milles de la piste dans une vieille cabane abandonnée. Un crime y avait, paraît-il, été commis trois ans auparavant, et personne ne s'aventurait jamais en ces lieux.
Notre plan prévoyait d'y conduire trois chevaux supplémentaires, de manière que nous ayons, après l'opération, des montures fraîches pour filer rapidement en direction du sud. Tout marcha selon nos prévisions. Après avoir rejoint mon père et le métis, nous empruntâmes la route de Butte pour nous arrêter finalement dans un endroit bien abrité. Il était près de minuit et demi. La nuit était froide, la lune était haut dans le ciel, et on y voyait presque aussi bien qu'en plein jour. L'attente nous parut interminable.
Soudain, nous entendîmes approcher le lourd véhicule qui gravissait lentement la côte. À un moment donné, il s'arrêta. La plupart des voyageurs descendirent et se mirent à marcher auprès de la voiture. Nous les entendions rire en échangeant des plaisanteries. Ils avaient presque atteint le haut de la montée lorsque la voix forte de Starlight s'éleva dans la nuit :
— Haut les mains !
Mon père, mon frère et moi – tous trois masqués – avançâmes jusqu'au milieu de la route. Le cocher, qui tremblait sur son siège, leva le premier les mains, et ceux qui marchaient s'arrêtèrent net. Je m'approchai de la voiture et ouvris la portière. Il n'y avait à l'intérieur qu'une vieille dame et une jeune fille qui restèrent muettes de frayeur.
La voix cinglante de Starlight se fit encore entendre :
— Alignez-vous tous près de la barrière et remettez argent, montres, bagues, bijoux, or… tout ce que vous avez. Ne conservez rien, sinon vous en subirez les conséquences.
Il tourna légèrement la tête vers Charley et moi.
— Numéro un, prenez les sacs postaux. Numéro deux, veillez à ce qu'on ne dissimule rien.
Charley s'avança, son revolver à la main, et Starlight s'adressa au premier voyageur.
— À vous de commencer !
L'homme tendit son sac ouvert, tandis que mon frère tenait les autres en respect. Pendant ce temps, je déchargeais les sacs. Le garde me fixait avec des yeux furieux, croyant sans doute que nous étions dans l'ignorance de son transport d'or. Je regardai en direction de la barrière. Le premier homme tremblait comme une feuille sous la menace du revolver de Charley et présentait à Starlight son sac qui contenait des pièces d'or et quelques billets. Puis il ôta de son doigt une bague ornée d'un diamant.
Tous les voyageurs avaient quelque chose à nous remettre, et il nous fallut une bonne demi-heure pour rassembler tout ce qui valait la peine d'être emporté. J'avais fait passer les sacs par-dessus la barrière et les avais planqués sous un sapin aux branches basses. Puis Charley m'aida à décharger l'or, et je crus un instant que le garde allait nous sauter dessus. Après quoi, Starlight s'avança vers la diligence où se trouvaient toujours les deux femmes. Il ôta poliment son chapeau et s'inclina légèrement.
— C'est pour moi une cruelle obligation, je vous l'assure, madame, mais je dois absolument vous demander… Ah ! cette jeune personne est-elle votre fille ?
— Pas du tout, répondit la grosse vieille dame. Je ne l'avais jamais vue auparavant.
Starlight s'inclina à nouveau.
— Veuillez excuser ma curiosité, madame. Et maintenant, puis-je vous demander, à toutes les deux, de me remettre vos bourses et vos montres ?
— Si vous étiez un gentleman, reprit la femme, vous nous en dispenseriez.
— Je ne trouve pas de mots assez forts pour vous exprimer le regret que j'éprouve, madame. Mais une dure nécessité m'oblige à insister. Merci infiniment, mademoiselle.
La jeune fille venait, en effet, de lui remettre une montre en or et une petite bourse. La vieille dame, elle, avait une montre avec sautoir et une bourse assortie.
— Est-ce tout ? demanda Starlight.
— C'est tout ce que je possède, répondit la jeune fille. Vingt-cinq dollars, et cette montre que maman m'a donnée avant mon départ. Maintenant je n'ai plus d'argent pour me rendre à Helena7.
Starlight passa à Charley la montre et la bourse de la vieille dame. Puis, je le vis se détourner, ouvrir l'autre bourse et y laisser tomber quelque chose avant de faire à nouveau face à la jeune voyageuse.
— Veuillez m'excuser, mademoiselle, dit-il, mais votre visage me rappelle quelqu'un que j'ai connu dans un autre monde, celui où je vivais autrefois. Permettez-moi de vous rendre ce qui vous appartient. Mesdames, je vous souhaite un bon voyage.
Une fois encore, il s'inclina. La vieille dame regardait d'un air irrité la jeune fille assise en face d'elle et qui semblait sur le point de fondre en larmes.
Starlight fit signe aux voyageurs de remonter en voiture. Le cocher rassembla ses rênes, activa ses chevaux de la voix, et la voiture s'éloigna. Nous avions pris une des lampes de la diligence. Nous nous assîmes sous le sapin pour examiner le contenu des sacs postaux et en tirer ce qui pouvait avoir pour nous quelque valeur. L'or fut placé sur les chevaux de bât que nous avions amenés dans ce but, puis nous nous mîmes à faire l'inventaire du sac dans lequel nous avions enfoui les objets personnels pris aux voyageurs. Nous constatâmes alors que le butin dépassait toutes nos espérances. Il y avait des pièces d'or et des billets, des montres et des chaînes, des bagues et des bijoux divers. Le sautoir de la vieille dame était de toute beauté, et Starlight nous annonça qu'il se le réservait. Je me souvins qu'il avait promis un cadeau à Belle Barnes, et je savais qu'il n'oubliait jamais une promesse.
Nous regagnâmes la cabane où nous prîmes un repas frugal, puis nous nous séparâmes afin de brouiller nos pistes. Starlight et Two-Suns s'en allèrent ensemble, et papa tout seul. Charley et moi repartîmes en direction du cañon.