CHAPITRE XII
C'était donc ainsi que je devais passer cette journée de Noël. Je me réveillai pour voir l'aube grisailler à travers la fenêtre crasseuse de cette chambre qui me servait de cellule. On me conduisait à Billings, et nous nous étions arrêtés en route pour passer la nuit dans une petite ville, à proximité de la ligne de chemin de fer. On n'avait toujours pas de nouvelles de Charley. Avait-il réussi à s'échapper ? Cela paraissait fort improbable, et pourtant je ne pouvais m'empêcher de l'espérer.
En arrivant à Billings, on me jeta aussitôt dans une cellule, mais j'avais à peine eu le temps de m'asseoir qu'on vint me chercher pour me conduire dans le bureau du shérif où Starlight se trouvait déjà, toujours aussi insouciant. Au moment où j'entrais, il se tournait vers un des policiers pour déclarer d'une voix calme :
— J'aimerais bien avoir quelque chose pour me rincer la dalle, jeune homme, et je vous serais très reconnaissant de me donner satisfaction. Je paierai, naturellement. Et j'offre même une tournée générale.
La réflexion les laissa tous abasourdis. Le shérif adjoint Akins regarda son chef d'un air interrogateur.
— D'accord ! dit le shérif, un vieux bonhomme qui marchait en traînant la jambe. Une tournée au compte de ce monsieur.
Puis Starlight continua à répondre aux questions, et surtout à ne pas y répondre.
— Eh bien, dit-il à un moment donné, cela ne fait que confirmer ce que je pensais. Ayant dû monter un de vos chevaux, je comprends pourquoi vos hommes ont été incapables de rattraper ce jeune homme, à Meeteetse.
Je sentis mon cœur bondir de joie. Charley était donc parvenu à s'échapper.
— Shérif, poursuivait Starlight, vous devriez m'engager pour vous acheter des chevaux de race, et au bout de six mois, il n'y aurait plus un seul hors-la-loi dans la région.
Il me sembla que le shérif réprimait un sourire tout en griffonnant quelques mots sur une feuille de papier. Mais je pensais surtout à Charley, et je me demandais aussi où était ce gars de chez Pinkerton qui avait découvert Starlight. Akins revint avec les boissons. Lorsque le shérif eut rempli les papiers nous concernant, on nous ramena dans nos cellules. Je ne pouvais guère parler à Starlight, car il se trouvait à l'autre extrémité du couloir, et il me fallait hurler pour me faire entendre, chose que le surveillant ne semblait pas apprécier.
Pourtant, les repas de Starlight étaient fournis par un des bons restaurants de la ville, et on lui accordait manifestement un traitement de faveur. Nous passâmes ainsi dix jours, et je me demandais ce qui allait advenir de nous. Mais Starlight n'avait pas l'air de se faire beaucoup de souci. Un jour, il envoya à l'extérieur du linge à laver, et il lui fut ensuite rapporté par une vieille Indienne. Le paquet fut évidemment examiné par le shérif adjoint qui voulait s'assurer qu'il ne contenait pas d'arme, puis il laissa entrer la femme. Quand elle ressortit et tandis qu'elle passait devant ma cellule, elle me dévisagea, et je faillis laisser échapper une exclamation de surprise en reconnaissant Two-Suns. Je compris aussitôt que Starlight avait l'intention de nous tirer de là et, pour la première fois depuis mon arrestation, j'éprouvai un léger sentiment d'espoir.
La troisième nuit après cette visite de Two-Suns, j'entendis du bruit devant la porte de ma cellule. C'était Starlight. Il avait les clefs, et j'aperçus le gardien sans connaissance sur le sol. Quelques minutes plus tard, nous étions dehors.
La nuit était noire, et je ne pouvais voir les chevaux, mais je les sentais. Puis quelqu'un s'empara de ma main et me serra les doigts à les écraser. Je compris que c'était Charley. Sans un mot, nous nous avançâmes vers les chevaux. Et j'aperçus alors Two-Suns.
— Il nous faut monter à deux, me souffla mon frère, du moins pendant un ou deux milles.
Je sautai en croupe derrière lui, et Starlight prit l'autre cheval. Quant au métis, il avait déjà disparu. J'appris qu'il devait rester dans la ville quelques jours encore, afin de pouvoir nous faire passer des nouvelles.
Nous marchâmes au pas tant que nous ne fûmes pas sortis de la ville. Puis Charley éperonna son cheval. Nous étions libres !