CHAPITRE II
Murkhana City était visible maintenant, grimpant à l’assaut des collines qui s’élevaient de la baie en croissant de lune. Le chatoiement des boucliers antiparticules qui se chevauchaient les uns les autres était atténué par le gris des nuages. Shryne aperçut la Tour Argente avant que le vaisseau ne plonge au-dessus des vagues écumantes et n’altère sa course, pointant son nez court vers la ville, zigzaguant entre les missiles tirés du rivage.
De même catégorie que Mygeto, Muunilinst et Neimoïdia, Murkhana n’était pas une planète conquise mais un monde-hôte. Elle était devenue le nouveau quartier général de l’Alliance des Corporations, l’ancien Sénateur et membre du conseil séparatiste Passel Argente en étant originaire. Protégés par leurs droïdes domestiques et leurs gardes privées, les hommes d’affaires et les avocats-conseils de Murkhana s’étaient créés un domaine hédoniste de hauts immeubles de bureaux, de complexes d’appartements luxueux, de centres médicaux et commerciaux de luxe, de casinos et de night-clubs. Seuls les speeders les plus chers se faufilaient dans ce paysage de structures graciles qui avait davantage l’air d’une formation naturelle de coraux que d’un ensemble de constructions.
Murkhana abritait également la plus grande installation de communication de la Bordure Extérieure. Ce qui faisait d’elle la principale source d’émission de la propagande séparatiste au sein des mondes de la République et de la Confédération.
Disposés comme les quatre rayons d’une roue, quatre ponts de dix kilomètres de long reliaient la cité à une immense plate-forme d’atterrissage offshore. De forme hexagonale et reposant sur des pylônes solides ancrés dans les fonds marins, celle-ci était la première cible des forces de la République – elles devaient la prendre avant de s’attaquer à la ville. Mais pour cela, la Grande Armée devait pénétrer les parapluies défensifs et débrancher le générateur qui les alimentait. Puisque tous les toits et toutes les plates-formes à répulseurs étaient protégés, la plage de sable noir de Murkhana était le seul endroit où les vaisseaux pouvaient débarquer les troupes et les Jedi.
Shryne regardait la plate-forme d’atterrissage quand il sentit quelqu’un se faufiler entre lui et le commandant Salve pour regarder par le hublot. Avant même de voir ses boucles noires, il sut que c’était Olee Starstone. Plantant sa main gauche fermement sur le crâne de la jeune femme, il la fit pivoter et la renvoya d’où elle venait.
— Si vous voulez faire de vous une cible, Padawan, attendez d’être sur la plage.
Se frottant la tête, la petite jeune femme tourna ses grands yeux bleus vers la grande femme debout derrière elle et dit :
— Vous voyez, Maître. Il n’est pas indifférent à mon sort.
— Bien que tout indique le contraire.
— Seulement parce qu’il me sera plus facile de vous enterrer dans le sable, rétorqua Shryne.
Starstone se renfrogna, croisa les bras sur sa poitrine et leur tourna le dos.
Bol Chatak adressa un regard de reproche à Shryne. Le capuchon de ses robes noires dissimulait de courtes cornes vestigiales. Zabrak d’Iridonia, elle était rien moins que tolérante, et elle n’avait jamais reproché à Shryne son attitude irascible ou interféré dans les plaisanteries qu’il échangeait avec sa Padawan. Cette dernière avait rejoint son Maître une semaine standard plus tôt, en même temps que Maître Loorne et deux Chevaliers Jedi. Les Sièges dans la Bordure Extérieure avaient pratiquement vidé le Temple Jedi sur Coruscant.
Jusqu’à récemment, Shryne aussi avait eu un Padawan…
Comme pour le détourner de ses pensées, le pilote annonça qu’ils approchaient de leur objectif.
— Vérifiez vos armes ! cria Salve à ses hommes.
Alors que l’habitacle résonnait des bruits de l’activation de dizaines d’armes, Chatak posa une main sur l’épaule de Starstone, qui tremblait un peu.
— Sers-toi de ta peur pour affûter tes sens, Padawan.
— Oui, Maître.
— La Force sera avec toi.
— Nous mourrons tous un jour, dit Salve à ses troupes. Promettez-vous que vous serez le dernier à partir !
Des panneaux d’accès s’ouvrirent dans le plafond et des câbles en polyplast se déroulèrent pour venir à portée des clones.
— Accrochez-vous, soldats ! dit Salve. Il reste de la place pour trois, Général, ajouta-t-il tandis que ses troupes obéissaient à son ordre.
Calculant que leur chute ne ferait qu’une dizaine de mètres, Shryne secoua la tête.
— Ça ira, Commandant. Nous nous reverrons en bas.
Soudain, le transport gagna de l’altitude alors qu’il approchait du rivage, puis il s’arrêta à quelques mètres et ses répulseurs entrèrent en action. Au même instant, des centaines de droïdes de combat séparatistes arrivèrent sur la plage et les accueillirent à coups de blasters.
L’intercom couina et le pilote dit :
— Attention, anti-droïde en action.
Il s’agissait d’une arme à impulsion qui détonait à cinq mètres au-dessus du niveau zéro et aplatissait tout droïde à cinquante mètres à la ronde. Des explosions similaires accompagnaient la progression d’une douzaine d’autres transports de troupes.
— Où était cette arme, il y a trois ans ? fit l’un des clones.
— On n’arrête pas le progrès, répondit Salve. Soudain, il semble que nous soyons capables de gagner cette guerre en une semaine.
Le vaisseau descendit un peu et Shryne sauta. Utilisant la Force, il atterrit sur le sable compact et s’accroupit. Chatak et Starstone l’imitèrent, cette dernière avec un peu moins d’adresse.
Salve et les autres clones suivirent, descendant en se tenant d’une main à un câble, armant une arme de l’autre. Quand tous furent sur la plage, le vaisseau repartit. Partout le même scénario se jouait. Plusieurs transporteurs ne réussirent pas à échapper à l’artillerie ennemie et explosèrent avant de s’en être retournés.
D’autres n’eurent même pas l’occasion de débarquer leurs contingents.
Des projectiles et des tirs de blasters passant au-dessus de leurs têtes, les Jedi et les soldats avancèrent en rampant presque derrière le contrefort qui soutenait la route. Celle-ci séparait la plage des falaises quasi verticales. Le spécialiste en communications de Salve demanda un soutien aérien pour les débarrasser des batteries responsables du feu nourri qu’ils subissaient.
Quatre commandos apparurent, escortant un prisonnier. Contrairement aux fantassins, ils portaient une armure grise, de Classe Katarn, et ils étaient plus lourdement armés. L’armure Katarn leur permettait de passer à travers les boucliers défensifs et de résister aux impulsions électromagnétiques.
Le combattant ennemi qu’ils avaient capturé portait de longues robes mais il n’avait pas le teint sombre, ni les marques faciales horizontales et les cornes crâniennes des Koorivar. Comme leurs camarades séparatistes les Neimoïdiens, l’espèce à laquelle appartenait Passel Argente n’aimait pas faire la guerre. Bien évidemment, cela ne les empêchait pas d’employer des mercenaires pour la livrer à leur place.
Le chef des commandos vint immédiatement vers Salve.
— Équipe Ion, Commandant, attachée au Trente-Deuxième originaire de Boz Pity.
Tournant un peu la tête vers Shryne, le commando le salua.
— Bienvenue sur Murkhana, Général Shryne.
L’intéressé haussa ses sourcils sombres.
— La voix m’est familière…, commença-t-il.
— Et le visage encore davantage, termina pour lui le commando.
La plaisanterie avait maintenant plus de trois ans, mais elle avait toujours beaucoup de succès parmi les clones et entre les clones et les Jedi.
— Grimpeur, dit le commando, dont c’était le sobriquet. Nous avons combattu ensemble sur Deko Neimoïdia.
Shryne lui flanqua une claque sur l’épaule.
— Content de vous revoir, Grimpeur… même dans ces conditions.
— Je te l’avais bien dit, dit Chatak à Starstone. Maître Shryne a des amis partout.
— Peut-être ne le connaissent-ils pas aussi bien que moi, Maître, grommela la jeune femme.
Grimpeur regarda vers le ciel gris.
— C’est une belle journée pour combattre, Général.
— Je veux bien vous croire, répondit Shryne.
— Au rapport, chef de patrouille, interrompit Salve.
Grimpeur se tourna vers lui.
— Les Koorivar évacuent la cité, mais ils prennent leur temps. Ils croient bien plus en leurs champs d’énergie qu’ils ne le devraient.
Il fit signe au prisonnier d’avancer et le tourna sans ménagement vers son supérieur.
— Je vous présente Idis – c’est un humain malgré l’accoutrement koorivar. Il appartient à la Brigade de la Vibrolame.
— Une bande de mercenaires, expliqua Bol Chatak à Starstone.
— Nous l’avons pris… le pantalon sur les chevilles, continua Grimpeur. Nous l’avons convaincu de nous dire ce qu’il sait des défenses côtières. Il a été assez gentil pour nous donner l’emplacement exact du générateur du bouclier de la plate-forme.
Le commando montra un bâtiment un peu plus loin sur la plage.
— Au nord du premier pont, tout près de la marina. Le générateur est situé à deux niveaux sous la terre. Il faudra peut-être abattre la construction pour l’atteindre.
Salve appela son radio.
— Relayez les coordonnées du bâtiment au Gallant…
— Attendez, intervint vivement Shryne. Cela risquerait d’endommager les ponts, et nous devons les garder intacts si nous voulons faire entrer des véhicules dans la cité.
Salve considéra brièvement la question.
— Une attaque chirurgicale, alors.
Shryne secoua la tête.
— Ce n’est pas la seule raison. Ce bâtiment est un centre médical. Ou du moins c’en était un à ma dernière visite.
Salve demanda confirmation du regard à Grimpeur.
— Le général a raison, Commandant.
Salve se tourna vers Shryne.
— Un centre médical ennemi, Général.
Shryne pinça les lèvres et hocha la tête.
— Même maintenant, les patients sont toujours considérés comme des non-combattants. Rappelez-vous ce que j’ai dit au sujet des cœurs et des esprits, Commandant. (Il regarda le mercenaire.) Le générateur est-il accessible de la rue ?
— Ça dépend de vos capacités.
Shryne regarda Grimpeur.
— Aucun problème, Général, dit le commando.
Salve lâcha un grognement dédaigneux.
— Vous faites confiance à un mercenaire ?
Grimpeur enfonça le canon de son DC-17 dans les reins du mercenaire.
— Idis est des nôtres maintenant, pas vrai ?
L’intéressé hocha la tête.
— Gratuitement.
Shryne interrogea de nouveau Grimpeur du regard :
— Vos gars ont-ils assez de détonateurs thermiques sur eux ?
— Oui, Général.
Salve n’aimait toujours pas cette idée.
— Je recommande de laisser faire le Gallant.
Shryne le regarda.
— Qu’y a-t-il, Commandant ? Vous estimez ne pas tuer assez de Séparatistes ?
— Assez, si, Général, mais pas assez vite.
— Le Gallant est toujours à cinquante kilomètres, fit remarquer Chatak. Nous avons le temps de faire une reconnaissance des lieux.
Salve montra son déplaisir en haussant les épaules.
— Si vous avez tort, ce seront vos funérailles.
— Nous verrons cela, répondit Shryne. Rendez-vous au point de ralliement Aurek-Bacta. Si nous n’y sommes pas au moment où le Gallant arrive, donnez-leur les coordonnées du bâtiment.
— Comptez sur moi, monsieur.