LE LAPIN BLANC

« Ouvrez! Police ! »

Le commissaire Weber de la Sûreté vient de frapper à la porte de bois d'un vieil appartement lugubre au fond d'une traboule lyonnaise. Il vient perquisitionner au domicile d'un dénommé Toupet, dit le Siffleur, et, comme personne ne lui répond, tambourine sur les volets à coups de parapluie impatients. Derrière lui, deux policiers inspectent l'arrière-cour, et le dédale d'escaliers tortueux. L'immeuble lézardé semble prêt à s'effondrer sous les coups répétés du représentant de l'ordre. Puis le silence revient. Il n'y a personne.

Derrière la porte, pourtant, une oreille se dresse. Une vieille oreille, haute, pointue, soyeuse, attentive... Deux yeux ronds observent, une moustache frémit. Mais on n'ouvre pas, parce qu'on ne peut pas. Et si on ne peut pas, c'est qu'on a une bonne raison pour cela. On est un lapin. Un beau lapin blanc, aux yeux rouges, à qui on n'a jamais appris à ouvrir les portes.

Augustin le lapin considère donc avec une certaine inquiétude le remue-ménage qui envahit tout à coup la quiétude de son domaine. Depuis quelque temps, d'ailleurs, Augustin n'est pas tranquille. Il se passe ici des choses bizarres, et les carottes se font rares. Un coup plus violent que les autres le fait soudain sursauter, et, terrorisé, Augustin bondit sur une pile de caisses, se faisant aussi rond que possible, véritable boule de neige aux oreilles dressées, tel qu'on le trouvera.

Enfoncée par une épaule vigoureuse, la porte de son repaire s'est ouverte en grand. Et le commissaire Weber, gigantesque dans l'encadrement, inspecte les murs couverts d'affiches, de photos, de coupures de journaux.

Son examen dure un certain temps, car le spectacle est étrange. Greta Garbo voisine avec Pie XI, le président Doumergue avec une pin-up peu vêtue, Napoléon avec un premier prix de comices agricoles. En fin de course, le regard du commissaire rencontre celui d'Augustin le lapin. Le commissaire sait ce qu'il vient chercher. Augustin le lapin, s'il pouvait parler, lui dirait qu'il le sait aussi. Mais on n'a jamais vu un lapin se mettre à table, même devant un policier, autrement qu'en sauce.

Pourtant le commissaire et Augustin finiront bien par se comprendre. Mais ce sera long et bizarre. Car voici l'étrange histoire de l'étrange témoin principal d'un crime, Augustin le lapin. Non seulement l'animal est le témoin de ce crime peu banal, mais, ce qui est plus extraordinaire, il en est la cause directe. Non pas par un simple accident ou un hasard stupide. Augustin le lapin est en quelque sorte responsable de la mort d'une femme. Une mort affreuse.

Il est ici nécessaire, avant de poursuivre, d'apporter quelques précisions peu connues sur les lapins en général, et sur Augustin en particulier. On l'ignore peut-être, mais, en dehors de sa vocation culinaire, le lapin s'en est vu attribuer une autre, beaucoup plus philosophique. En effet, parmi les milliers de sectes diverses qui se consacrent à l'adoration des choses les plus hétéroclites (cela va de l'oignon à la relique la plus aléatoire), il s'en trouve une, que l'on appelle secte des Inghiles, pour adorer le lapin. Elle y voit le dernier stade de la réincarnation de l'âme, avant sa réhabilitation éternelle dans l'éther du cosmos. Les Inghiles témoignent donc un culte respectueux au moindre lapin, l'innocent animal étant susceptible de transporter une âme.

Quant à Augustin le lapin, que le commissaire Weber rencontre au domicile du dénommé Toupet au cours de sa perquisition, il se trouve faire partie de la caste des lapins les plus vénérés : les lapins blancs. Et seules des âmes de qualité s'abritent sous ce pelage, laborieusement parvenues à l'ultime étape de la purification.

Le commissaire Weber ne fait pas partie de la secte des Inghiles. En pénétrant dans ce taudis, pour une perquisition de routine, il ne se doute pas qu'il vient de mettre les pieds dans un sanctuaire et qu'il a devant lui une sorte de dieu à quatre pattes et au nez rose en la personne d'Augustin. Tous deux se sont toisés, l'espace d'une minute, en silence. Puis l'un des policiers (celui à qui nous devons la reconstitution de cette scène) dit bêtement : « Tiens ! un lapin!» Alors Augustin, d'un bond dédaigneux, regagne son lit de paille et de pelures pour observer les intrus.

La perquisition ne dure pas longtemps. D'ailleurs, le commissaire s'y est astreint par acquit de conscience, il est persuadé qu'il ne trouvera rien. Il retourne tout de même le lit en désordre, bouscule les outils, les casseroles, les caisses, les chiffons qui s'entassent pêle-mêle. Il y a du ciment, des briques, un vieux fourneau à charbon et le clapier d'Auguste, mais rien de bien suspect.

Alors que le commissaire, bougonnant, s'apprête à quitter les lieux, une femme affolée lui tombe littéralement dans les bras :

« Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce que c'est ? Il est arrivé quelque chose à mon mari?»

Repoussant la femme qui s'effondre dans les bras de son adjoint, le commissaire rectifie l'équilibre de son chapeau et demande calmement:

« Qui est votre mari, madame ?

— Toupet, Léon Toupet ! Il lui est arrivé quelque chose?

— Oui, madame !

— Oh mon Dieu ! Il a disparu depuis deux jours ! Il, il n'est pas mort ?

— Non madame, pas encore !

— Mais où est-il ?

— A Paris.

— Qu'est-ce qu'il fait à Paris ?

— Il est saoul, madame, saoul comme un régiment de Polonais ! Il a monopolisé à lui seul un commissariat de quartier, une commission d'enquête, trois médecins, deux infirmières et un hôpital psychiatrique! Mais rassurez-vous, il s'en remettra, lui ! Je n'en dirais pas autant des autres.

— Mais pourquoi ?

— Lui seul le sait, madame. Il a menacé de se suicider, si on ne venait pas perquisitionner chez lui. Du moins, c'est ce que nous avons cru comprendre. Il divague quelque peu, et on a trouvé sur lui une lettre qu'il vous destinait.

— Qu'est-ce qu'il me dit?

— Qu'il va se tuer parce qu'il a mal agi, que vous ne comprendrez pas, mais que ça n'a pas d'importance. Il avait un revolver dans sa poche, quand il a été arrêté... »

Et le commissaire raconte à Mme Toupet qu'en réalité son mari n'a pas été arrêté : il s'est arrêté lui-même. Parti de Lyon par le train jusqu'à Paris, il y est arrivé totalement ivre, dans le dessein évident de se maintenir le plus longtemps possible dans cet état. Le lendemain soir, il avait tellement bien réussi, qu'une ronde de nuit dut le ramasser dans un caniveau et le mettre à l'abri dans une cellule, le temps de cuver son vin. Mais, au matin, alors qu'on s'apprêtait à le libérer, le dénommé Toupet, pris d'une rage subite, refusa brusquement de quitter sa cellule, hurlant qu'il était coupable, qu'il voulait se suicider, et qu'il fallait chercher quelque chose chez lui. Coupable de quoi ? Chercher quoi? Il ne le disait pas, mais ses hurlements étaient si convaincants qu'on dut lui passer la camisole de force. Ébranlé par l'événement, le commissaire parisien a demandé à son collègue lyonnais de perquisitionner chez Toupet par prudence, à cause du revolver chargé découvert dans sa poche.

Sidérée, Mme Toupet, d'une toute petite voix demande:

« Mais, alors, il est devenu fou ? »

Et le commissaire, courtois, lui répond :

« S'il ne l'était pas avant, oui, madame ! »

Et, ce disant, le commissaire a quelque doute, en parcourant une dernière fois la pièce du regard.

Toujours dans son coin (raconte le policier), Augustin le lapin observe la scène de son œil rouge impénétrable. L'état des lieux en fait ne laisse guère supposer un occupant sain d'esprit. Mme Toupet, qui a compris, s'empresse d'ajouter :

« Oh vous savez, nous n'habitons pas ici, nous occupons l'appartement voisin. Ça, c'est l'atelier de mon mari, son petit domaine, quoi. Il adore le bricolage, et les lapins... »

Mais le commissaire est déjà sur le pas de la porte, et il marmonne:

« Je comprends! Eh bien, au revoir, madame. Navré pour la porte, on vous tiendra au courant au sujet de votre mari. »

En s'en allant, le commissaire Weber ne sait pas que cette pièce au désordre insolite et ce lapin blanc immobile cachent un horrible secret. Pour en savoir davantage, il lui faudra de la patience, et il faudra surtout que le dénommé Toupet retrouve un éclair de raison, car, en dehors de lui, seul Augustin le lapin pourrait parler.

Donc, Léon Toupet, dit le « Siffleur », surnom que lui ont donné ses amis, a révolutionné un commissariat de police, et un hôpital psychiatrique. Provisoirement, les douches et la camisole lui ayant un peu calmé les nerfs, il a renoncé à hurler des aveux incohérents auxquels personne ne comprend rien. Toutefois, des mots inquiétants se glissent régulièrement dans son discours de fou. La police parisienne tente un interrogatoire.

Curieusement, dès que Toupet comprend que le commissaire va l'interroger, il se calme et attend patiemment entre ses deux infirmiers, dans le couloir du commissariat. Il n'a plus l'air fou du tout. Un peu hébété tout au plus, mais, étant donné le traitement qu'il vient de subir, cela n'a rien d'étonnant.

Pour le décrire d'après ses portraits : la quarantaine environ, une tête à la Claude Brasseur, l'air sympathique en somme, un peu tombeur, un peu alcoolique, aussi.

A peine entré dans le bureau du commissaire, assis sagement, les bras croisés, il demande:

« Alors, vous l'avez trouvée?

— Qui?» demande le commissaire, s'armant de patience.

« La femme que j'ai coupée en morceaux... »

Un peu ébahi, car c'est la première fois que Toupet s'exprime normalement, le commissaire ne peut que répondre :

« Non... »

Et, avant qu'il ait pu poser une autre question, Toupet se met en colère:

« C'est pas croyable ! Mais puisque je vous dis que j'ai tué une femme, que je l'ai coupée en morceaux, et qu'elle est chez moi dans mon atelier ! Qu'est-ce que vous attendez pour la trouver, bon sang!»

Puis, subitement redevenu fou, en apparence du moins, il se met à exploser en invectives diverses, arpentant le bureau du commissaire à grandes enjambées, tapant sur les murs avec rage, si bien qu'on doit le maîtriser à nouveau, et qu'il sera désormais impossible de lui tirer des paroles sensées. Un seul leitmotiv dans ce déchaînement, et qui revient régulièrement avec une sorte de désespoir dans la voix de Toupet : « C'est la faute d'Augustin... c'est la faute d'Augustin. »

Le commissaire parisien ne sait pas qui est Augustin... Alors, une fois Toupet réencamisolé, dûment douché et remis aux psychiatres, il redemande une enquête à son collègue lyonnais, le commissaire Weber. En lui faisant part des aveux déments de Toupet, il commente : « Il parle d'un certain Augustin, mais j'ai bien l'impression d'avoir affaire à un obsédé, ça m'étonnerait qu'il ait tué quelqu'un, voyez ça avec sa femme d'abord, il n'a peut-être besoin que d'un bon séjour à l'asile. »

Alors le commissaire Weber, résigné, retourne dans le petit atelier, persuadé qu'il perd son temps, pour interroger la femme Toupet. La première question qu'il lui pose, après l'avoir mis au courant des affirmations de son mari, concerne évidemment cet Augustin inconnu qui occupe tant l'esprit de son mari. Et Mme Toupet, lui ouvrant à nouveau la porte de l'atelier, lui présente Augustin le lapin, dans son clapier, maître des lieux incontesté.


Décidément, c'est une histoire de fou. Quant à la femme coupée en morceaux, rien ne laisse supposer sa présence, sous quelque forme que ce soit. Le commissaire a beau fouiller, il n'aperçoit pas le moindre paquet bizarre, il ne sent pas la moindre odeur. Consciencieusement, il examine le matériel entassé, les briques empilées, les sacs de ciment, le vieux chaudron de cuivre. Pourquoi tout cet attirail de maçon?

Mme Toupet explique:

« Il construit un clapier, avec des briques, du ciment et du bois. Il a l'intention d'élever d'autres lapins...

— Pour quoi faire ?

— Une idée à lui, il adore les lapins, vous savez. Augustin est son meilleur ami. Il l'a depuis des années. Par moments, je me demande s'il ne l'aime pas plus que moi... »

Perplexe, le commissaire l'écoute raconter sa vie et celle de son mari. Augustin le lapin semble en faire partie intégrante. Le couple n'a pas d'enfants, peu d'amis. Toupet décrit par sa femme n'a pas l'air d'un fou, mais pas non plus d'un enfant de choeur. Spontanément sa femme explique au commissaire qu'avant leur mariage il fréquentait le milieu, et qu'il a même eu une vilaine histoire avec un truand à propos d'une femme. Une bagarre à coups de couteau. L'autre est mort. Toupet, condamné à quelques mois de prison, semble s'être acheté une conduite et mener une vie tranquille. Sans travail permanent, chômeur un mois sur deux, il passe le plus clair de son temps dans l'atelier en compagnie d'Augustin, à bricoler n'importe quoi.

Par acquit de conscience, le commissaire interroge les voisins, cherchant à savoir si Toupet a une maîtresse, s'il s'est récemment disputé avec quelqu'un, si l'on a entendu ou vu quelque chose. En vain. Tout ce qu'il ramène de son enquête, c'est que Toupet fréquentait un peu trop le café du coin, qu'il est paresseux, mais gai, sociable, volontiers galant avec les dames, et qu'il ne dérange pas le voisinage. S'il trompe sa femme, ce qui est possible, personne ne sait avec qui précisément. Il n'est pas violent, et ne l'a jamais battue. En larmes, Mme Toupet précise même:

« Avant de disparaître, il m'a emmenée au cinéma et au restaurant. Nous avons passé une bonne soirée, il était gentil, amoureux même. Je ne comprends pas. Il a dû devenir fou subitement, il est incapable de tuer quelqu'un de sang-froid, j'en suis sûre. Et qui, d'abord ? »

Qui? Ayant fait le tour des possibilités, le commissaire ne voit pas non plus. Bien que rendu méfiant par les antécédents de Toupet, il doit s'avouer que rien ne vient justifier ces aveux effrayants. S'il a découpé une femme en morceaux, ce ne peut être que dans son imagination. Toupet est fou, victime d'une idée fixe. Son cas relève de la psychiatrie et non de la police. D'ailleurs, un homme qui adore les lapins, quoi qu'en dise sa femme, c'est quand même un peu bizarre, non ? Et le commissaire fait son rapport à son collègue de Paris, qui classe l'affaire provisoirement, ayant d'autres lapins à fouetter.

On oublie Toupet. On soigne Toupet, on tranquillise Toupet, et, lorsqu'il recommence à divaguer un peu trop, on le fait dormir. C'est intéressant pourtant, ce qu'il raconte. Un observateur attentif, qui prendrait le temps d'examiner l'agité de la cellule 34, apprendrait bien des choses!

Tout d'abord, il se demanderait s'il est vraiment fou, ou bien s'il simule la folie. En effet, lorsqu'il n'est pas abruti par les drogues, Toupet n'a rien d'un fou furieux. S'il se met en rage, il semble que ce soit plus le fait d'une angoisse insurmontable, d'un besoin exacerbé d'être écouté. Par moments bien sûr, une vraie folie s'empare de lui, mais peut-être a-t-il commis un crime tellement horrible que son seul souvenir lui est devenu insupportable?

On pourrait aussi se demander, et cette idée traverse l'esprit du commissaire, si Toupet n'est pas surtout un criminel d'une intelligence et d'une astuce hors du commun...

Il est possible qu'il ait vraiment tué une femme, qu'il l'ait vraiment coupée en morceaux, et qu'il ait dissimulé les morceaux quelque part. En prenant les devants, en s'accusant lui-même avant que l'on ne découvre quoi que ce soit, il brouillerait les pistes, se ferait passer pour fou, le temps qu'on classe le dossier, et dans quelque temps, guéri, pourrait regagner tranquillement ses pénates, se fondre à nouveau dans l'anonymat. Le temps ayant passé, bien malin qui ferait une relation entre lui et une femme disparue...

Pourtant une femme a disparu. Peu de gens s'en soucient en vérité. Comme on dit, c'est une femme « de petite vertu ».

D'humeur fantasque, exerçant son métier dans un quartier mal famé de Lyon, elle habite seule des chambres d'hôtel minables dont elle change au hasard des rencontres: dans ce quartier, les chambres sont payables d'avance, à la journée ou à la nuit. Alors, qui va s'inquiéter de savoir pourquoi, dans l'une d'elles, on a abandonné une vieille valise de carton bouilli contenant deux robes sans intérêt, une vieille paire de chaussures et de menues affaires de toilette ? Sûrement par l'hôtelier, qui ne s'étonne de rien depuis longtemps. Dans son métier, on en voit d'autres. C'est ainsi que nulle part n'est signalée la disparition de la dénommée Paulette, prostituée quasi anonyme.

Seulement pour tuer, il faut au minimum un mobile, si l'on n'est pas fou. Quel pourrait être celui de Toupet?

Il se passera beaucoup de temps avant que la police ne découvre la vérité. Il faudra qu'un jour, excédés par les affirmations de Toupet, les policiers se décident enfin à retourner une troisième fois dans son atelier et à entreprendre des fouilles plus poussées que les précédentes. Il faut dire que, mis bout à bout, les aveux de Toupet impressionnent.

« Je l'ai tuée, j'ai coupé la tête, je l'ai jetée dans la Saône, j'ai découpé le reste en morceaux, que j'ai brûlés. Augustin m'a vu, alors j'ai caché ce qui restait. Demandez à Augustin, il sait tout. C'est à cause de lui... à cause de lui ! »

La troisième perquisition reste décevante jusqu'au dernier moment. Cinq policiers examinent à la loupe la moindre poussière, le moindre fond de casserole, sans résultat. On défonce le plancher, on sonde les murs, on gratte le fourneau... Reste le coin d'Augustin. Une sorte de clapier fait de briques de ciment et de bois, le tout inachevé, où le lapin blanc trône, le nez frémissant et l'œil anxieux devant tout ce remue-ménage. C'est alors qu'en s'approchant de lui pour regarder à l'intérieur de son réduit l'un des policiers met le pied sans s'en rendre compte sur l'une des briques enrobées de ciment, qui en forme la base. Le ciment s'effrite légèrement, le pied du policier glisse, la brique aussi. C'est en voulant la remettre en place que l'enquêteur s'aperçoit qu'il vient de marcher sur un pied ! Plus exactement d'écraser un orteil. Alors on casse les autres briques et le reste n'est pas beau à voir.

Toupet a bien tué et découpé une femme en petits morceaux, qu'il a brûlés à l'essence, sans grand succès, semble-t-il. Si bien que, pour dissimuler ce qui n'a pas voulu brûler, il a imaginé d'enfouir les restes dans une série de briques creuses enrobées de ciment — constituant un innocent clapier pour Augustin le lapin.

Comment s'est-il débrouillé, pour que ni odeur ni traces n'éveillent les soupçons de sa femme ? Mystère.

Ce qui est sûr, c'est que sans son accès de folie, réel ou simulé, personne n'aurait songé à l'accuser. On discute longtemps de son irresponsabilité entre psychiatres qui, bien entendu, ne sont pas d'accord. Mais tout au long du procès, qui dure deux jours, Toupet apparaît aux assises comme un être parfaitement normal. A plusieurs reprises, il déclenche même l'hilarité dans la salle, par des reparties d'un goût douteux mais qui détendent l'atmosphère alourdie par la description des détails horribles.

Et voici enfin l'explication qu'il donne au tribunal, le motif incroyable de ce crime gratuit.

C'est bien à cause d'Augustin le lapin qu'une malheureuse est morte. Paulette rencontre un jour Toupet dans un bar. Ils se plaisent, et décident de parfaire cet accord dans le fameux atelier.

Lorsque Paulette reprend... ses esprits, dirons-nous, Toupet lui fait faire le tour du propriétaire. Et, dans un coin, apparaît Augustin, blanc et beau, Augustin le vénéré, qui abrite, selon Toupet, l'âme d'un grand de ce monde. Paulette éclate de rire et, prenant dans ses bras le malheureux lapin, elle se met à le secouer, pour lui demander de rendre l'âme qu'il a volée.

Le président d'assises qui, jusque-là, a écouté patiemment le récit de Toupet, demande:

« Mais pourquoi avez-vous tué cette femme... ? Ce n'est tout de même pas parce qu'elle secouait votre lapin ? »

Toupet a-t-il l'espoir de se faire passer vraiment pour fou? L'est-il un peu ou beaucoup ? La réponse qu'il fait au président ne lui épargne pas la réclusion à perpétuité. D'un air sérieux, presque tragique, il affirme :

« J'ai frappé, quand j'ai vu le lapin me regarder dans les yeux. Vous ne savez pas ce que c'est qu'un lapin qui vous regarde dans les yeux, monsieur le président... Essayez, et vous verrez qu'on ne peut pas faire le contraire de ce qu'il veut! Augustin voulait que je tue cette femme, j'ai obéi... C'est de sa faute!»

Augustin s'est peut-être senti coupable en effet, puisqu'il a disparu mystérieusement au cours de la dernière perquisition, avant que l'on ne découvre que son clapier était une tombe.

Les dossiers extraordinaires T3
titlepage.xhtml
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_000.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_001.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_002.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_003.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_004.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_005.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_006.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_007.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_008.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_009.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_010.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_011.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_012.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_013.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_014.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_015.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_016.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_017.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_018.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_019.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_020.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_021.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_022.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_023.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_024.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_025.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_026.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_027.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_028.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_029.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_030.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_031.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_032.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_033.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_034.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_035.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_036.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_037.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_038.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_039.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_040.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_041.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_042.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_043.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_044.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_045.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_046.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_047.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_048.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_049.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_050.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_051.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_052.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_053.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_054.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_055.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_056.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_057.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_058.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_059.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_060.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_061.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_062.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_063.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_064.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_065.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_066.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_067.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_068.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_069.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_070.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_071.html
Les_dossiers_extraordinaires_T3_split_072.html