Omar-Jo n’avait que huit ans à l’époque. Ce soir-là, assis par terre devant la télévision, il refusait d’aller se coucher malgré les injonctions d’Annette.

Depuis plus d’une heure, la canonnade avait subitement repris. Ces derniers temps, l’illusoire trêve avait duré ; en dépit de sporadiques affrontements, l’existence s’était, peu à peu, normalisée.

Ce soir-là, le sifflement des bombes avait été plus insistant. Les combats reprenaient-ils ? Omar et Annette chuchotaient, en se tenant par la main. Sans vraiment les inquiéter – le voisinage avait toujours été ouvert, accueillant –, leur situation particulière les rendait plus vulnérables que d’autres. Ils cherchaient à se parler, ensuite à téléphoner à des proches, sans inquiéter l’enfant.

— Il est l’heure de te coucher, Omar-Jo.

Celui-ci ne bronchait pas. Il avait augmenté le volume du son. Le cou tendu, la tête en avant, il cherchait à échapper aux bruits des projectiles ; à entrer dans l’image, pour y trouver refuge.

Le sifflement des lance-roquettes, le grondement des canons se rapprochaient.

Annette et Omar revinrent à la charge. Il leur fallait, à tout prix, demander conseil ; peut-être trouver asile dans un abri proche. Leur immeuble n’avait ni cave ni sous-sol.

— Laissez-moi regarder ! Laissez-moi tranquille ! s’écria Omar-Jo.

Toujours assis, il glissa sur le sol, s’avançant jusqu’à toucher l’écran.

Omar, d’ordinaire si calme, bondit vers son fils. Il le souleva, l’emporta sous son bras dans la chambre d’à côté. Celui-ci se débattait furieusement.

S’asseyant sur le lit, il étendit l’enfant sur le ventre et lui administra la fessée.

La stupéfaction d’Omar-Jo le rendit muet. Le visage redressé, il fixait sa mère, debout dans l’entrebâillement de la porte, tout aussi ahurie que lui.

— C’est la première et la dernière fois, conclut Omar après avoir remis l’enfant sur ses jambes. Nous ne vivons pas des temps faciles. Toi, tu dois apprendre à grandir encore plus vite que les autres, Omar-Jo.

Il l’embrassa, le serra contre lui. L’enfant sentit contre sa joue le grattement de la moustache de son père. Sa mère, qui s’était rapprochée, lui passait la main dans les cheveux.

— Rien ne vous arrivera. Jamais rien ! supplia-t-il.

— Rien, dit Omar.

— Rien, rien ! reprit Annette. Il ne faut pas t’inquiéter.

 

Le nombre des obus qui pilonnaient la nuit semblait se réduire.