XLIX
Jalousies d'elle, séparations pour toujours, et elle se cravachait la nuit pour se punir de penser à lui, et pendant des jours elle ne lui donnait nul signe de vie. Attentes de lui, attentes devant le téléphone qui terriblement ne sonnait pas, coup de sang à la poitrine lorsque l'ascenseur s'arrêtait au troisième étage du Ritz, et c'était elle peut-être, mais non, ce n'était jamais elle, et enfin le téléphone sonnait, et elle viendrait ce soir. Alors, c'était les préparatifs absurdes pour être beau.
À peine arrivée, elle s'abattait contre le méchant, voulait sa bouche. Mais après l'ardeur, à quelque soudaine ¡mage de lui avec cette autre, elle le questionnait. Il répondait qu'il ne pouvait pas abandonner Isolde, qu'il ne la voyait plus qu'en ami. Tu mens ! s'écriait-elle, et elle le regardait avec haine. Oh, avec cette femme les mêmes baisers qu'avec elle! Oh, maudit, homme mauvais! s'écriait-elle. Oh, tu ne crains pas Dieu ! s'écriait-elle à la manière russe.
Après avoir prophétisé, subitement vertueuse, que les femmes le perdraient, elle sortait du lit, se rhabillait avec force, en femme d'action, déclarait que cette fois c'était fini, qu'elle ne le reverrait plus, enfilait ses gants avec une froide résolution. Ces fermes
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préparatifs de départ pour avoir un prétexte à rester encore, mais honorablement. Et aussi pour manifester une volonté inébranlable de le quitter pour toujours, attestée surtout par l'énergique boutonncment de la veste, sur les pans de laquelle elle tirait ensuite à diverses reprises, jamais satisfaite du résultat, semblait-il. Et encore, ces préparatifs résolus, parce qu'elle espérait que s'il voyait qu'elle était vraiment prête à partir, et si elle restait assez longtemps à se préparer, il finirait bien par la supplier de rester. Pour parfaire la comédie, lui, de son côté, approuvait cette volonté de rupture, l'engageait à partir. Les deux crânaient, chacun avec la frousse intense que l'autre ne fût cette fois sérieux et décidé, mais aussi, en même temps et paradoxalement, avec la certitude intime qu'en fin de compte il n'y aurait pas de séparation, ce qui leur donnait la force d'être menaçants et déterminés à rompre.
Lorsqu'il n'y avait plus rien à boutonner, à tirer et à ajuster, plus de poudre à soigneusement mettre devant la glace sur un visage de marbre, il lui fallait bien partir. Arrivée à la porte, elle posait la main sur la poignée, appuyait lentement dans l'espoir qu'il comprendrait que c'était sérieux et qu'il la supplierait enfin de rester. S'il gardait le silence, elle lui disait gravement adieu, pour le faire souffrir et déclencher une supplication; ou même, plus solennellement: «Adieu, Solal Solal!» ce qui faisait plus frappant, tous les effets s'usant vite.
Ou encore elle disait avec le laconisme poli de la résolution sérieuse : «Je vous serais reconnaissante de ne pas m'écrire, de ne pas me téléphoner. » Si elle le sentait souffrir, elle était capable de partir sur-le-champ et de ne pas lui donner signe de vie pendant plusieurs jours. Mais si, souriant, il lui baisait courtoisement la main, la remerciait des belles heures qu'elle lui avait données et lui
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ouvrait la porte, alors elle le giflait sur les deux joues. Non seulement parce qu'elle le détestait de ne pas souffrir et de ne pas la retenir, non seulement parce qu'elle souffrait, mais encore et surtout parce qu'elle ne voulait pas partir et que les gifles lui permettraient de faire traîner les choses en longueur et de parvenir à une réconciliation, soit parce qu'elles lui fourniraient la possibilité honorable de demander pardon au giflé et de rester, soit encore parce qu'elles déclencheraient, en riposte espérée, quelque rudesse de lui, rudesse déclencheuse de larmes féminines, à leur tour déclencheuses d'une demande masculine de pardon, suivie de vives tendresses.
Parfois elle partait en faisant claquer la porte, mais elle revenait aussitôt, pleurait, accrochée à lui, sanglotait qu'elle ne pouvait pas, ne pouvait pas vivre sans lui, se mouchait.
Mais le plus souvent, pour justifier son retour, elle l'insultait, haussant les épaules d'indignation, ce qui faisait saillir des seins émouvants, disait des méchancetés, et elle s'y connaissait. Mais sous sa colère, il y avait la joie profonde d'être de nouveau auprès de lui.
Parfois, c'était les dégringolades, on va expliquer ça. Pour avoir justification de rester et d'attendre le miracle que soudain tout serait bien, qu'il la supplierait de ne pas le quitter et même qu'il lui promettrait de ne plus revoir cette comtesse, elle prenait mal, tombait à terre et se relevait et délirait qu'il ne l'aimait pas ou encore, variante, qu'il l'aimait si peu qu'elle en avait honte pour lui, et elle retombait à terre, désemparée, faible, pauvre enfant.
ô jeunesse, ô nobles dégringolades d'amour, ô en si belle robe du soir la merveilleuse s'abattant et se relevant et s'abattant, et lui l'adorant et en lui-même
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la comparant à ces petits clowns de celluloïd au derrière lesté d'un poids qui les remettait toujours debout, et cette tigresse d'amour blessée sans cesse retombant et se relevant et retombant et voulant mourir, féline et abattue, si belle en pleurs et de voix si dorée, illustres jambes découvertes, et sanglotant, et les fastueuses hanches rythmiquement s'élevant et s'abaissant, et ce qui devait se passer enfin se passant. Et voici, c'était l'aigu visage androgyne, le pur visage extasié, les yeux religieusement au ciel de jouissance. Ta femme, râlait-elle.