Quelques jours après, Omar-Jo entra dans la chambre de Sugar, tenant une large enveloppe brunâtre.
— Devine ce qu’il y a là-dedans.
— Ton idole ! annonça sans hésiter le jeune Noir. L’enfant tira le guéridon recouvert d’une nappe rouge, jusque sous la lampe fixée au plafond. Celle-ci, encerclée d’un abat-jour en émail blanc, possédait un fil coulissant qui permettait de l’abaisser à la bonne distance de la surface à éclairer.
Omar-Jo posa l’enveloppe sous l’éclat lumineux. Puis, il en sortit lentement la photographie, faisant durer l’attente. Il la présenta d’abord à l’envers pour ménager ses effets. Au bout de quelques instants, il la rabattit du bon côté. En pleine lumière, comme sous les feux d’un projecteur : un vieil homme dansait.
Il dansait, le vieux Joseph.
À la tête de son cortège, on ne voyait que lui !
Sa chemise en coton noir, à ras de cou et à manches longues, soulignait la puissance de ses épaules, la largeur de son buste. Un ample pantalon, à la turque et du même noir, se serrait autour de ses chevilles. Il portait des sandales à grosses lanières, qui découvraient ses pieds nus.
L’un, dressé sur la pointe, adhérait au sol et soulevait le corps puissant. L’autre se tenait à l’équerre au bout de la jambe repliée, amorçant la pirouette.
Un bras s’allongeait à l’horizontale. Le second, à la verticale, dressait au-dessus de la tête du danseur un sabre recourbé entamant sa spirale.
Le cérémonial de la danse allait débuter.
Sur la photo en noir et blanc on distinguait les rides du vieil homme, ses lèvres gercées, un bout de sa langue. Son profil d’aigle, sa fière moustache ajoutaient à sa prestance.
Son ardeur embrasait le papier glacé, transperçait le temps et l’espace ; s’inscrivait dans un éternel présent.
— C’est mon grand-père, dit Omar-Jo.
— Quel mouvement, fit Sugar. Quel mouvement !