XLI
Soirées des débuts, ravissants entretiens par tant de baisers interrompus, trêves de chasteté, délice si intéressant de se raconter à l'autre, d'apprendre tout de l'autre, de lui plaire.
Animée, elle lui racontait son enfance, et les jeux avec Éliane, et la chanson inventée par elle et que les deux petites filles chantaient sur le chemin de l'école, lui racontait son oncle et sa tante et Varvara, lui racontait sa chouette Magali et sa chatte Mousson, âmes charmantes si tôt enlevées à sa tendre affection, lui montrait des photos d'autrefois et ses devoirs d'enfant, ou même lui donnait à lire son journal intime, heureuse qu'il sût tout d'elle, qu'il eût tous les droits, ou gravement lui parlait de son père, et il faisait l'attentif respectueux pour le plaisir de la voir aspirer profondément, fière de ce respect qui justifiait leur amour, l'autorisait.
Merveille, tout en parlant, de se regarder avec lui dans la glace, de savoir que c'était pour de bon, qu'elle l'avait, qu'il était à elle. Merveille de tout partager avec lui, de lui faire offrande du plus secret, ses flammes adolescentes, ses rêveries, son ermite d'autrefois, maintenant disparu, le petit bourgeois sur qui elle tirait et qui tombait dans la neige, les fracasse-ments calmants de son corps lancé contre le mur, ô
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merveille de le sentir son frère de l'âme qui comprenait tout d'elle, mieux qu'elle-même la comprenait. Oui, merveille d'être aussi frère et sœur, et de rire ensemble.
Elle lui disait les musiques qu'elle aimait, parfois se levait pour les lui jouer au piano, et elle le regardait lorsqu'elle avait fini, rassurée s'il les aimait aussi, et elle lui baisait les mains.
S'il ne les aimait pas, elle les trouvait moins belles, s'apercevait qu'il avait raison. Ó ce besoin d'être unie à lui, de n'aimer que ce qu'il aimait, de connaître les livres qu'il aimait pour les lire et à son tour les aimer.
Infinis entretiens, armistices d'amitié qui la rassuraient et lui étaient preuves que leurs liens étaient d'âme et non seulement de corps, délice toujours nouveau de parler d'eux-mêmes, de briller, d'être intelligents et beaux et nobles et parfaits. Deux comédiens occupés à se plaire, se produisant et paradant, pensait-il une fois de plus, mais peu lui importait, c'était exquis, et tout d'elle le charmait, et même son sourire d'enfant modèle devant le photographe lorsqu'il lui faisait compliment sur sa beauté, et même son parler genevois le charmait, ses septante et ses nonante. Il l'aimait.
Un matin, elle l'invita à venir dîner chez elle à huit heures.
Ce fut leur premier repas ensemble. Si fière d'avoir tout préparé toute seule, fière surtout de son potage à l'oseille, gravement apporté à table. Aimé, c'est moi qui l'ai fait du commencement à la fin, c'est de l'oseille du jardin, je l'ai cueillie ce matin. Charmée de nourrir son homme, émue par l'image de cette épouse et servante sagement dispensant le potage, une louche à la main. Plaisir de le voir manger. Elle se sentait femme d'intérieur et s'admirait. Elle l'ad-481
mirait aussi. Good table manners, se disait-elle en le considérant.
Plaisir aussi de jouer à l'épouse raisonnable. Comme il demandait une troisième tranche de gâteau au chocolat, non, mon chéri, c'est trop, dit-elle sentencieusement. Ce même soir, il se fit une très légère coupure au doigt. Si contente alors de le soigner, de mettre de la teinture d'iode, de lui faire un pansement sur lequel elle déposa ensuite un baiser, en bonne mère.