XXXIV

— Deux cents francs par jour au moins, peut-être plus, tout un appartement après tout avec salon grand genre, d'après Kanakis salle à manger aussi, c'est pas vrai, il a voulu faire le renseigné, mais tout un appartement tout de même, et dans un palace super, sûrement plus de deux cents balles par jour sans compter les suppléments qui sont pas bon marché dans un palace petits déjeuners repas au restaurant blanchissage coiffeur taxes pourboires, et puis les gages et l'entretien du valet personnel et du chauffeur, le valet annamite en veste de toile blanche enfîn grand chic, l'ensemble au bas mot, enfin on calculera ça à tête reposée, évidemment qu'il peut se le permettre avec la galette qu'il touche, dis donc la note du restaurant qu'il a signée sans jeter un coup d'œil hein, et le billet de cent dollars au maître d'hôtel tu te rends compte comme pourboire, en somme ça a bien marché ce dîner en bas au restaurant, mais au fond peut-être que Kanakis a raison peut-

être qu'il y a aussi une salle à manger mais alors pourquoi le restaurant, évidemment que pour deux c'est plus pratique plus rapide comme service, peut-être que sa salle à manger c'est rien que pour les grands dîners officiels, enfîn ça a bien marché ce dîner il a bien pris la chose quand je lui ai dit la blague de la migraine et qu'elle regrette

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beaucoup d'avoir pas pu venir, il aurait pu se vexer mais non un sourire en me regardant, il a dit évidemment, au fond qu'est-ce que ça voulait dire, enfin ça s'est bien passé, dîner formid hein, mais j'étais pas dans l'état d'esprit pour en profiter, il faut dire qu'il a été charmant avec moi, même cette idée de me laisser tout seul pour aller se mettre en robe de chambre, ça fait original si tu veux, d'accord, mais en même temps c'est gentil ça fait intime il me traite en ami quoi, et puis tout à l'heure en bas tous les égards me demandant si j'aime ci si je préfère ça, dîner superfin tu sais, la grande cuisine quoi, à titre de revanche d'ailleurs il y perdra rien, à mon retour de mission on lui fera un dîner de première, enfin on verra on a le temps de réfléchir, en attendant j'ai trop mangé moi, c'est sa faute, il a commandé un tas de plats au fond rien que pour moi, il a presque rien mangé lui, il a fumé il a bu du champagne, mais moi j'étais bien forcé de manger, par politesse quoi.

Oui, ça ne passait pas, c'était le caviar et puis ce gratin, et puis cette caille confite, et puis le chevreuil aussi, enfin tout.

Au fond, c'était surtout à cause du silence qu'il avait tellement mangé. Tout de même si elle avait été là, ça aurait aidé pour la conversation à table. Et puis, il n'avait pas assez mâché, c'était l'émotion. Oui, bicarbonate sitôt dans le wagon-lit, il y en avait dans la petite valise des urgents, demander un quart Vichy au conducteur. Tout de même il n'aurait pas dû lui dire à elle qu'elle était méchante, et puis la maudire. Ça, il était allé trop loin. C'était une femme, elle avait ses humeurs, probablement qu'elle allait être peu bien, le dragon, comme elle disait. Bon, on lui écrirait gentiment de Paris. Oui, c'était ce sacré silence en bas, mais dès qu'on était montés le S.S.G.

avait été très aimable, causant. Gentil d'avoir parlé de son patelin natal. Drôle d'idée d'être né à Céphalonie.

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—Le plus formid, mon vieux, c'est quand il m'a dit qu'on pourrait y aller ensemble.

Ça alors, comme rapports personnels ! Si jamais ça se réalisait ce voyage ensemble, c'est alors qu'il pourrait lui parler de la réorganisation de la section, lui dire tout ce qui ne marchait pas, surtout du point de vue documentation. Étendus tous les deux sur le sable, face à la mer, c'est ça qui faciliterait les choses. Sur le sable, il pourrait même lui sortir franchement tout ce qu'il pensait de Vévé, le manque de dynamisme, enfin sortir toutes les critiques, le boss et lui copains en train de se bronzer au soleil.

Intimité, confiance, rien d'administratif. Sur le plan personnel, quoi. Eh bien, il en mettait du temps à se coller en robe de chambre. Dès qu'il arriverait, de l'assurance, briller au maximum. Mais attention, pour Picasso, y aller doucement, tâter le terrain d'abord, en dire à la fois du bien et du mal et agir selon la réaction du boss. Le cas échéant, renoncer aux trois phrases de la revue. Tout de même c'était gentil au boss d'avoir dit qu'ils se baigneraient ensemble à Céphalonie, tous les deux. Gentil comme idée, une huile et un simple A se baignant ensemble dans la mer, s'interpellant, plaisantant! Puis étendus sur le sable, compère et compagnon, devisant, faisant couler le sable entre les doigts.

—Alors là, mon vieux, bombardé conseiller à coup sûr, je te garantis !

Il se leva, impressionné par la somptueuse robe de lourde soie noire qui descendait jusqu'aux pieds nus chaussés de mules, les revers bâillant sur la poitrine nue. Sur un geste de Solal, il reprit place dans un fauteuil, artificiel et charmé, aspirant sa salive avec de petits bruissements déférents, croisant ses jambes puis les décroisant tandis que le valet annamite, avec des sourires bruns, servait le café et le cognac. Pour remplir le silence, le jeune fonctionnaire s'empara de

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sa tasse, but poliment, attentif à ne faire nul bruit. 11 accepta ensuite une cigarette silencieusement offerte, l'alluma en tremblant, tira des bouffées tout en regardant à la dérobée, de temps à autre, son hôte qui tourmentait un chapelet d'ambre.

Qu'est-ce qui se passait? Pourquoi est-ce qu'il ne parlait plus?

Si bienveillant tout à l'heure, et maintenant pas un mot.

Paralysé par le silence, preuve terrible que son chef s'ennuyait avec lui, Adrien Deume ne trouvait rien à dire et en conséquence souriait. Pauvre sourire figé, refuge et recours des faibles désireux de plaire et trouver grâce, constant sourire féminin dont il n'était même pas conscient, sourire qui se voulait à la fois témoignage de soumission, démonstration de bonne volonté toute prête et signe du plaisir qu'il éprouvait en la compagnie même muette de son supérieur. Il souriait et il était malheureux. Pour exorciser le silence et le remplir, ou pour être naturel et à son aise, ou pour se donner du courage et trouver enfin quelque chose à dire, il avala son verre de cognac d'un seul coup tragique, à la russe, ce qui le fit tousser. Mon Dieu, de quoi parler? Proust, déjà fait, il en avait parlé en bas, à table. Mozart et Vermeer, idem. Picasso, il n'osait pas, trop risqué. Il ne se rappelait aucun des autres sujets de conversation qu'il avait soigneusement inscrits sur la petite feuille, en les numérotant. Il fit de discrètes grimaces de constipation pour activer sa mémoire, mais en vain. La main contre sa hanche, il sentait la feuille du salut, la sentait exister et craquer dans la poche de son smoking, mais comment la sortir sans être vu? Dire qu'il désirait aller se laver les mains et vite y jeter un coup d'œil? Non, trop gênant, et puis ça ferait vulgaire. Le silence était effrayant et il s'en sentait responsable.

Après avoir examiné d'un air profond le fond de son verre vide, il osa lancer un timide regard vers son supérieur hiérarchique.

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— Vous écrivez, je crois, cher ami ? demanda Solal.

— Un peu, sourit pédérastiquement le cher ami, bouleversé par la flatteuse appellation, les yeux soudain humides de gratitude. C'est-à-dire pour autant que mes obligations professionnelles me le permettent. Oh, jusqu'à présent je n'ai commis (il eut un petit sourire délicat) que quelques poèmes, à mes moments de loisir, naturellement. Une plaquette publiée l'année dernière, un tirage limité, hors commerce. Pour mon plaisir et, j'espère, pour celui de quelques amis. Des poèmes d'expression et non de communication. (Ému par cette noble formule, il aspira de nouveau un peu de salive distinguée, puis résolut de frapper un grand coup.) Je serais heureux de vous faire hommage d'un exemplaire sur japon impérial, si vous me le permettez. (Encouragé par un acquiescement, il décida de poursuivre ses avantages et de battre le fer pendant qu'il était chaud.) Mais j'envisage d'écrire un roman, à mes moments perdus, bien entendu. Ce sera une œuvre assez sui generis, je crois, sans événements et en quelque sorte sans personnages.

Je me refuse résolument à toute forme traditionnelle, conclut-il, casse-cou soudain par la grâce du cognac, et il sortit sa langue pointue puis la rentra.

II y eut un silence et le pauvre audacieux sentit que le boss n'avait pas été impressionné par son projet de roman. Il saisit son verre, le porta à ses lèvres, s'aperçut qu'il était vide, le remit sur la table.

—A vrai dire, je n'ai pas encore pris une décision définitive. II se peut tout de même que je me rallie à une forme plus classique. Je songe en effet à un roman sur Don Juan, personnage qui me hante depuis long temps, qui m'obsède, qui s'est en quelque sorte emparé de moi. (Un regard de contrôle vers Solal impassible.) Mais en fin de compte, ce qui m'intéresse surtout, sourit-il timidement, c'est mon travail à la section des mandats, travail vraiment passionnant.

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—Un roman sur Don Juan. Très bien, Adrien.

Le jeune fonctionnaire tressaillit. Son prénom!

Cette fois, ça y était ! Relations personnelles !

—J'y pense beaucoup, j'ai déjà passablement de notes, dit avec feu le futur romancier, transpercé d'enthousiasme par la grandeur soudain apparue de son sujet.

Oui, ça y était ! Il sentit poindre une photo dédicacée. Ne pas parler, attendre d'être questionné. Le boss était en train de réfléchir à Don Juan, allait lui poser une question, il le sentait.

Conseiller, pas tout de suite, bien sûr. L'année prochaine peut-

être. En attendant, se mettre à fond au Don Juan puisque le boss s'y intéressait. À son retour de mission, rédiger quelques chapitres et les lui soumettre. Ça donnerait l'occasion de conversations amicales, de discussions même, chacun défendant son point de vue. Mais non, cher ami, pas du tout, je ne suis pas d'accord, ça ne va pas dans le caractère de Don Juan. Bref, rapports personnels. En somme, il avait bien mené sa barque, après tout.

— Racontez votre Don Juan, dit enfin Solal tout en prenant une cigarette qu'Adrien, briquet braqué, alluma aussitôt. Que fera-t-il dans votre roman?

— Eh bien, il séduira, dit d'un air fin Adrien qui se félicita de cette réponse percutante. (Mais trop brève peut-être ? Ajouter quelques détails sur le caractère de Don Juan? Elégant, spirituel, cynique? Mais ça ne correspondrait peut-être pas à l'idée que le S.S.G. se faisait de Don Juan. Est-ce que sa réponse avait été jugée trop cavalière?) Naturellement, monsieur, si vous aviez un conseil à me donner, je vous en serais très reconnaissant. Par exemple, quelque trait de caractère que vous jugeriez important.

Solal sourit au pauvre qui faisait de son mieux pour être bien vu. Allons, un petit os au chien.

— Lui avez-vous donné le mépris d'avance?

— C'est-à-dire que non, pas précisément, répondit 378

Adrien. (Il s'apprêta à demander: «Vous entendez quoi, exactement, par mépris d'avance?» Mais cette question lui parut désinvolte et il opta pour une formule moins directe.) Par mépris d'avance, il y aurait lieu d'entendre quoi, exactement?

demanda-t-il avec suavité afin de corriger toute note possible d'irrespect.

—Toute femme vertueuse à laquelle il est pré senté, Don Juan éprouve pour elle peu de considéra tion, commença Solal.

Il s'arrêta, affila son nez, et Adrien se mit en posture d'audition passionnée. Son cou en avant pour mieux capter les perles qui allaient sortir, son regard aiguisé par les paupières à demi fermées pour faire concentré et buveur de paroles, son menton soutenu par sa main droite pour faire méditatif, ses jambes intellectuellement croisées, son visage vieilli d'attention, la courbe déférente de son derrière et jusqu'à la pointe de ses souliers, tout en lui manifestait à la fois une attention intense, une fervente expectative, une compréhension déjà convaincue, toute chargée d'approbation, et un délice cérébral anticipé, non moins qu'un fidèle attachement administratif.

—Peu de considération, reprit Solal, parce qu'il sait que lorsqu'il le voudra, hélas, cette convenable et sociale sera sienne et donnera force coups de reins et fera divers sauts de carpe dans le lit. Et pourquoi le sait-il? demanda-t-il à Adrien qui prit un air entendu et subtil mais se garda de répondre. Assez. Trop affreux et d'ailleurs sans intérêt.

Adrien éclaircit sa gorge à plusieurs reprises pour chasser sa gêne. Coups de reins et sauts de carpe ! Il allait fort, le boss.

C'était le champagne, sûrement.

—Très intéressant, dit-il enfin, et il fit de son mieux pour donner un éclat de ferveur à son regard.

Très, vraiment très, ajouta-t-il dans l'impossibilité où il était de trouver une adhésion plus motivée. Ces 379

indications que vous avez bien voulu me fournir me seront certainement précieuses.

Il faillit ajouter qu'il les accueillait avec une vive gratitude, formule incrustée en son âme et par laquelle il accusait invariablement réception des statistiques envoyées par les ministères des colonies, toujours qualifiées de très intéressantes dans ses projets de lettre et qu'il enfouissait sur-le-champ et pour toujours dans son petit cimetière, ces statistiques étant le plus souvent inexactes et comportant toujours des erreurs d'addition.

— Sans intérêt, répéta Solal. Et puis, une femme pour quoi faire ? Leurs seins ? Des blagues, et toujours tombantes. Dans les journaux, toutes ces réclames pour ces instruments, ces porte-mamelles, ou comment les appelle-t-on, ces outils?

— Des soutiens-gorge, monsieur.

— Toutes en portent! Et c'est un abus de confiance ! Qu'en pensez-vous, Adrien?

— Eh bien, c'est-à-dire que voilà...

— C'est bien ce que je pensais, dit Solal. Et puis elles sont si pitoyables avec leurs bibis de toquées, et leurs sautillements sur leurs hauts talons, et leurs derrières moulés, et leur animation lorsqu'elles parlent costumes entre elles! «Imagine-toi qu'elle s'est fait faire un tailleur par une couturière ! Une vraie horreur, j'en avais honte pour elle ! C'est tellement délicat, un tailleur, surtout la veste, c'est un travail d'homme, voyons, une couturière ne sait pas couper, elle vous met des pinces partout ! »

Et si tu oses faire la moindre critique de sa nouvelle robe, elle devient agressive, tu es son ennemi, elle te regarde avec haine, ou encore elle sombre dans la neurasthénie de persécution et veut mourir. Donc plus de femmes, je n'en veux plus ! Et puis, il y a l'obligation de rester étendu auprès d'elles après ce que Michaël appelle la chose habituelle, et alors elles roucoulent avec senti-380

ment et elles te caressent l'épaule, elles font toujours cela après, c'est leur manie, et elles attendent le sucre de récompense et que tu leur dises des joliesses reconnaissantes et comme quoi ce fut divin. Vraiment, elles pourraient me laisser cuver ma honte en paix. Donc plus de femmes ! Me faire arracher toutes mes dents, et elles ne voudront plus de moi, et bon débarras!

Hélas, rien à faire, elle me hante, gémit-il en s'étirant. Adrien, bon Adrien, soutiens-moi avec des raisins, fortifie-moi avec des pommes car je suis malade d'amour. Non, pas d'amour, mais elle me hante. (Charmé par le tutoiement inattendu, preuve irréfutable de rapports personnels, mais affolé par les raisins et les pommes, le jeune fonctionnaire essaya de faire une tête comprehensive et sensible.) Dis, Adrien, me permets-tu de te tutoyer?

— Bien sûr, monsieur, au contraire. Enfin, je veux dire...

— Pas me dire monsieur, me dire frère! Frères humains, toi et moi, promis à la mort, bientôt allongés sous la terre, toi et moi, sages et parallèles ! proclama-t-il joyeusement. Allons, bois ce champagne qui est brut comme toi et impérial comme elle ! Bois, et je te dirai ma hantise de l'éborgneuse, la redoutable aux longs cils étoiles, Neiraa, la cruellement absente.

Bois ! ordonna-t-il à Adrien qui s'exécuta, s'engoua et toussa.

Non, mon ami, non, fidèle Polonius, d'amour seulement ivre je suis ! D'amour, et tellement que j'ai envie de te prendre par ta barbe et dans l'air te tourner une heure de temps, tant je l'aime et tant je t'aime aussi ! Oui, je sais, je parle mal car naturalisé de fraîche date je suis! Donc ivre d'amour, sourit-il éperdument, ivre d'amour, mais le terrible, vois-tu, c'est qu'il y a un mari, un pauvre, et si je la lui prends, il souffrira. Mais que faire?

Ah, il faut que je te dise tout d'elle, ses charmes, ses longs cils recourbés, ses soliloques de solitude, l'Himalaya qui est sa 381

patrie. Tout te dire, c'est un besoin, car toi seul peux me comprendre, et à la grâce de Dieu ! Oui, tout te dire, et l'amoureuserie qui sera nôtre, elle et moi, tout te dire, mais d'abord prendre un bain car j'ai chaud. À tout à l'heure, bon Adrien.

Resté seul, le jeune Deume fit son petit ricanement scolaire.

Complètement paf, le boss. Les cadavres parallèles, les raisins, les pommes, tout ça c'était le champagne. Et d'un embrouillé!

Pourquoi l'ébor-gneuse, pourquoi Polonius?

— Et cette combine de me prendre par la barbe tellement il m'aime ! Il y a à rire ! Complètement plein ! N'empêche, il m'a dit qu'il m'aime, tu te rends compte? Comme rapports personnels, on ne fait pas mieux !

Il fronça les sourcils. L'Himalaya qui était sa patrie? Mais alors, dis donc, c'était la femme du délégué de l'Inde ! Mais oui, bien sûr, elle était du Népal, en plein Himalaya ! D'ailleurs, le prénom qu'il avait dit faisait bien indien. Oui, oui, la femme du premier délégué! Et en effet, elle avait du charme, beaux yeux, longs cils, c'était bien ça, la belle Népalaise! Eh bien, mon vieux, il allait lui en pousser sur le front, au délégué de l'Inde !

Parce que pour être un charmeur, le boss était un charmeur, ça il n'y avait pas à tortiller. Tant pis pour le délégué ! L'important, c'était que le nommé Deume Adrien était maintenant sur un pied d'intimité avec le S.S.G., et même sur deux pieds, nom d'une pipe!

Des confidences d'amour, c'était une garantie de promotion prochaine ! Toi seul peux me comprendre, c'était flatteur tout de même. Donc à son retour de mission, l'inviter dans un restaurant ultra-chic, eux deux seulement, en copains, pas besoin d'Ariane, un dîner de garçons, allez, hop ! hors-d'œuvre suédois, saumon fumé, huîtres de Belon, pâté de bécasse chaud, ou bien foie en brioche, ou bien galantine de canard au madère, ou bien souf-382

fié de homard, enfin on verrait, en tout cas crêpes Suzette pour finir, et confidences sentimentales diverses ! Et autant de brut impérial rosé que le boss voudrait ! Garçon, encore un magnum ! et commander le café bien avant le dessert, un bon café fallait vingt minutes pour le préparer. Et au moment de la fine Napoléon complétant l'action du brut impérial, plaisanteries très amusantes, et alors glisser un tutoiement, lui aussi, à titre de ballon d'essai. Un type qu'il tutoierait, il pourrait bien lui dire ce qu'il pensait de l'incompétence de Vévé. Des critiques polies de forme mais terribles de fond. D'ailleurs, Vévé allait bientôt prendre sa retraite. Donc ! Et s'il glissait déjà une allusion à la dernière gaffe de Vévé, dès que le S.S.G. en aurait fini avec son Himalaycnne? Non, trop tôt.

Chi va piano va sano. Attendre son retour de mission. Pour le moment, préparer le terrain en s'atti-rant le maximum de sympathie. Donc, quand il reviendrait tout à l'heure et qu'il se mettrait à lui raconter ce grand amour, l'écouter à fond, faire le compréhensif, le complice attendri, l'encourager à baratiner, un boulot pépère, quoi. Mais ne pas sourire tout le temps, il avait trop souri avant le pied d'intimité, ça n'avait pas de valeur quand on souriait tout le temps. Toutes les trois ou quatre minutes, juste un petit sourire pour montrer qu'il participait, qu'il sympathisait, mais en homme indépendant, en égal. Eh là, dix heures moins le quart! Il allait bientôt rappliquer en robe de chambre. Robe de chambre, très bien, ça faisait aussi rapports personnels.

— Dis donc, le sous-sccrctairc général qui va faire cocu le premier délégué de l'Inde ! s'esclaffa-t-il doucement, et il eut son ricanement retronasal de cancre.

Peu après, la sonnerie du téléphone retentit, et Solal, entré en coup de vent, décrocha, répondit que cette dame pouvait monter. Le récepteur remis en place, il eut un rire, et il dansa, étineelant de joie,

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dansa, une main sur la hanche, la robe entrouverte découvrant sa nudité. Ay, mi paloma, murmura-t-i!, et il s'arrêta. Tourné vers le mari, il s'approcha, le prit par les bras, le baisa à l'épaule, étincelant de joie. — C'est mon Himalayenne, lui dit-il.

Belle Du Seigneur
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