C’était l’automne. La mise en place du chapiteau n’était plus qu’une affaire de jours.
En vue de l’inauguration, Maxime s’était commandé un costume bleu nuit et un chapeau claque. Il serait l’annonceur du futur spectacle ; Cheranne et Omar-Jo lui avaient préparé son discours.
Pour l’instant l’enfant, en habit de lumière agrémenté de plumes et de guirlandes, caracolait autour de la mouvante plate-forme.
Soudain il s’arrêta, comme poignardé dans le dos. Il pivota, tituba. Ses muscles le lâchaient. Il dut prendre appui et s’adosser au carrosse.
Cheranne qui suivait du regard ses déplacements appela le forain :
— Maxime, venez vite… Omar-Jo ne va pas bien.
Habitué aux brusques ruptures de ton du gamin, le forain haussa les épaules :
— Il n’y a pas de quoi s’inquiéter, tout ça fait partie de son théâtre !
— Pas cette fois, Maxime. Regardez-le bien.
Le visage de l’enfant était gris cendre, son corps tremblait. Aucun son ne sortait de sa gorge.
Même le public, qui l’applaudissait il y a quelques secondes encore, s’était tu, mal à l’aise.
— Il se passe quelque chose d’anormal, j’en suis sûre, insista Cheranne. Allez voir, Maxime.
Le forain s’approcha, tandis que la musique cessait, que la piste s’arrêtait de tourner.
Désorientés, les enfants ne savaient plus s’ils devaient demeurer sur place, ou bien rejoindre leurs parents.
Les mains en cornet devant sa bouche, Maxime souffla en direction du gamin :
— Tu ne crois pas que tu vas un peu fort, Omar-Jo ? Cette fois, tu inquiètes tout le monde avec tes bouffonneries !
Se tournant avec effort vers le forain, l’enfant lui jeta un regard suppliant :
— Viens me chercher, oncle Max. Je ne joue plus. Je n’arrive plus à bouger, je te le jure.
D’un bond Maxime se retrouva sur la plate-forme.
Le visage de l’enfant avait encore pâli, il frissonnait de tous ses membres.
Le forain le souleva, l’emporta dans ses bras, hésita un moment, le cœur battant. Puis il se dirigea vers la cabine, pour attendre le retour de Cheranne qui avait couru chercher du secours.
C’est le lendemain que Maxime reçut le télégramme annonçant la disparition du vieux Joseph. Il était mort la veille, au courant de l’après-midi.
Le forain n’éprouva pas la nécessité de l’annoncer à l’enfant, persuadé que celui-ci le savait déjà.