CHAPITRE XXIX
Quand je revins à moi, je me trouvais dans une autre cellule, étendu sur mes couvertures. Les fers ne se mirent pas à tinter quand je remuai les pieds, et je fus surpris de constater qu'on me les avait enlevé. Puis la mémoire me revint. Je ne serais pas pendu. Grâce à George Storefield, j'avais la vie sauve, mais je ne savais même pas si j'en étais heureux ou non. Pendant une ou deux semaines, il me sembla qu'on aurait mieux fait d'en finir avec moi. Puis, peu à peu, j'éprouvai une opinion différente.
Un jour, Tom Worthington vint me voir.
— Écoute, Hardy, me dit-il, tu ferais mieux de réfléchir à ta situation plutôt que de continuer à broyer du noir. Réagis en homme, que diable ! Tu as peut-être encore des parents pour qui tu dois vivre, et tu as, en tout cas, une sœur exceptionnelle. Tu es jeune, et tu ne seras pas encore vieux à ta libération. Si ta conduite est bonne, tu peux obtenir une réduction de peine et t'en tirer avec douze ans. Réfléchis à tout cela et estime-toi heureux de t'en sortir à si bon compte.
Il me quitta sans attendre de voir l'effet que ses paroles avaient pu produire sur moi. Cependant, je suivis son conseil et réfléchis. Certes, douze ans, c'était long. Mais, après tout, je n'aurais pas plus de quarante ans à l'expiration de ma peine. Je songeai à Gracie qui avait promis de m'attendre, et cette pensée me donna du courage.
Au début, pourtant, je pouvais à peine manger et dormir, et je me réveillais la nuit, en sursaut, avec l'impression qu'on venait me chercher pour m'envoyer aux galères. D'autres fois, je rêvais que Starlight et Charley étaient encore en vie et que nous chevauchions ensemble dans la nuit en direction du Cañon des Aigles. Alors je me réveillais pour me rendre compte qu'ils étaient morts, et je me mettais à pleurer comme un enfant, épuisé par ces cauchemars horribles.
Cependant, les mois passaient. Depuis longtemps, j'étais sans nouvelles de mon père, et j'ignorais totalement ce qu'il était devenu lorsqu'un jour je lus dans un journal l'article suivant :
ÉTRANGE DÉCOUVERTE DANS LE TERRITOIRE D'ALDER GULCH
Une découverte extraordinaire vient d'être faite par des chercheurs d'or qui s'attaquaient à un nouveau filon non loin d'Alder Gulch, découverte qui pourrait expliquer la mystérieuse disparition périodique d'une fameuse bande de hors-la-loi maintenant décimée.
Deux prospecteurs ont trouvé accidentellement dans une falaise un passage difficile mais praticable qui les a conduits jusqu'à un cañon verdoyant et une vaste étendue où paissaient des chevaux et des bêtes à cornes.
Aucune habitation n'était visible, mais après de patientes recherches, une grande caverne fut découverte dans l'angle est du cañon. Des traces de feu existaient à l'entrée, près de laquelle deux selles et deux brides, manifestement abandonnées depuis longtemps, gisaient dans l'herbe. Non loin de là, se trouvait le corps d'un homme au teint bronzé. L'examen médical prouva que le crâne avait été fracturé à l'aide d'un instrument contondant. Un revolver, de marque Deane & Adams, gisait près du cadavre. À l'intérieur de la caverne, on trouva le corps d'un autre homme, assis et le dos appuyé au mur. Un de ses bras reposait sur un tonnelet de whisky vide, et à ses pieds était étendu le cadavre d'un chien. Tous paraissaient morts depuis longtemps.
D'autres recherches révélèrent l'existence dans la caverne de vêtements, de harnachements, d'armes et de munitions. Les corps ont été identifiés comme étant ceux de Ben Hardy, père des deux fameux hors-la-loi Zip et Charley, et d'un métis du nom de Two-Suns qui avait souvent été vu en compagnie du chef de bande Starlight.
On ne peut que se perdre en conjectures quant à la façon dont a péri le dernier membre de cette redoutable bande, mais en tenant compte des circonstances, il semble qu'on puisse s'arrêter à une hypothèse assez vraisemblable. On sait que le métis Two-Suns avait mis la police sur les traces de Zip Hardy dont il avait ainsi permis la capture, tandis que Starlight et Charley Hardy périssaient au cours du combat. Il est probable qu'après cela, Two-Suns, de retour dans la retraite secrète des hors-la-loi, a été pris à partie par Ben Hardy et tué avec la hache trouvée auprès de celui-ci, non sans avoir au préalable tiré sur le vieillard. Ce dernier, grièvement blessé et se rendant compte qu'il était perdu, aura probablement voulu abréger ses souffrances en mettant fin à ses jours à l'aide de son propre revolver…
Et l'article continuait, décrivant le cañon, et même le filon d'or dont – ironie du sort – nous n'avions jamais soupçonné l'existence.
Et maintenant, le vieux avait disparu, ainsi que son fidèle Crib qui s'était sans doute laissé mourir de faim aux pieds de son maître. Je me suis souvent demandé comment cette pauvre bête avait jamais pu montrer un tel attachement envers mon père. C'était, à n'en pas douter, la seule créature au monde qui l'eût aimé avec un tel dévouement, à l'exception de maman lorsqu'elle était jeune.