CHAPITRE XXII
La première personne que je vis en me réveillant fut le métis, et je compris que Starlight ne pouvait être bien loin. Effectivement, j'étais en train d'enfiler mes bottes quand il fit son apparition.
— Eh bien, mon vieux Zip, dit-il, je commençais à craindre que tu n'aies été pincé.
— Comment as-tu réussi à filer, toi ? Est-ce qu'Arizona Bill t'a prévenu ?
— C'est le fidèle Two-Suns qui m'a annoncé la mauvaise nouvelle, répondit Starlight en allumant un cigare.
— Comment pouvait-il savoir que la police était dans les parages ? demandai-je d'un air soupçonneux.
— Il avait eu l'idée d'aller faire un tour à Alder Gulch pour tâcher de me voir, mais aussi à cause d'une autre affaire qu'il devait entreprendre avec ton père. Et vendredi, il se trouvait aux environs de l'Elk Horn quand il a vu Mrs Mullockson sortir comme une folle. Il l'a suivie et l'a vue entrer chez le shérif.
— C'est donc bien ça !
— Vois-tu, Zip, puisque tu aimes tant étudier le caractère des femmes, je suggère que, la prochaine fois, tu en choisisses une plus digne de confiance que celle-là.
— La sale garce ! dis-je. Eh bien, nous voici à nouveau dans le pétrin, et je crains fort qu'il n'y ait plus moyen d'en sortir. Il ne nous reste qu'à reprendre nos affaires, comme par le passé. Si ces salauds ne veulent pas nous foutre la paix, qu'ils en subissent les conséquences.
— Il est vrai, dit Starlight d'un air rêveur, que la société devrait parfois accorder une amnistie à des gens comme nous. Ce serait plus payant que de nous réduire au désespoir et de nous pousser aux dernières extrémités. Comment va Charley ? C'est le plus touché de nous tous, dans cette affaire.
— Il n'a jamais été aussi déprimé. Jeanie lui manque terriblement, et il m'a appris tout à l'heure qu'elle attend un bébé.
— Quelle erreur il a commise en se mariant ! On devrait vivre honnêtement lorsqu'on a des parents qui risquent de supporter les conséquences de ses actes.
*
* *
Nous passâmes quelques jours à ne rien faire, nous contentant de manger, boire et dormir. Nous ne nous étions pas encore tracé de ligne de conduite. Une seule chose nous paraissait certaine : il allait y avoir, à cause de nous, un remue-ménage épouvantable, car les flics devaient être furieux que nous soyons restés à Alder Gulch, sous leur nez pendant près d'un an, sans qu'ils aient été capables de nous détecter. Et il y avait aussi mon intervention pour arracher Charley de leurs mains. Aucun doute à avoir : ils allaient remuer ciel et terre pour essayer de nous découvrir et dépenser autant d'argent qu'il le faudrait pour acheter des témoins et en obtenir des renseignements. Nous craignions aussi qu'un jour ou l'autre quelqu'un finisse par repérer le cañon, car après cette affaire d'Alder Gulch la région allait fourmiller de chasseurs de primes et de détachements de police. Tel était, du moins, l'avis de Starlight qui déclara que nous ne pouvions rester confinés en ce lieu des semaines et des mois, sans rien faire d'autre que de boire, manger, dormir et jouer aux cartes.
Pourtant, si nous sortions, nous aurions à nos trousses un nombre d'hommes dix fois plus grand qu'auparavant. Nous nous en rendions parfaitement compte en lisant les journaux que nous apportait Two-Suns. Un jour, il nous ramena aussi une affiche promettant une prime de 5 000 dollars pour la capture de « la bande de Starlight et des frères Hardy ». Une autre prime de 1 000 dollars serait versée à toute personne qui fournirait des renseignements permettant l'arrestation de ces hors-la-loi.
— Il va y avoir plus de chasseurs de primes dans la région que de mineurs à Alder Gulch ! dit Charley d'un air sombre.
Je n'avais jamais observé chez personne un changement aussi total que celui qui s'était produit en lui. C'était autrefois le plus gai et le plus enjoué de nous tous, et maintenant il restait assis des heures entières à ruminer ses pensées sans prononcer une parole. La seule fois où je vis son visage s'éclairer, ce fut le jour où il reçut une lettre de Jeanie.
Starlight lui-même devenait inquiet et maussade.
— Par Dieu, Zip, me dit-il un soir, je n'en peux plus. Il nous faut trouver un coup à exécuter et quitter ensuite ce maudit pays. Ton père attend depuis longtemps que nous nous décidions à nous joindre à lui et aux autres gars avec qui il travaille.
— Oui, je sais qu'il est allé les voir la semaine dernière, et ils ont probablement projeté quelque affaire, mais il attend certainement que tu prennes les choses en main.
— Toujours la même vieille histoire ! soupira Starlight en ôtant son cigare de sa bouche.
Et je ne l'avais encore jamais entendu parler sur un ton aussi amer.
— Starlight reprend du service ! L'orgueil de vouloir mener les autres a toujours été ma perte. Si mes parents m'avaient laissé m'engager pendant la guerre, comme je leur avais demandé, les choses auraient sans doute tourné différemment, et je serais peut-être en ce moment en train de traquer les hors-la-loi, au lieu d'être moi-même traqué. Je n'oublierai jamais le jour où mon père a refusé de me laisser partir en déclarant que j'étais trop jeune pour aller combattre les Yankees. Bien entendu, j'ai tout de même rejoint les troupes de Quantrill. Je suppose que tu ignorais tout cela, mais tu dois te douter que Starlight n'est pas mon véritable nom.
Il éclata d'un rire triste et ajouta en s'éloignant à pas lents :
— Bah ! cela n'a plus aucune importance, maintenant. Aucune importance !
Le lendemain, nous projetâmes d'arrêter le prochain convoi transportant vers Virginia City l'or des mines d'Alder Gulch. Après quoi, nous partirions pour San Francisco d'où nous pourrions nous embarquer pour une destination qui restait encore à déterminer. Nous avions travaillé dur et honnêtement pendant près d'une année, mais on refusait tout de même de nous laisser vivre en paix comme le commun des mortels, on nous mettait au ban de la société, on nous poussait malgré nous à être des hors-la-loi.