Avec l’acheteur, la discussion avait été âpre. Elle n’avait pas encore abouti.
Le lendemain à sa sortie du métro, Maxime s’approcha du Manège en traînant les pieds et en maugréant.
Il souleva la pesante bâche, la replia au fur et à mesure, grommela à la pensée qu’il faudrait épousseter tout cet attirail, huiler tous ces essieux.
À la fin du parcours, il découvrit, avec exaspération, le carrosse.
Là, à l’intérieur, il aperçut soudain – tapi sur la banquette rouge, couché en chien de fusil – un gamin, un vagabond aux pieds nus qui sommeillait tranquillement.
Stupéfait, puis saisi d’une insurmontable fureur, le forain se rua sur la portière. Il la tira si violemment à lui qu’elle faillit lui rester entre les mains.
— Dehors, sale môme ! Dehors ! hurlait-il.
Réveillé en sursaut, l’enfant se redressa, se frotta les yeux.
— Dehors ! J’ai dit : dehors !
Sous le feu de cette colère, de ces vociférations, le gamin demeura pétrifié, sur le qui-vive.
— Dehors ! Dehors ! tonnait la voix.
Suffoquant de rage, ne trouvant pas d’autres mots, Maxime plongea son bras droit au centre du carrosse et agrippa l’enfant par son tee-shirt bleuâtre. L’arrachant à sa banquette, il le souleva, lui faisant franchir le seuil de la portière béante, le balançant ensuite par-dessus la plateforme ; et dans un vol plané, l’exaspération redoublant sa force, il le fit atterrir sur le terre-plein, les cheveux hirsutes, les pieds nus.
L’enfant vacillait sous le choc. Il exécuta un ou deux pas de côté, attendant que ses jambes s’arrêtent de trembler, avant de faire face au forain. Puis, sur un ton dont il s’efforçait de chasser toute panique :
— J’étais venu faire un tour de piste. Il n’y avait personne, alors, en attendant…
— De qui te moques-tu ? coupa Maxime. Un tour de piste, en pleine nuit ?
La nuque redressée, les pieds soudain d’aplomb, la voix raffermie, l’enfant fit encore un pas en direction du forain :
— Chez nous, c’est toujours la nuit.
— Où ça, chez vous ?
L’autre se figea de nouveau.
— Tu ne veux pas me répondre ?
Maxime attendit, regagnant son souffle. Mais, le fixant de son regard lointain, le gamin gardait les lèvres serrées.
— Je m’en fous de savoir d’où tu viens ! Je sais que fagoté comme tu l’es, sans chaussures, avec ta tête de…
Soudain, en pleine tirade, il s’aperçut qu’à la place du bras gauche de l’enfant, il n’y avait que du vide ! Rien qu’un moignon tuméfié, pointant hors de sa chemisette en coton.
Le forain s’arrêta net, interrompant ses invectives.