CHAPITRE XXIV
La pluie était rare sur Coruscant, le temps y étant contrôlé artificiellement. Mais parfois, un orage se formait au-dessus de la planète-capitale et la balayait. Et aujourd’hui, le ciel pleurait sur le Temple Jedi abandonné.
L’ouïe améliorée de Vador pouvait capter le bruit des grosses gouttes de pluie qui s’écrasaient sur les tours élégantes du Temple, contrepoint fantomatique au staccato de ses pas sur le sol de marbre, renvoyé par les corridors obscurs et déserts. Sidious l’avait envoyé en mission, apparemment pour chercher des holocrons Sith dans les archives. Selon la rumeur, ils avaient été apportés au Temple des siècles plus tôt.
Mais Vador n’était pas dupe.
Sidious veut frotter mon nez masqué dans les résultats du massacre dont j’ai été le fer de lance.
Les cadavres avaient été enlevés par les soldats et les droïdes, et le sang versé nettoyé. Mais les marques de brûlures laissées par les blasters sur les murs et les plafonds témoignaient de la férocité de l’attaque-surprise. Des colonnes étaient couchées sur le flanc, des tapisseries pendaient, en lambeaux, et les pièces sentaient le charnier.
Mais ce n’était pas tout.
Le Temple grouillait de fantômes.
C’était peut-être le vent qui circulait pour la première fois dans ces couloirs qui autrefois lui étaient fermés, mais il résonnait comme les plaintes d’esprits qui attendaient d’être vengés. Ce qu’il prenait pour le bruit des pas des hommes du commandant Appo était peut-être des battements de tambours de guerre dans le lointain. Ce qui pouvait n’être que la fumée de feux qui auraient déjà dû mourir était peut-être des ectoplasmes se tordant de douleur.
L’Empereur Palpatine n’avait toujours pas décidé ce qu’il comptait faire de cette sinistre coquille vide. Qu’elle puisse être rasée ou reconvertie en palais lui semblait une plaisanterie cruelle. À moins qu’il ne soit décidé à la laisser telle quelle, mausolée vers lequel tous les yeux de Coruscant pourraient se tourner pour se rappeler le sort réservé à ceux qui défiaient Palpatine.
Les souvenirs qu’il gardait d’Anakin s’estompaient de jour en jour, mais pas ceux de ce qui s’était passé au Temple Jedi. Ils étaient aussi vivaces que sur l’instant. Il n’arrivait toujours pas à dormir vraiment, mais il n’avait plus de visions. Cette capacité à double tranchant avait été réduite en cendres sur Mustafar.
Mais Vador se rappelait.
Il se souvenait de cet instant dans le bureau de Palpatine. Du vieil homme le suppliant d’épargner sa vie, de le sauver, parce qu’il était le seul à pouvoir protéger Padmé. De l’éclair Sith qui avait fait passer un Mace Windu sidéré à travers une vitre.
Agenouillé devant Sidious, Anakin était devenu Vador.
Allez au Temple Jedi, avait dit Sidious. Nous allons les prendre à contre-pied. Faites votre devoir, seigneur Vador. Ne montrez aucune pitié. Alors vous serez assez puissant dans le Côté Obscur pour aider Padmé.
Il était allé au Temple.
Il était allé au Temple, instrument de la même intention qui avait guidé Obi-Wan jusqu’à Mustafar avec une seule idée à l’esprit : tuer l’ennemi.
Dans son esprit, Vador se vit marcher vers les portes du Temple, suivi par le 501e, il revécut la soif de sang insensée, le Côté Obscur libéré dans toute sa folie. Il se souvenait plus clairement de certains moments que d’autres : il se voyait ferrailler avec Maître Cin Drallig, décapiter certains des Maîtres qui lui avaient enseigné les voies de la Force, et bien sûr, exterminer froidement les enfants, et avec eux, l’avenir des Jedi.
Il s’était demandé s’il pourrait le faire. Il venait seulement d’embrasser le Côté Obscur, serait-il capable d’en appeler à sa puissance pour guider sa main et son sabre laser ? En réponse, le Côté Obscur avait soufflé : Ils sont orphelins. Ils n’ont plus ni famille ni amis. Que faire d’eux ? Il vaut mieux qu’ils meurent.
Ce souvenir lui fit bouillir le sang.
Cet endroit n’aurait jamais dû être bâti !
En fait, il n’avait pas tué les Jedi pour servir Sidious, même s’il voulait le lui faire croire. Dans son arrogance, Sidious ignorait qu’Anakin avait vu à travers lui. Le seigneur Sith pensait-il réellement qu’il ignorerait le fait qu’il avait manipulé tout le monde depuis le début, y compris lui, Anakin ?
Non, il n’avait pas tué les Jedi sur l’ordre de Sidious pour prouver son allégeance à la cause Sith.
Il avait exécuté les ordres de Sidious parce qu’Anakin ne voulait pas que les Jedi sachent qu’il avait sacrifié Mace et les autres dans le seul but que Padmé survive au destin funeste qu’il avait vu dans ses visions. Plus important, les Jedi auraient tenté de se dresser en travers du chemin des décisions que Padmé et lui auraient dû prendre pour la galaxie.
À commencer par l’assassinat de Sidious.
Mais sur Mustafar il l’avait mise dans un état pire que ce qu’il avait fait dans le Temple. Padmé n’avait pas entendu un mot de ce qu’il disait, tant elle était bouleversée. Et elle s’était mise dans la tête qu’il aimait davantage le pouvoir qu’elle.
Comme s’il avait fallu choisir !
Puis Obi-Wan, maudit soit-il, les avait interrompus avant qu’Anakin n’ait pu expliquer ce qu’il avait fait dans le bureau de Palpatine et au Temple. Et tout cela pour le bien de Padmé, et celui de leur enfant à naître. Si Obi-Wan n’était pas arrivé, il serait parvenu à la convaincre – il l’aurait obligée à comprendre. Et ensemble, ils auraient éliminé le seigneur Sith.
Le râle de la respiration de Vador devint plus audible.
Fléchir ses mains artificielles ne fit rien pour étouffer sa rage, alors il se voûta à l’intérieur de son armure, tremblant.
Pourquoi ne m’a-t-elle pas écouté ? Pourquoi aucun d’eux ne m’a-t-il écouté ?
Sa colère continua de s’enfler alors qu’il approchait des archives du Temple. Il laissa Appo, ses hommes et les membres du Bureau de Sécurité Interne devant la porte. Ces derniers avaient, semblait-il, leur propre mission.
Vador s’arrêta à l’entrée du hall principal de la bibliothèque, ébranlé non seulement par les souvenirs, mais par leur effet sur son cœur et ses poumons encore convalescents. Les hémisphères optiques du masque jetaient un voile déprimant sur la salle bien éclairée qui autrefois avait renfermé des milliers de rangées d’holo-livres et de disques soigneusement rangés.
Le ménage n’avait pas été fait. Il y avait encore des flaques de sang séché sur le sol, et les rares bustes et statues encore debout en étaient tout éclaboussés.
Même s’il avait tué Sidious, même s’il avait gagné seul la guerre pour la République, les Jedi l’auraient combattu et tué. Peut-être les auraient-ils privés, Padmé et lui, de leur enfant. Car celui-ci aurait sans doute était puissant dans la Force. Peut-être plus que quiconque ne l’avait jamais été ! Si seulement les Maîtres du Haut Conseil avaient été moins persuadés que leurs enseignements faisaient loi, s’ils n’avaient pas été si aveuglés par leur fierté, ils auraient compris que les Jedi devaient être mis à terre. Comme la République elle-même, leur Ordre s’était figé et la corruption s’y était installée.
Mais si le Haut Conseil avait reconnu son pouvoir et lui avait donné le titre de Maître, peut-être aurait-il pu assurer leur survie. Mais ils l’appelaient l’Élu, tout en le forçant à rester un simple Chevalier. Ils lui avaient menti tout en espérant qu’il mentirait pour eux. Que s’étaient-ils donc imaginé ?
Vieux fous !
Il comprenait maintenant pourquoi ils avaient découragé l’utilisation du Côté Obscur. Ils avaient craint d’affaiblir leur propre pouvoir sur leurs subordonnés, alors que c’était ainsi qu’ils avaient battu les Sith ! Les Jedi avaient été les premiers instigateurs de leur propre chute, les complices de la réémergence du Côté Obscur. Ils en avaient fait tout autant que Sidious pour assurer leur échec.
Sidious, leur allié…
L’attachement au pouvoir provoquait la chute de n’importe quel ordre. Parce que la plupart des êtres étaient incapables de contrôler le pouvoir, celui-ci finissait par les contrôler. Cela aussi avait contribué à provoquer le chaos dans la galaxie… et la montée de Sidious au pouvoir.
Le cœur de Vador tambourinait dans sa poitrine, et le respirateur changea de rythme pour lui fournir l’air nécessaire. Pour son bien et sa santé mentale, il se dit qu’il allait devoir éviter les lieux qui le mettaient dans une telle rage.
Un gémissement s’échappa de sa gorge endommagée quand il comprit qu’il ne pourrait sans doute jamais plus poser le pied sur Naboo ou Tatooine. La plainte résonna et les socles encore debout tombèrent comme des dominos sur le sol poli éclaboussé de sang.
Vidé, Vador dut s’appuyer à une colonne cassée pendant ce qui lui parut une éternité.
Son comlink le ramena au présent, et après un long moment, il l’alluma.
La voix du chef du Bureau de la Sécurité Intérieure sortit du minuscule haut-parleur. Armand Isard était dans la salle des données du Temple.
D’après lui, quelqu’un essayait d’accéder à distance aux bases de données des Jedi.