CHAPITRE XXIII

Graymes régla la course du taxi et pénétra à grandes enjambées dans un brownstone situé à l’extrémité de Montague Street, Fischer sur ses talons.

— Nous sommes chez vous ?

— Gagné.

— Vous ne prenez pas l’ascenseur ?

— Je déteste les ascenseurs, répliqua Graymes en grimpant l’escalier quatre à quatre.

Lorsqu’ils débouchèrent au dernier étage, le rabbi était hors d’haleine. Graymes s’immobilisa soudain, lui faisant signe de se tenir sur ses gardes.

— Quoi encore ?

— Il y a un paquet devant ma porte.

De fait, un colis solidement ficelé avait été abandonné sur son paillasson. À première vue, il ne présentait rien de bien extraordinaire. Mais Graymes s’en approcha comme s’il contenait une bombe à retardement. Il tira lentement son épée de la doublure de son manteau. Il la saisit à deux mains, pointe en bas, et d’un coup sec, transperça l’emballage de part en part.

— Vous êtes devenu complètement fou ! protesta le rabbi en s’approchant. Comme si nous avions le temps de faire bêtises comme ça ?

— Chhh…, fit Graymes en tranchant les ficelles.

Une tache de sang noir s’élargissait sous le carton.

— Et ça, qu’en pensez-vous, rabbi ?

— Mon Dieu, qu’est-ce que c’est ?

Graymes fit sauter le couvercle de la pointe du pied.

Au fond de la boîte gisait un fantassin en uniforme anglais armé d’une très inhabituelle hache. Un automate. Un simple automate dont le sang s’échappait à flots de la terrible blessure infligée par l’épée. Il était secoué par des convulsions d’agonie. Dans ses yeux dansait pourtant une lueur de cruauté insatisfaite. Graymes l’acheva d’un second coup en plein crâne. Le rabbi eut une grimace écœurée.

— Voilà un cadeau de votre ami, si je ne me trompe.

— Que se serait-il passé si vous l’aviez ouvert comme…

— Presque rien. Ce joyeux militaire me décapitait avec son tranchant de hache. Mais il y a plus grave. Ce pantin saigne. Ceux qui nous ont agressés dans la boutique ne saignaient pas, eux. Vite, portez cela à l’intérieur…

Graymes se précipita sur son téléphone.

Il composa le numéro de Debbie Harriman, et attendit avec angoisse qu’elle décroche. Mais seules les interminables tonalités lui répondirent. Accablé, il se tourna vers Fischer qui l’observait, très inquiet lui aussi.

— Des problèmes, docteur ?

Graymes ne répondit pas sur-le-champ.

— J’ai commis une stupidité. Je pensais le Verbe de Vie en sûreté. Outre que je me suis lourdement trompé, j’ai sans doute entraîné la mort d’une personne qui m’était chère. À l’heure qu’il est, le Verbe est tombé entre les mains d’Emeth. Voilà pourquoi les automates saignent, à présent. Il détient le pouvoir. Demain, n’importe quand, il pourra lever une armée de ses semblables et soumettre le monde entier s’il le désire.

— Mais… c’est affreux !

— Très juste.

Il se dirigea vers une porte basse, ornée de ferronneries bizarres, que cachait à moitié une épaisse tenture. Il s’engouffra dans son cabinet secret et chercha activement les amulettes nécessaires à son prochain combat. Quand il ressortit – et Fischer ne manqua pas d’observer que le battant se refermait seul derrière lui –, son visage était empreint d’une expression grave mais déterminée.

— Quelle heure est-il, rabbi ?

— Trois heures du matin.

— Nous avons juste le temps. À la synagogue.