LE PUZZLE FANTASTIQUE
Il est minuit passé. Dans le hall de départ de l'aéroport de Tampa, le panneau d'affichage lumineux indique que le décollage du long-courrier de la National Airline est fixé à 0 h 32. Les voyageurs se pressent vers la porte d'embarquement. Parmi eux, un homme au complet marron, qui ne se distingue guère des autres. Il ne s'est pas embarrassé de bagages. Il suit tranquillement le flot des passagers, les mains croisées sur le ventre, un journal enroulé sous le bras...
Qui peut imaginer un seul instant que le vol régulier de la National Airline du 15 novembre 1959 n'arrivera jamais à destination?
Après trois quarts d'heure de vol, la tour de contrôle de La Nouvelle-Orléans reçoit un contact radio en provenance de l'avion : Temps clair, visibilité parfaite. C'est son dernier message.
En Louisiane, à la base Air Force de Houma, la station radar repère le long-courrier au moment même où celui-ci amorce une descente très rapide. Il vole alors à 4 250 mètres, mais il n'y a pas lieu de s'inquiéter : la pente de descente de l'appareil correspond aux normes des manœuvres d'atterrissage. Mais le pilote ne redresse pas, et l'avion vient percuter la mer à 80 kilomètres à l'est du delta du Mississippi. Seule émerge en surface la queue de l'appareil. L'épave se trouve sur un haut-fond de 275 mètres. Il n'y a pas de survivants ; on repêche les corps de huit passagers, revêtus de leurs bouées de sauvetage. Les débris infimes qui recouvrent la mer sur plusieurs kilomètres à la ronde laissent imaginer la violence du choc. Mais l'enquête officielle est incapable d'émettre une hypothèse plausible sur les causes de cet accident qui est à porter au registre noir des désastres aériens.
C'est pourtant le début d'une incroyable affaire. L'affaire Spears, une histoire que le romancier le plus audacieux n'aurait pas osé imaginer.
Sept semaines plus tard, le 6 janvier 1960, un DC 6 de la même National Airline décolle de New York pour effectuer un vol de remplacement, transportant des passagers avides de vacances, primitivement inscrits pour un avion à réaction supprimé depuis. A son bord, un avocat, Julian Franck, un amiral retraité, une femme magistrat, deux dentistes, un pharmacien, un danseur de ballet, un chapelier, etc.
Il est 23 h 51. Il pleut. A 2 h 31, au sud de Wilmington en Virginie, le pilote, le captain Dale Southard, établit un contact radio avec la tour de contrôle : rien à signaler. Le prochain contact est prévu pour 3 h 02.
Il n'y en aura pas. Pour tous les passagers du DC 6, le temps s'est suspendu à 2 h 45, heure à laquelle l'appareil s'écrase sur une petite ferme dans un hameau de la Caroline du Nord.
Il faudra attendre les premières heures de la matinée pour qu'un petit garçon découvre les débris dispersés de l'avion. Les secours s'organisent aussitôt sous une pluie froide et fine, qui ne facilite pas le travail dans cette zone de forêts et de marécages. En fin de matinée, on a réussi à retrouver trente-trois corps dispersés au milieu des roseaux sur une surface de deux hectares. Le shérif Ratcliff déclare à la presse : « Il n'y a pas de survivants ! » Il y avait pourtant trente-quatre personnes à bord, dont cinq hommes d'équipage. Il manque donc six corps ; le shérif ne le précise pas.
Sept victimes sont munies de leur ceinture de sauvetage, ce qui indique que le pilote a pu donner l'ordre de se préparer à un atterrissage forcé.
Le garde-forestier pense que l'avion a explosé en plein vol.
« L'avion a l'air d'être tombé du ciel en morceaux », déclarent également les fusiliers marins venus en hélicoptère.
« Il s'est apparemment désintégré en plein vol », confirme John L. Morris, vice-président de la National Airline.
Le F.B.I. envoie tout de suite une équipe spéciale de trois hommes.
La nuit même du désastre, à l'aéroport de Miami, deux hommes, le premier au teint basané, attendent l'arrivée d'un avocat. Son nom : Julian Franck. A l'annonce de la catastrophe, ils se rendent sur les lieux et demandent la permission de prendre possession de tous les bagages de l'avocat. Or, parmi les corps qui manquent à la fin de la journée tragique, il y a justement celui de l'avocat Franck.
Les experts de la National Airline décident alors de « recoller » soigneusement, morceau par morceau, les débris de l'avion déchiqueté. Ce remarquable travail de patience révèle que c'est le fuselage qui a heurté l'hélice. L'explosion serait donc venue de l'intérieur du fuselage.
Entre-temps, le corps de l'avocat Franck est enfin retrouvé. Il a fallu du temps, mais il n'y a rien d'étonnant à cela puisqu'on réussit à établir qu'il a été « éjecté » à une quarantaine de kilomètres plus au nord que les autres. Mais, à proximité du cadavre, on découvre aussi, et c'est très important, un morceau de paroi du fuselage. On l'identifie comme faisant partie du compartiment des toilettes. Des tests chimiques et des analyses au microscope donnent à penser, d'après la torsion du métal, que l'explosion se serait située à cet endroit même.
Le corps de Franck, transporté au laboratoire, se révèle criblé de parcelles de bois, de fils d'aluminium, etc. Certains de ces débris ne proviennent pas de l'avion.
Alors, bien entendu, on enquête sur le mystérieux Julian Franck. La famille Franck donne toutes les apparences du bonheur. Janet est une ancienne covergirl de trente-deux ans, des plus en vue aux États-Unis. Leur deux enfants, Andrew, deux ans, et Ellen, quatre ans, resplendissent de santé. Il y a peu de temps, Julian Andrew Franck et sa femme ont emménagé dans une maison cossue de Westport, petite ville élégante du Connecticut ; l'une des plus recherchées des États-Unis : des centaines de célébrités ont élu domicile dans ce coin et, comme elles, les dimanches d'été, la famille Franck fait du bateau à voile.
Il semble pourtant que Franck ait trempé dans le marché noir de pesos cubains et dans d'autres affaires plus ou moins illégales. Selon l'enquête menée par les agents fédéraux, il se rendait à La Havane pour une affaire mystérieuse avec des fonds provenant de la pègre.
Au cours des derniers mois, il avait fait déjà un certain nombre de voyages à Las Vegas, la capitale du jeu.
Le bureau d'avocats du district du Manhattan a révélé que deux plaintes ont été déposées contre Franck. Un chèque de 20 000 dollars, que lui avait confié un client, avait été retrouvé à la même époque sur le compte bancaire de Franck, et celui-ci aurait récemment détourné plusieurs milliers de dollars, produit d'une campagne en faveur d'oeuvres charitables. En outre, l'avocat aurait perdu, l'an dernier, 600000 dollars à la Bourse. Depuis quelque temps, Franck se montrait préoccupé, lunatique. Son bureau d'avocat à New York était encombré de papiers en désordre.
On découvre également que Franck ne prenait jamais l'avion, qui le terrorisait. « Je suis sûr de mourir en avion », déclarait-il à son courtier d'assurances, par l'intermédiaire duquel il avait souscrit, au nom de sa femme, des polices d'un montant considérable : 887 000 dollars depuis le mois d'avril, somme d'une « importance inhabituelle » pour une assurance. Et, le jour même de la catastrophe, il avait souscrit trois nouvelles assurances-accident se montant à 62 500 dollars.
Des témoignages établissent qu'à l'aéroport d'Idletown à New York, d'où il devait décoller, il n'avait sur lui qu'un petit sac bleu et blanc pesant environ dix kilos.
Alors, les enquêteurs se demandent si le DC 6 n'a pas été détruit par Franck pour que sa famille touche les primes d'assurances qu'il a souscrites, soit l'équivalent de 4 437 000 F. Or, lorsqu'ils ont extrait son portefeuille de la poche droite de son pantalon, ils ont constaté qu'il ne contenait pas d'argent. N'ayant pas l'intention de revenir de son dernier voyage en avion, Franck, mort en sursis, n'avait plus besoin d'argent.
Évidemment, il est possible que l'avocat ait fait exploser une bombe dans les toilettes de l'avion au moment où celui-ci survolait déjà l'Atlantique. Il pouvait penser à ce moment-là que, l'appareil tombant en mer, il ne serait pas possible de définir les causes de la catastrophe. Seulement, voilà, le pilote avait eu le temps de virer de bord et de rejoindre le continent. S'il y a eu suicide, Janet Franck et ses deux enfants non seulement ne toucheront pas un sou des compagnies d'assurances, mais devront indemniser les victimes.
« Jamais, jamais je ne le croirai ! » C'est tout ce que peut répéter, entre deux sanglots, Janet Franck.
C'est alors que se situe le grand tournant de l'enquête. Le directeur de l'équipe d'investigation pense à l'avion tombé sept semaines plus tôt et dont l'épave repose sous 275 mètres d'eau dans le golfe du Mexique :
« Et si cela avait été le même genre d'affaire... un avion détruit pour toucher des primes d'assurances ? »
On passe la vie des passagers au peigne fin. Et l'une des victimes, le Dr Spears, attire tout de suite l'attention.
Dans le quartier résidentiel de Dallas, les soirs d'été quand il faisait beau, le Dr Spears, un gros homme de soixante-quatre ans, se promenait dans la rue avec son fils Robert Kennets, âgé de deux ans. Ses voisins aimaient bien cet homme affable et aux manières douces, qui avait épousé, dix ans plus tôt, une ex-sténographe, Frances, grande femme mince et brune de trente-six ans. Le couple avait en plus de Robert une petite fille de dix mois.
Le Dr Robert Vernon Spears a su assurer le bien-être de sa famille. Ses revenus, bien que sujets à des variations parfois inattendues, sont considérables. Il exerce la profession de « naturopathe », c'est-à-dire de médecin qui entend guérir en utilisant des moyens purement « naturels » : régimes diététiques, bains de soleil, massages.
Soucieux de l'avenir de sa petite famille, Spears, qui est souvent appelé à voyager, ne manque pas de souscrire des assurances à son intention. Le 2 septembre 1959, par exemple, en plus d'une police de 20 000 dollars qu'il a déjà, il en prend une de 100 000 dollars. Les enquêteurs finissent par découvrir que, sous huit faux noms, le brave père de famille est une horrible fripouille. Escroqueries, vols avec effraction, vols à main armée, vagabondages, faux et usages de faux, chèques sans provision, exercice illégal de la médecine et vols d'automobiles, soit au total quarante-trois années d'activités criminelles qui lui ont valu des peines de prison purgées dans six États différents. Sa dernière affaire remonte au 31 juillet 1959, date à laquelle il a été accusé par la police californienne de pratiquer des avortements. Libéré sous la caution de 2 500 dollars, il devait comparaître le 3 décembre mais sa mort à bord du DC. 7B, dans le golfe du Mexique, l'en a évidemment dispensé.
Il aurait donc pu, comme Frank, faire exploser l'avion pour que sa famille touche les assurances. Mais il s'agissait d'autre chose et de bien pis !
Le 15 novembre 1959, Mrs. Alice Steel Taylor dit au revoir à son mari qui est vendeur en pneumatiques. Le soir elle l'attend, et il ne revient pas. Le lendemain, toujours pas de mari, le troisième jour non plus. Évidemment elle déclare sa disparition à la police, mais cela ne le fait pas revenir. Les semaines passent.
Mrs. Taylor ne devait plus jamais revoir son époux. Mais quelques, semaines plus tard, elle lit dans le journal que le bon Dr Spears, qui a disparu dans la catastrophe du 15 novembre, est soupçonné. Aussitôt elle se précipite chez les enquêteurs pour leur faire cette déclaration stupéfiante : son mari a disparu le jour de la catastrophe ; son mari et le Dr Spears se connaissaient très bien.
De plus il portait un costume marron, comme l'inconnu qui a été remarqué peu avant le décollage !
« Je suis sûre, dit-elle, qu'il a accepté la place du Dr Spears dans l'avion.
Il est mort pour lui permettre de toucher la prime d'assurance. Le médecin a hypnotisé mon mari pour l'obliger à s'envoler à sa place. Il en est bien capable, croyez-moi, et lui, Spears, n'est pas mort. J'en suis sûre. Cherchez-le, vous le trouverez. »
Les agents du F.B.I. jugent cette déclaration invraisemblable, mais ils changent rapidement d'avis. En effet, il est établi que Spears a été de passage à Tampa deux jours avant l'accident. Il a vu Taylor; ils ont déjeuné ensemble au restaurant ; ils ont bu quelques verres de whisky dans la chambre d'hôtel du Dr Spears.
« Spears a toujours eu une influence néfaste sur Bill, déclare Mrs. Taylor et l'hypnotisme était son dada. Il a hypnotisé Bill. »
Pour confirmer les dires de Mrs. Taylor, on découvre dans la bibliothèque de Spears vingt-six livres traitant de l'hypnotisme. Et Mrs. Spears reconnaît avoir accouché deux fois sans douleur, hypnotisée par son mari !
Là-dessus, nouveau coup de théâtre, le 19 janvier. Un chiropraticien de Palos Verdes en Californie, coaccusé de Spears dans sa dernière affaire d'avortements, dit que Spears voulut le faire chanter ; il avait besoin d'argent pour quitter les États-Unis.
Le témoin affirme avoir entendu dire à Spears, au moment de leur arrestation, en juillet : « J'ai idée que je ferais bien de téléphoner à New York, à mon avocat Julian Andrew Franck. » Ce même Julian Franck qui passe pour avoir, au moyen d'une bombe, commis un « suicide aux assurances » ! Mr. Charles Collar, porte-parole de la commission d'enquête, déclare aussitôt : « Drôle de coïncidence ! » Toujours selon le témoin, Spears lui avait offert 500 dollars, pour faire sauter un hôpital qui lui causait des ennuis.
Ce n'est pas fini. Le même soir, dans une dramatique interview télévisée, Mrs. Spears fait une révélation stupéfiante. Eddie Barcker, le directeur des informations d'une station de Dallas qui l'interroge chez elle, lui demande :
« Frances Spears, votre mari est-il vivant ?
— Oui.
— L'avez-vous vu ?
— Oui.
— Combien de fois ?
— Deux fois.
— Comment cela s'est-il passé ? »
Alors Mrs. Spears raconte. Elle raconte que, le 8 janvier dernier, un ami de son mari, un dénommé Turska, est venu lui remettre une lettre à en-tête d'un hôtel des environs de Dallas. Elle reconnaît l'écriture de son mari qui lui demande de venir le voir. Elle croit d'abord à une falsification, elle soupçonne une mauvaise plaisanterie ou un piège même. Quoi qu'il en soit, elle veut en avoir le cœur net. Elle se rend donc au rendez-vous. Imaginez sa stupeur et son émotion quand, derrière Mr. Turska, qui vient ouvrir la porte, elle reconnaît son époux !
Elle apprend alors de sa bouche qu'il a laissé sa place d'avion à son ami Taylor, qui avait une mauvaise blessure au cou et désirait se faire soigner à Dallas. Il soutient qu'il n'a songé à ses polices d'assurances que lorsqu'il a appris la nouvelle que l'avion de la National Airline avait disparu corps et biens. Il n'a pensé qu'à l'avenir de sa femme et de ses enfants quand il a décidé de saisir cette occasion providentielle. C'est pourquoi il s'est caché, décidé à attendre qu'elle ait encaissé le montant des assurances. Par la suite, il pourrait reparaître. Ils partiraient tous vivre ailleurs sous une nouvelle identité. Seulement, voilà, il n'a pas pu se passer d'elle plus longtemps.
Inutile de préciser l'émotion qui règne dans le studio de télévision. Le journaliste demande :
« Madame Spears, avez-vous approuvé le projet de votre mari ?
— Non.
— Avez-vous essayé de le persuader de se constituer prisonnier ?
— Oui. Désespérément. Pendant une heure. Et puis je suis partie.
— Pourquoi n'avez-vous rien dit à la police ?
— Parce qu'elle ne me l'a pas demandé. J'attendais que quelqu'un m'ait contactée... C'est tout ce que je pouvais faire. Il m'avait protégée toute ma vie. Je l'aimais. Je l'aime encore. C'est la seule chose que je pouvais faire. Je ne pouvais pas le dénoncer.
— Avez-vous touché de l'argent des assurances ?
— Pas un sou.
— Frances, croyez-vous que Bob Spears a mis une bombe dans l'avion ?
— Malgré son passé, malgré tout ce qu'il a pu dire ou faire, malgré tout ce qui a été dit à son sujet, je sais qu'il est très bon pour moi et les autres. Je ne le crois pas capable d'avoir mis une bombe dans un avion.
— L'aimez-vous encore ?
— On ne raye pas de son existence, parce qu'il a des ennuis, un être qui a été tout pour vous pendant dix ans. »
A ce point de l'affaire Spears, toutes les suppositions sont permises. On peut aussi bien imaginer :
1 Que la catastrophe du mois de janvier n'a pas été provoquée par Franck (car, aux dernières nouvelles, on ne trouve aucune trace de poudre ou d'explosifs dans les débris, ni sur le corps de l'avocat).
2 Que Spears a dit la vérité à sa femme (il ne serait donc coupable que d'escroquerie à l'assurance).
3 Que le fait que Julian Franck et lui se connaissaient n'est qu'une coïncidence.
4 Qu'on se trouve en face d'une organisation criminelle décidée à pratiquer sur une grande échelle et au mépris de la vie d'une centaine de personnes une série d'attentats ayant pour but d'encaisser des primes d'assurances.
5 Que l'on a affaire au plus grand criminel des temps modernes.
Pour le savoir, il faudrait retrouver Spears. Pour cela la police interroge l'homme qui a conduit Mrs. Spears auprès de son mari, le dénommé Turska.
Turska est un individu du même acabit que Spears : guérisseur, souvent condamné pour avortements, usages de narcotiques et diverses escroqueries. Il reconnaît avoir hébergé Spears dans sa maison perdue au fond du désert d'Arizona. Spears est arrivé chez lui il y a deux mois dans la voiture de son ami Taylor. Quand Turska a su l'importance du délit commis par son ami Spears, il a consulté son avocat qui lui a conseillé de se débarrasser de lui. Spears est donc parti, lui abandonnant la voiture et une caisse d'explosifs et de matériel permettant de fabriquer des bombes. Spears doit actuellement se trouver au Bali Motel sous le nom de George Rhodes.
Lorsque les agents du F.B.I. se précipitent au Bali Motel, le personnel leur apprend que George Rhodes, un gros homme paisible, qui a passé plusieurs jours enfermé dans sa chambre, vient tout juste de partir, encombré de deux grosses valises.
« Tenez, voilà ses lunettes, il vient de les laisser tomber ! »
L'agent du F.B.I. se précipite à la sortie du motel, pour voir démarrer un taxi.
Aussitôt plusieurs voitures de police surgissent de tous côtés. Le taxi est arrêté par un embouteillage. L'un des agents du F.B.I. passe sa tête par la vitre et dit poliment au chauffeur : « Coupez donc votre moteur. Police fédérale. » Les autres ouvrent brutalement la portière et intiment à l'occupant l'ordre de sortir. C'est Spears.
L'interrogatoire de Spears va se poursuivre pendant des heures et des jours. Il nie avoir fait exploser l'avion et s'en tient toujours à la même version : son ami Taylor a pris sa place au dernier moment pour se faire soigner à Dallas. Lorsqu'il a appris la catastrophe, il a voulu tout simplement profiter de cette chance inespérée. Quant à Julian Franck, c'était tout simplement son avocat.
Évidemment, personne ne croit à l'innocence de Spears. Mais comment prouver sa culpabilité ? En attendant que la Navy repêche l'épave et que l'on dissèque les centaines de témoignages (y compris les témoignages des gens qui ont vu ou cru voir l'avion juste avant la catastrophe), il faut absolument garder Spears en prison. Il faut aussi que le F.B.I. ne soit pas dessaisi de l'affaire. On trouve un motif ridicule :
Comme Spears a utilisé, pour se rendre de Tampa à Dallas, la voiture de son ami Taylor, ils obtiennent que la veuve de celui-ci porte plainte pour vol de voiture, ce qui permet au F.B.I. d'accuser Spears de traversée d'un État avec une voiture volée.
Pour ce délit, Spears est condamné à cinq ans. Pendant ces cinq années, malgré les travaux sur l'épave de l'avion, malgré toutes les enquêtes, la justice ne pourra rien contre Spears, qui n'a pas d'avocat et se défend lui-même.
Et, un jour, Spears sort de prison. Bien sûr, il n'a pas réussi à toucher l'argent des compagnies d'assurances puisqu'il n'est pas mort, mais c'est un homme libre. Libre ! Cinq ans de prison pour le meurtre de quarante personnes, ce n'est vraiment pas très cher payé !