CHAPITRE XXXI

— Ces pauvres créatures, prises comme des mouches dans cette horrible mousse, dit C-3PO à R2-D2 tandis qu’ils se dirigeaient vers une étroite porte d’accès dans le mur sud.

L’issue était proche de la salle de maintenance souterraine du palais, où les deux droïdes avaient pris un bain d’huile. C’était également par là qu’ils étaient sortis un peu plus tôt, alors que les manifestants commençaient leur marche.

— Je crois que nous serons plus en sécurité à l’intérieur.

R2-D2 bipa une réponse.

C-3PO inclina la tête, stupéfait.

— Comment ça, nous avons reçu l’ordre de rester dans le palais, de toute manière ?

L’astromec cliqueta.

— L’ordre de nous cacher ? fit C-3PO. De qui émane-t-il ? (Il attendit la réponse, et ajouta :) Le capitaine Antilles ? Comme il est gentil de s’inquiéter de notre bien-être au milieu de cette confusion !

R2-D2 siffla et vrombit.

— Quoi d’autre ? C-3PO attendit que son compagnon finisse. Ne me dis pas que tu n’as pas le droit de le dire. Dis plutôt que tu refuses de le dire. J’ai le droit de savoir, espèce de petite machine secrète !

C-3PO se tut alors que l’ombre d’un appareil passait sur eux. Ses photorécepteurs suivirent la trajectoire de la navette impériale noire. R2-D2 se mit à hululer, visiblement alarmé.

— Quoi encore ?

L’astromec lâcha un chœur de bips et de sifflements. C-3PO fixa sur lui ses photorécepteurs, incrédule.

— Trouver la Reine Breha ? Qu’est-ce que cette nouvelle lubie ? Il y a un instant, tu disais que le capitaine Antilles nous avait ordonné de rester cachés !

C-3PO se tenait les bras repliés, les poings presque sur les hanches. Visiblement, il n’en croyait pas ses « oreilles ».

— Tu as changé d’avis ? Depuis quand décides-tu de ce qui est important et de ce qui ne l’est pas ? Oh, tu as l’intention de nous créer des ennuis, je le sens !

Ils venaient d’atteindre la porte. R2-D2 fit sortir un mince appendice d’interface de l’un des compartiments de son corps cylindrique et allait l’insérer dans un port installé dans le montant de la porte quand une créature de chair et de sang dit :

— Tu as mal garé ton chasseur, astromec ?

Pivotant sur lui-même, C-3PO se retrouva face à un humain et à deux humanoïdes à six doigts à chaque main. Tous trois portaient de longs manteaux et de hautes bottes. De la main gauche, l’humain tapota le crâne arrondi de R2-D2.

— Euh, qui êtes-vous ?

— Les présentations sont inutiles, répondit l’un des humanoïdes.

Écartant un pan de son manteau, il révéla un blaster, qui pendait à sa ceinture.

— Tu sais ce que c’est ?

R2-D2 piaula de détresse.

Les photorécepteurs de C-3PO se refocalisèrent.

— Eh bien, oui, c’est un blaster à ions, un DL-13 pour être exact.

L’humanoïde eut un sourire mauvais.

— Tu es très savant.

— Monsieur, j’ai dans l’espoir que mon maître s’en aperçoive un jour. C’est mon vœu le plus cher. Travailler avec d’autres droïdes est si fatigant…

— Tu as déjà vu ce qu’un de ces joujoux peut faire à un droïde ? coupa l’humanoïde.

— Non, mais j’imagine très bien.

— Parfait, dit l’humain. Alors, voilà comment nous allons procéder : vous allez nous conduire à travers le palais comme si nous étions les meilleurs amis du monde.

Pendant que C-3PO essayait de comprendre, l’homme ajouta :

— Bien sûr, si ça vous pose le moindre problème, mon ami ici présent… (Il montra le second humanoïde.)… s’y connaît en droïdes et peut s’arranger pour tirer le code d’accès de vos mémoires.

C-3PO était trop abasourdi pour répondre, mais R2-D2 meubla le silence d’une tirade de bips et de trilles.

— Mon compagnon vient de dire, commença à traduire C-3PO, avant de se taire. (Puis il reprit :) Tu ne vas pas leur obéir, espèce de lâche ! Ces êtres ne sont pas nos maîtres ! Tu devrais souhaiter qu’ils te désassemblent plutôt que de considérer leur offre une seule seconde !

Mais R2-D2 fit la sourde oreille et ouvrit la porte.

— Ça ne va pas du tout, dit tristement C-3PO. Un droïde ne devrait jamais prendre d’initiative.

— Bon droïde, dit l’humain aux longs cheveux en tapotant de nouveau la tête de l’astromec, puis il plissa les yeux et coula un regard à C-3PO. Si tu essaies de communiquer avec qui que ce soit, tu souhaiteras ne jamais avoir été construit.

— Ah, monsieur, si vous saviez combien de fois déjà je me suis pris à souhaiter cela ! fit le droïde.

Il suivit R2-D2 et les trois organiques à l’intérieur et à travers les jardins du palais.

 

Vador se tenait au pied de la rampe de débarquement de la navette et regardait les tours blanches et élancées du Palais Royal. Le commandant Appo et six de ses soldats d’élite se déployèrent pour le flanquer quand Bail Organa et plusieurs autres personnes sortirent d’un bâtiment ornementé. Pendant un instant, ni l’un ni l’autre groupe ne bougèrent. Puis le contingent d’Organa s’avança.

— Vous devez être le seigneur Vador, dit Organa.

— Sénateur, répondit Vador en inclinant légèrement la tête.

— J’exige de savoir ce que vous êtes venu faire sur Alderaan.

— Sénateur, vous n’êtes pas en position d’exiger quoi que ce soit !

Le codeur vocal de son masque ajouta un ton menaçant à sa remarque. Mais en fait, pour la toute première fois, Vador eut le sentiment de porter un déguisement – un costume macabre, et non une armure de duracier qui lui permettait de rester en vie.

Anakin n’avait pas réellement connu Bail Organa, même s’ils s’étaient rencontrés bien des fois, que ce soit au Temple Jedi, dans les couloirs du Sénat ou dans le bureau de Palpatine. Padmé lui avait souvent parlé de lui, et toujours en bien. Vador soupçonnait Bail, Mon Mothma, Fang Zar et quelques autres d’avoir influencé la jeune femme afin qu’elle retire son soutien à Palpatine avant la fin de la guerre. Mais cela ne le troublait pas outre mesure. Sûrement pas autant que le fait qu’Organa avait été le premier non-Jedi à arriver au Temple après le massacre. Il avait d’ailleurs eu beaucoup de chance d’en repartir en vie.

Vador se demanda si Organa avait aidé Yoda, et sans doute Obi-Wan, à recalibrer la balise du Temple, afin qu’elle n’émette plus le signal que lui, Vador, avait composé pour rappeler tous les Jedi sur Coruscant.

L’aristocratique Organa était de la même taille qu’Anakin. Il était brun et beau, et il portait toujours des vêtements dans le style classique de la République, comme les Naboo, plutôt qu’à la nouvelle mode de Coruscant. Mais alors que Padmé avait dû son statut de reine à une élection, Organa était né avec une cuillère en argent dans la bouche sur Alderaan, planète de carte postale.

Missions d’aide ou non, Vador se demanda si Organa avait la moindre idée de ce que cela signifiait de vivre sur l’un des mondes reculés. Sur une planète balayée par les sables comme Tatooine, sur laquelle les Hutts régnaient en maîtres et où personne n’était à l’abri d’une attaque des Pillards Tusken.

Il ressentit le besoin soudain de remettre Organa à sa place. De le priver d’air du pouce et de l’index, de l’écraser de son poing… Mais la situation n’en était pas là. Pas encore. Et puis, il suffisait de regarder Organa pour comprendre qu’il savait qui commandait.

Il avait tout pouvoir sur Organa, et sur tous les autres comme lui.

Et c’était Skywalker, et non Vador, qui avait vécu sur Tatooine.

Organa lui présenta ses conseillers et ses aides, ainsi que le capitaine Antilles, qui commandait le vaisseau consulaire de construction corellienne d’Alderaan. Ce dernier essaya de cacher son hostilité envers Vador, mais échoua lamentablement.

Si Antilles savait à qui il a affaire…

Des voix et des chants furieux leur parvinrent de la rue. Vador supposa qu’une bonne partie des troubles venait du fait qu’une navette impériale venait de se poser sur Alderaan. Et cette idée le réjouit.

Comme les Jedi, les manifestants étaient des illuminés qui croyaient que leurs vies insignifiantes avaient une quelconque importance. Que leurs protestations, leurs rêves, leurs accomplissements comptaient pour quelque chose. Ils ignoraient que l’univers était transformé non par les foules et les individus, mais par les mouvements de la Force. À moins qu’une personne ne soit liée à la Force, elle ne vivait pas, elle se contentait d’exister dans un monde d’illusions, simple conséquence de la lutte éternelle entre la Lumière et l’Obscurité.

Vador écouta la foule un moment encore, puis il se tourna de nouveau vers Organa.

— Pourquoi autorisez-vous ça ?

Le regard inquiet du Sénateur chercha quelque chose, peut-être l’humain qui se cachait derrière le masque.

— Les manifestations ne sont-elles plus autorisées sur Coruscant ?

— Le Nouvel Ordre prône l’harmonie, Sénateur, non la dissension.

— Quand l’harmonie sera la norme pour tous, alors les protestations cesseront. Et puis, en leur permettant de faire entendre leurs voix, Alderaan évite à Coruscant un embarras inutile.

— Ce n’est pas faux. Mais en temps voulu, les protestations cesseront, d’une manière ou d’une autre.

Vador comprit qu’Organa ne savait trop quoi faire. Il n’aimait pas être défié sur son propre monde, c’était très clair. Pourtant son ton était celui de la conversation – ou presque.

— J’espère que l’Empereur sera assez intelligent pour ne pas y mettre un terme par la peur, dit-il.

Vador n’avait aucune patience pour les joutes verbales. Chaque fois qu’il devait rivaliser d’intelligence avec des hommes comme Organa, il se rappelait qu’il n’était que le garçon de course de l’Empereur. Quand commencerait son apprentissage du Côté Obscur ? Il avait beau essayer de se convaincre du contraire, il n’avait aucun pouvoir, il ne faisait qu’exécuter celui d’un autre. Il n’était pas le maître d’armes, mais l’épée. Et toute arme était remplaçable.

— L’Empereur ne serait pas content de votre manque de foi, Sénateur, observa-t-il. Ou de votre empressement à laisser d’autres manifester le leur. Mais je ne suis pas ici pour discuter de cette petite marche.

Organa se caressa la barbe.

— Qu’est-ce qui vous amène ici, alors ?

— L’ancien Sénateur Fang Zar.

Organa eut l’air réellement surpris.

— Que lui voulez-vous ?

— Vous ne niez donc pas qu’il soit ici ?

— Non, bien sûr. Il est mon invité, ici même, au palais, depuis plusieurs semaines.

— Savez-vous qu’il s’est enfui de Coruscant ?

Organa fronça les sourcils.

— Vous semblez sous-entendre qu’il n’avait pas le droit de quitter la planète de son propre chef. Était-il en état d’arrestation ?

— Non, mais la Sécurité Intérieure l’avait interrogé, et certaines questions étaient restées sans réponse. Le BSI lui avait donc demandé de rester au Centre Impérial jusqu’à ce que tout soit éclairci.

Le Sénateur secoua de nouveau la tête.

— Je l’ignorais.

— Nul ne remet en cause vos raisons de lui donner l’hospitalité, dit Vador. Je veux juste m’assurer que vous ne vous interposerez pas quand je voudrai le ramener sur Coruscant.

— Le ramener… (Organa laissa cette phrase en suspens et ajouta :) Je ne m’interposerai pas, sauf si…

— Si quoi ? demanda Vador.

— Si le Sénateur Fang Zar demande l’asile diplomatique. Alderaan le lui accordera.

Vador se croisa les bras sur la poitrine.

— Je ne suis pas sûr que ce privilège existe encore. Et même si c’est le cas, vous découvrirez sans doute qu’aller à l’encontre de la volonté de l’Empereur n’est pas dans votre intérêt.

De nouveau, il sentit qu’Organa était partagé.

Que cache-t-il ?

— Est-ce une menace, seigneur Vador ?

— Un simple fait. Le Sénat a encouragé le chaos politique pendant bien trop longtemps. Mais ces jours sont révolus, Sénateur, et l’Empereur ne leur permettra pas de refaire surface.

Organa eut l’air sceptique.

— Vous parlez de lui comme s’il était tout-puissant, seigneur Vador.

— Il est bien plus puissant que vous ne le pensez.

— Est-ce pour cela que vous avez accepté de le servir ?

Vador prit son temps avant de répondre.

— Mes décisions ne regardent que moi. L’ancien système est mort, Sénateur. Vous seriez sage d’adhérer au nouveau.

Organa expira.

— Ah, eh bien, je vais tenter ma chance dans l’espoir que la liberté existe encore.

Il se tut un moment, comme s’il délibérait avec lui-même.

— Je n’ai pas l’intention de minimiser votre autorité, seigneur Vador, mais je souhaite consulter personnellement l’Empereur à ce sujet.

Vador eut du mal à en croire ses oreilles. Organa essayait-il sciemment de lui faire obstruction ? De le faire paraître inepte aux yeux de Sidious ? La colère monta en lui. Pourquoi perdait-il son temps à pourchasser des Sénateurs en fuite alors que c’était les Jedi survivants qui représentaient une réelle menace pour le Nouvel Ordre ?

Pour l’équilibre de la Force.

Un holoprojecteur bipa, et l’holo-image d’une femme aux cheveux noirs, avec un bébé dans les bras, apparut.

— Bail, je suis navrée de ne pas t’avoir contacté plus tôt, dit-elle. Je voulais t’avertir que je serais là d’ici quelques minutes.

Organa regarda l’holo-image, puis Vador, et de nouveau l’holo-image. Quand cette dernière eut disparu, il dit :

— Peut-être est-il préférable que vous vous entreteniez avec le Sénateur Zar en personne. (Il déglutit, puis recouvra sa voix.) Je vais le faire escorter jusqu’à la salle de conférences.

Vador se tourna et fit signe au commandant Appo, qui hocha la tête.

— Qui est cette femme ? demanda Vador à son hôte.

— Mon épouse, répondit Organa, visiblement nerveux. La Reine.

Vador l’observa, essayant de le lire plus en profondeur.

— Informez le Sénateur Zar que je l’attends, dit-il enfin. Pendant ce temps, je serai ravi de rencontrer la Reine.