LXVI
Il ne restait plus qu'à essayer la robe de crêpe blanc et les quatre tailleurs. Elle fît remarquer que la robe était un peu trop large aux hanches — car elle tenait à ce que sa noble croupe fût moulée et visible mais, étant de bonne famille, elle ne voulait pas avoir à le dire ni même le savoir. Le couturier la rassura.
Elle n'en crut rien mais se tut lâchement. Trop tard pour des retouches.
Un coup d'œil lui suffit pour s'apercevoir que le tailleur gris clair était raté. Elle s'arrangea pour ne plus le voir, fixa son regard sur la pendule aussi longtemps que Volkmaar fixa des épingles en vue d'une ultime retouche, inutile d'ailleurs car elle avait déjà décidé de donner à Mariette cette saleté qui faisait midinette bossue.
— Le charmant anthracite maintenant, chère madame.
Abrutie, elle regarda la veste trop pincée, les revers bêtement larges en haut, idiotement étroits en bas, et les épaules rembourrées faisant confection. Elle comprenait tout maintenant.
Les modèles étaient parfaits parce qu'ils venaient de Paris, mais ce crétin n'avait même pas su les copier. Elle feignit de se laisser rassurer par le bonhomme qui disait que ce n'était qu'une question de coup de fer ou encore qui tirait là 645
où cela n'allait pas, ce qui corrigeait les défauts pendant deux secondes. Pour l'embrouiller et l'empêcher de trop penser aux deux tailleurs évidemment manques, il lui fit compliment sur son corps de déesse, ce qui la dégoûta. De quoi se mêlait-il, ce petit mamelu?
—Maintenant, chère madame, les deux adorables en rustique et ce sera fini.
Docilement, elle le laissa les essayer l'un après l'autre. Encore pires que les deux en flanelle. Protester, à quoi bon? Il ne pourrait rien arranger en quelques heures. D'ailleurs, c'était un incapable qui ne comprenait rien au costume tailleur. Oh, n'être pas allée chez ce type ! Oh, avoir tout simplement acheté des prêts à porter ! Mon Dieu, une minute avant une gaffe on pouvait si bien ne pas l'avoir faite !
—Oui, tout à fait bien, merci, monsieur.
Volkmaar parti, elle s'assit. Pleurer n'avancerait en rien. Et puis, après tout, les robes n'étaient pas mal, certaines en tout cas. Il n'y avait que les tailleurs qui étaient un désastre. Elle les brûlerait ce soir, dès qu'on les apporterait. Non, les brûler serait compliqué et puis ça empesterait. Plutôt les couper en morceaux et les enterrer dans le jardin. Ainsi, ils n'auraient jamais existé et elle n'y penserait plus. Plus tard, elle irait à Paris et elle y commanderait dix tailleurs s'il le fallait, oui dix pour que deux ou trois au moins fussent réussis. Si on voulait s'habiller bien, il fallait accepter du déchet. Enfin, la robe lacée en toile allait bien, une sorte de toile à voile en somme, mais si fine, si légère.
—Une robe voilière, sourit-elle, ravie de cet adjectif inventé.
Elle ôta sa combinaison, son slip, ses bas, et le soutien-gorge mis à cause du porc. Oui, tout enlever, il faisait si chaud aujourd'hui, trente degrés au moins. Nue, elle passa la chère robe, exquise avec ses lacets qui s'entrecroisaient devant, si souple et blanche, lar-646
gement échancrée et divinement sans manches, héroïque et sculpturale avec ces plis merveilleux. Oh, comme elle s'y sentait bien ! Oui, bonne idée de ne rien mettre dessous. Il faisait si étouffant. Et puis exquis de narguer les gens de la rue et de penser qu'ils ne savaient pas.
Elle ouvrit un carton, en sortit les sandales blanches achetées tout à l'heure, leur sourit tendrement. Jambes nues et sandales, c'était parfait avec cette voilière. La combinaison, les chaussures, le slip et les bas furent fourrés dans le carton. Bon débarras, elle dirait au rateur de tailleurs de le faire apporter à Cologny en même temps que sa vieille robe et le reste de la commande. Dans la glace à trois pans, les trois Ariane en robe voilière étaient fines et hautes, des chéries.