CHAPITRE II
J'avais vraiment toutes les raisons de prendre mon enlèvement au sérieux, mais je n'y parvenais pas. Que cela m'arrive à moi était absurde.
Je travaillais au siège de l'O.M.E.S., à Genève comme il se doit, tard, parce que j'ai toujours aimé travailler de nuit, quand les couloirs et les bureaux sont vides, quand personne ne peut plus s'imposer à ma solitude.
À moins d'une poignée d'heures de l'aube, j'ai rejoint le parking souterrain et j'ai quitté l'immeuble. L'avenue était moins déserte que d'habitude puisque j'ai immédiatement remarqué une limousine derrière moi, puis une autre devant. Celle-ci roulait si mal (j'ai pensé à un conducteur ivre qui refusait l'autopilote pour s'offrir des frayeurs) que je n'ai pas pu la doubler immédiatement. Je n'ai d'ailleurs pas pu la doubler du tout, parce qu'au moment où je prenais de l'accélération, elle a planté les freins et j'ai encastré mon véhicule dans son pare-chocs.
Un accident, à Genève, dans le quartier administratif... Je suis descendu de voiture, prêt à ricaner, et j'ai béé à m'en décrocher la mâchoire devant le pistolet-mitrailleur qu'un homme masqué braquait sur moi. L'autre limousine a fait hurler ses freins et deux lascars, tout aussi masqués, en sont sortis plus vite qu'au cinéma. Le premier a bondi dans mon véhicule, l'autre m'a collé un revolver sous le nez et m'a attrapé par le col pour me tirer vers le sien.
— Mais..., ai-je bêlé, ce qui m'a valu ma première beigne, indélicatement donnée avec le canon du revolver.
Ensuite, le type m'a jeté dans la voiture, est monté derrière moi, et les trois véhicules ont redémarré. Au pire, la scène avait duré cinq secondes. J'ai juste pu voir que nous n'empruntions pas la même route que les autres, puis mon ravisseur m'a couché de force entre les banquettes et m'a assené un deuxième coup de revolver quand j'ai stupidement tenté de résister. Celui-ci a failli m'arracher l'oreille droite ; le premier m'avait ouvert la pommette gauche. J'étais plus ébahi qu'hébété, endolori qu'effrayé, et je me demandais ce qu'ils feraient de moi quand ils s'apercevraient de leur méprise. Car, aucun doute, c'était une méprise.
Ce voyage n'a pas été très long, et je l'ai fini avec une cagoule opaque sur la tête. Après, je suis resté enfermé quatre jours dans une cave, avec un matelas et un robinet d'eau froide. On m'a nourri, c'est d'ailleurs tout ce que j'ai eu comme relations avec mes kidnappeurs. Je n'ai jamais vu leurs visages (je n'ai aucune idée de leur nombre exact), et chaque fois que je posais une question, je prenais une claque. Puis j'ai eu droit à un deuxième transport en voiture, qui s'est manifestement achevé sur des chemins non goudronnés.
Cette fois, avant de me jeter dans une autre cave, on m'a délesté de tout ce que je possédais, jusqu'aux vêtements, qu'on n'a pas remplacés. Comme je n'avais pas ma montre, je ne peux être catégorique, mais j'ai dû attendre deux journées dans le noir, sans boire et sans manger, avant qu'on me place sous perfusion. Je savais que mon état ne le justifiait pas, donc on me droguait. C'est sur cette inutile pensée que j'ai perdu conscience.