Le vieux Joseph avait fait de son mieux pour que l’enfant quitte le pays.

— À ton âge, il faut visiter la Terre.

Au début, Omar-Jo ne voulait pas entendre parler de ce départ. Il se raccrochait à son aïeul, aux gens du village, hospitaliers et chaleureux. Il craignait, en changeant de lieu, d’effacer de sa mémoire le souvenir de ses parents.

— Omar et Annette ne s’effaceront jamais ; ils t’habiteront toujours. Ne reste pas enfermé ici, Omar-Jo. Tu es né avec la guerre, tu ne dois pas vivre avec la guerre. Il faut voir le monde, connaître la paix. Les racines s’exportent, tu verras. Elles ne doivent pas t’étouffer, ni te retenir.

— Grand-père, tu n’es jamais parti ?

— Je n’ai pas pu, les circonstances… Ma tête, elle, a beaucoup voyagé !

— La mienne aussi voyage.

— Ça ne doit plus te suffire, petit. Tes yeux ont besoin d’autres horizons.

— Loin de toi, je serai si seul.

— Tel que tu es, tels que nous sommes, toi et moi, nous ne serons jamais seuls. Mais tu garderas toujours au fond de toi un coin de solitude, parce que tu aimes ça ; parce que tu auras besoin de ça pour te retrouver. Tu disais parfois à tes parents : « Faites comme si je n’étais pas là », tu te souviens ?

— Qu’est-ce que je ferai, là-bas, après l’école ?

— Je te fais confiance, Omar-Jo, tu trouveras.

Joseph se disait aussi qu’un enfant ne doit pas partager, trop longtemps, la vie d’un vieil homme. Il fallait le reconnaître, il était devenu vieux : le corps ne suivait plus la fougue de l’âme, la chair devenait plus sourde aux frémissements du cœur, l’espoir s’était engourdi. Omar-Jo devait bâtir autrement, ailleurs, que sur le seul passé ; et transformer les images dévastatrices en images d’avenir.

S’obstinant dans son refus, l’enfant se cramponnait à son grand-père ; traînant des heures, à sa suite, dans la maisonnette ; puis, dans le jardinet et le terrain alentour.

Enfin, il s’était laissé convaincre. Joseph étant illettré, ce fut Omar-Jo qui rédigea la première lettre à Antoine et Rosie. Ensemble ils attendirent la réponse.

Quelques jours avant le départ, l’enfant s’attarda près du carré de vignobles, se plongeant dans l’observation d’une fourmilière. Au crépuscule, il se percha entre les branches du grand pommier.

De là, il contempla la ville. Sa ville, bordée de mer, entourée de riantes collines. Qu’elle paraissait innocente et joyeuse, de si loin, de si haut ! Elle, la cité meurtrière !

Joseph aurait souhaité donner à Omar-Jo le sabre des cérémonies, son bien le plus précieux. Mais l’encombrant paquet compliquerait son voyage.

À la veille du départ, il lui offrit, dans un petit sac transparent, une poignée de terre de leur colline.

Au port, quelques minutes avant l’embarquement, il glissa, à l’annulaire de son petit-fils, la bague d’Omar surmontée du scarabée.

— Je te quitte, dit l’enfant retenant ses larmes.

— Tu m’emportes, dit le vieux.