Depuis quelques semaines, la ville avait retrouvé sa paix. La population, une fois de plus, se persuadait que la tourmente avait pris fin, que la concorde allait se maintenir.

C’était un dimanche après-midi. Il faisait chaud. Cela sentait la poussière et la moiteur de l’air marin.

Omar portait un blue-jean foncé, une chemise à carreaux beige au col entrouvert. Annette avait revêtu sa robe d’été à fleurettes orange, terminée par trois volants. Elle ne portait pas de bas ; la couleur de ses chaussures en toile capucine se mariait avec les tons de son vêtement.

— Si nous allions nous promener, Omar ? suggéra-t-elle.

— Oui, allons nous promener.

Ils étaient d’accord, presque toujours. Omar-Jo en éprouvait un sentiment de bien-être qui amenuisait, assourdissait, les scènes de violence qui se succédaient, depuis plus de douze ans, à l’extérieur.

 

L’enfant se souvenait de tout.

Il pouvait, à chaque instant, revivre la scène en son entier. Il pouvait, à chaque seconde, comme pour de vrai, pénétrer dans la pièce inondée de soleil qui donne sur l’étroit balcon ; se glisser entre son père et sa mère, les frôler, se frotter aux jupes d’Annette, se suspendre aux épaules d’Omar ; entendre leurs voix, leurs rires.

Écouter leurs rires… En dépit des risques quotidiens, des dangers de toute nature – même leur statut était critique – ils riaient, beaucoup, ensemble.

Ce matin-là, leurs visages si jeunes, si proches, se reflétaient dans le miroir rectangulaire du living. Omar entourait de son bras la taille de sa femme, puis il l’embrassait sur la joue.

Omar-Jo se tenait accroupi sur le sol. Il dessinait. Il avait choisi de rester à la maison.

— Nous te rapporterons une glace. Quel parfum veux-tu ?

— Du chocolat. Le grand cornet.

— Le plus grand !

Ils disparurent la main dans la main, laissant, derrière eux, la porte entrouverte.

 

Omar et Annette ont cinq étages à descendre ; l’immeuble n’a pas d’ascenseur.

Tout en continuant de colorier sa page, Omar-Jo entend distinctement leurs pas sur le carrelage. Au fur et à mesure qu’ils s’enfoncent, leur rythme s’accélère. Il devine le double saut qu’ils exécutent, comme d’habitude, par-dessus les trois dernières marches donnant sur chaque palier.

Il imagine leur course, leurs enjambées. On les dirait assoiffés de mouvement, attirés par le dehors. Ils vont de plus en plus vite, ignorant la rampe, dévalant joyeusement les étages, s’élançant à la rencontre de ce qui les attend.

 

Omar-Jo se demandera toujours pourquoi il a subitement rejeté ses crayons de couleur. Pour quelle raison il a couru vers le balcon pour leur crier qu’il avait brusquement changé d’avis ; qu’il voulait, à présent, les rejoindre.

— Ouh ! Ouh ! Papa, maman ! Je viens.

Ils ont quitté le seuil de l’immeuble ; ils entendent son cri, l’aperçoivent, l’appellent à leur tour :

— Descends vite. On t’attend !

Ses sandales à la main pour ne pas perdre une seconde, il se précipite, pieds nus, dans l’escalier.

Parvenu au bas des marches, Omar-Jo s’était accroupi pour remettre ses sandales.

Il en chaussa une. Une seule.

Une violente explosion déchira l’air ; suivie d’une autre déflagration qui fit trembler toute la bâtisse.

La seconde sandale à la main, l’enfant se rua vers l’extérieur.