CHAPITRE VI
Cette conversation lui revint alors qu’il hésitait à franchir le seuil de la boutique. Des ondes malveillantes flottaient dans le noir. Et cette fois s’y mêlait le relent âcre du sang… Ce silence trop dense, si tangible qu’on aurait pu, semblait-il, le déchirer comme une toile d’araignée en refermant la main, ce silence était de ceux qui suivent l’accomplissement d’un maléfice. Ben Graymes savait le reconnaître entre tous. La prémonition qui l’avait envahi tout à l’heure prenait maintenant une signification déplaisante.
Il toisa avec défiance les automates figés dans leurs gesticulations futiles. Cette surabondance de merveilles n’éveillait en lui qu’un malaise paradoxal. Il y en avait trop. Trop de corps avec l’apparence de la vie, trop de faciès grimaçants, trop de regards tournés vers lui. Il n’en retirait qu’une impression de grouillement répugnant.
Son attention fut plus particulièrement attirée par un drôle de forain qui faisait mine d’avaler un sabre. Il n’aurait su dire pourquoi celui-ci plutôt qu’un autre. Mais il s’en approcha avec circonspection, comme s’il craignait de l’éveiller. Une sensation bizarre le paralysa, difficile à définir, mais… Il tendit la main pour effleurer le tranchant noirci de la lame…
À cet instant précis, un grincement sinistre lui fit lever les yeux. Il n’eut que le temps de s’écarter. La corde qui retenait le cadavre d’Eisenbaum à une poutre se rompit, et le corps tomba avec un bruit mou à ses pieds. À peine s’était-il penché vers lui qu’un puissant projecteur inonda l’échoppe d’une lumière crue.
— Stop ! On ne bouge plus ! Police ! brailla une voix éraillée par l’horreur. Lâche ton arme, connard. Doucement…