CHAPITRE XIII
Quelle différence entre l'air empuanti de la prison et cette fraîche brise nocturne que nous respirions à pleins poumons ! Bien que le ciel fût quelque peu nuageux, des étoiles scintillaient par endroits, et les arbres prenaient une allure fantomatique dans cette lumière incertaine. J'avais l'impression de n'en avoir pas vu depuis longtemps, et il me semblait pénétrer dans un monde inconnu et étrange.
Nous chevauchâmes un long moment sans prononcer une parole, puis Charley s'arrêta. J'aperçus une maisonnette à peu de distance de la piste, et une ombre apparut sur le seuil.
— Le cheval est-il prêt ? demanda mon frère.
— Bien sûr.
Nous suivîmes l'homme jusqu'à l'écurie, et il en ressortit avec un de mes propres chevaux tout bridé et sellé. Nous repartîmes sans perdre un instant. Bientôt nous filions à toute allure, comme si nous ne devions jamais nous arrêter. Le Cañon des Aigles était trop éloigné pour que nous puissions l'atteindre en une seule journée, mais Charley connaissait un endroit où nous pourrions nous reposer un peu. Le soleil se levait au-dessus des collines lorsque nous atteignîmes une gorge étroite. Charley nous expliqua qu'il y était déjà venu en compagnie du paternel. Après l'avoir longée un certain temps, nous gravîmes une butte pour redescendre ensuite dans une petite vallée. Je distinguai une maisonnette du toit de laquelle montait un panache de fumée. C'était là, nous expliqua encore mon frère, un ancien relais de diligence, et maintenant la demeure d'un certain Barnes.
L'homme, qui avait l'air de bien connaître Starlight, nous fit manger, et nous allâmes ensuite nous coucher. Je ne me réveillai qu'en fin d'après-midi. Mon frère était déjà debout.
— Nous allons casser la croûte, me dit-il, et nous nous remettrons en route à la tombée de la nuit, car nous avons encore une sacrée trotte à faire avant l'aube.
Nous avalâmes un copieux repas qui nous fut servi par les deux filles de Barnes, prénommées Belle et Maddie. Elles étaient gentilles, très gaies et prêtes à rire de toutes nos plaisanteries. Bien entendu, elles savaient très bien d'où nous venions et pourquoi nous voyagions de nuit.
— Nous ne pensions pas vous revoir si tôt avec des amis, dit l'aînée en s'adressant à mon frère. Pourquoi ne nous avez-vous pas prévenues ? Nous aurions pu vous recevoir plus dignement.
— Je n'étais pas sûr de pouvoir passer par ici. C'est pourquoi j'ai jugé préférable de ne rien dire. Nous faisons tous parfois certaines choses dont il vaut mieux ne pas trop parler.
— Je suis certain, Charley, dit Starlight de sa voix grave et bien timbrée qui faisait toujours une profonde impression sur les femmes, que Miss Belle serait capable de garder n'importe quel secret.
— Oh ! Mr Starlight, répondit la jeune fille en rougissant, il n'y a pas une seule fille, de Cheyenne jusqu'à Sheridan, qui accepterait de vous dénoncer, même si on lui offrait tout l'argent du pays.
— Pas même pour un collier et des boucles d'oreilles en diamant ? demanda Starlight en riant. Et pour un joli pendentif avec une croix en brillants et une broche assortie ?
La jeune fille secoua la tête sans mot dire.
— Eh bien, à mon prochain voyage, je vous apporterai quelque chose à toutes les deux, poursuivit-il en regardant alternativement Belle et Maddie.
Il faisait nuit noire quand nous reprîmes la route.