CHAPITRE XX
Debbie flottait dans une sorte de torpeur malsaine où se mêlaient images de la réalité et cauchemars furtifs. Elle avait froid. Son corps tout entier lui faisait mal. Elle avait surtout le sentiment qu’un terrible danger la guettait à proximité. Que le moindre de ses gestes pouvait lui être fatal…
Elle décida qu’il fallait en finir avec cet état semi-comateux où elle semblait rebondir sans cesse avec la grâce d’une bulle de savon. Elle redressa légèrement la tête. Elle se trouvait étendue sur une dalle de pierre qui formait la partie supérieure d’un tombeau. Ses poignets étaient emprisonnés dans des cerclets de fer reliés au mur par des chaînes. Au-dessus de sa tête, une fracture courait sur la voûte arrondie, laissant filtrer un peu de la timide clarté du jour finissant. Quand le dernier rayon glissa de son visage, elle ne distingua plus rien qu’une obscurité caverneuse. Une obscurité non pas déserte, mais où rôdait ce danger qui, de temps à autre, signalait sa présence par de petits glissements furtifs. Quelque chose veillait là, ombre parmi les ombres, gardien du souterrain.
Avec précaution, Debbie tira sur ses chaînes pour en éprouver la solidité. Leur tintement lui parut assourdissant, propre à attirer l’attention du guetteur invisible. Aussi cessa-t-elle tout mouvement. Il lui aurait fallu la force d’une légion pour venir à bout de ces fers. Elle renonça à gaspiller son énergie et décida d’attendre. Elle ignorait tout de l’endroit où elle se trouvait, et se demanda comme Graymes, ou quiconque, pourrait jamais le savoir. Du moins était-elle en vie. Elle avait dû perdre connaissance et le géant aux marionnettes en avait profité pour la kidnapper. Que voulait-il de plus ? N’avait-il pas déjà le fragment en sa possession ? Elle n’aurait jamais dû accepter de le garder. Elle aurait dû deviner que…
Elle en était là de ses sinistres réflexions lorsque le bruit d’un pas lourd, mal assuré, résonna sous la voûte avec la force d’un pilon. Tout son corps se raidit d’effroi. Elle tendit le cou pour mieux voir ce qui allait surgir de la pénombre. Elle n’aperçut qu’une vieille lampe qui se balançait, bien haut au-dessus d’elle. Son cœur battit à tout rompre…
Les dimensions du caveau parurent soudain se réduire à celles d’un placard. Le géant venait de se matérialiser tout près d’elle, large et massif comme un gladiateur antique. Il était engoncé dans une gabardine dont les coutures menaçaient de craquer à tout moment. Gelée par l’afflux d’adrénaline, Debbie le regarda qui se penchait vers elle, n’osant même plus respirer. Elle put à loisir détailler son visage au teint de cendre, aux contours rudes et grossiers, au nez épaté, au front trop large que masquaient en partie des cheveux drus et sales. Mais ce furent surtout les yeux, d’étranges yeux blancs qui lui firent passer un sale frisson sur la nuque.
— Mon Dieu, qu’allez-vous faire de moi ?
Il posa sa lampe à côté d’elle et la considéra avec indifférence. Un soupir rauque, à peine humain, franchit ses lèvres épaisses et tombantes.
— Qui êtes-vous ? Dites-moi au moins…
— L’homme maigre… Le grand homme maigre avec l’épée… Qui… qui est-il ?
Chaque parole semblait lui coûter de terribles efforts d’élocution.
— Je ne sais pas de qui vous voulez parler…
Il abattit une main large comme un battoir sur son ventre découvert. Elle dut se mordre les lèvres pour ne pas gémir. Le contact de sa peau était rugueux, déplaisant au possible. Ses doigts râpeux crochèrent dans la nuisette et déchirèrent la soie en lambeaux, mettant son intimité à nu. Elle retint ses larmes à grand-peine.
— L’homme maigre… est… avec toi… Je le veux… lui…
— Je vous jure. Je ne sais pas où il est. Vous avez la pierre. Laissez-moi tranquille…
Le géant caressa distraitement les seins de la jeune femme. Puis il saisit un téton entre ses doigts et pinça méchamment. Debbie ne put s’empêcher de crier.
— Qui… qui est-il ? je… je veux… le savoir…
— Merde, allez vous faire foutre, salopard !
L’homme se redressa de toute sa stature. Ses cuisses, épaisses comme des troncs d’arbre, n’étaient qu’à quelques centimètres de son visage.
— Oh, mon Dieu, murmura-t-elle.
— C’est lui… Il a brisé les sceaux… Les sceaux protecteurs. C’est un… un Initié… peut-être même… un Commandeur… Son nom, il faut me le dire…
— Allez vous faire foutre…
En prononçant ces derniers mots, Debbie prit clairement conscience qu’elle venait de commettre sa dernière insolence. Le géant eut un mouvement de rage et tendit ses deux mains vers elles ; ses mains si énormes, si grotesques… Elle ferma les yeux, s’apprêtant à entendre craquer ses vertèbres. Mais au dernier moment, il parut se raviser. Debbie sentit que quelque chose venait de bondir sur la dalle, entre ses jambes. Elle regarda à nouveau.
Un automate, déguisé en avaleur de sabres, la contemplait avec un sourire pervers, faisant jouer entre ses doigts une lame miniature. Debbie se rétracta de tous ses muscles, prête à sombrer dans la folie.
— Je dois… savoir, murmura le géant. Et tu vas… me le dire…
Le fantoche se pencha lentement au-dessus du pubis de la jeune femme et piqua légèrement le gras de la cuisse avec la pointe de son sabre. Un filet de sang zébra la peau blanche, si délicate à cet endroit. Debbie serra les mâchoires à les briser. Son tortionnaire de plastique piqua encore, un centimètre plus haut, tout près de sa vulve. Subitement, elle n’y tint plus. Son cri emplit le caveau et se répercuta d’interminables secondes dans les profondeurs de la galerie…