CHAPITRE XV

Son armure noire et sa force surhumaine n’étaient pas les seules choses qui différenciaient Dark Vador d’Anakin Skywalker. Anakin n’avait eu qu’un accès limité aux informations de son Ordre, mais Vador – même s’il était à des années-lumière de Coruscant – pouvait pénétrer dans tous les systèmes qu’il voulait, y compris ceux des archives, des textes anciens et des holocrons du Temple. Ainsi fut-il capable d’identifier les six Jedi affectés à Murkhana à la fin de la guerre. Quatre d’entre eux avaient été tués – Maîtres Loorne et Chatak, et deux Chevaliers Jedi – et deux étaient toujours en vie – Roan Shryne et la Padawan de Chatak, Olee Starstone. Cette dernière devait maintenant être sous la responsabilité de Shryne.

Petite humaine aux cheveux noirs et bouclés et au sourire engageant, Starstone avait été une acolyte du Temple jusqu’à récemment, ayant été l’apprentie de Maître Jocasta Nu aux archives. Mais peu avant le début de la guerre, afin d’élargir sa compréhension de la galaxie, la jeune femme avait demandé à être autorisée à faire ses preuves sur le terrain. C’était au cours d’une brève visite sur Eriadu qu’elle avait attiré l’attention de Bol Chatak.

Chatak l’avait prise sous son aile au cours de la deuxième année de guerre, à la demande du Conseil. Il y avait tellement de Chevaliers Jedi participant au combat sur des mondes lointains, et pourtant ils n’étaient pas assez nombreux. Le Temple n’était pas la place d’une jeune femme qui pouvait mieux servir la République en tant que combattante qu’en tant que bibliothécaire.

À tous points de vue, Starstone avait été pleine de promesses. Candide, aussi vive qu’un vibrofouet et brillante chercheuse, elle n’aurait sans doute jamais dû être autorisée à quitter le Temple. Mais bien sûr, elle y serait morte, victime de la lame de Dark Vador ou des blasters des troupes de choc du commandant Appo.

Roan Shryne, c’était une autre histoire. Dark Vador faisait tourner l’holo-image montrant le Chevalier Jedi rebelle aux longs cheveux pendant que les informations de son dossier défilaient sur un écran.

Shryne avait été trouvé sur un monde de la Bordure Extérieure, Weytta, situé dans le voisinage de Murkhana. Son dossier faisait référence plusieurs fois à un « incident », mais Vador fut incapable d’en découvrir la nature exacte.

Au Temple, il avait fait montre d’un talent précoce pour sentir la Force chez les autres, aussi l’avait-on encouragé à s’engager dans une voie qui l’aurait amené à la Division des Acquisitions du Temple. Pourtant quand il avait été assez grand pour comprendre ce que cela signifiait, il avait refusé, pour des raisons qui n’étaient pas clairement indiquées dans son dossier.

L’affaire avait été portée devant le Haut Conseil, qui avait décidé que Shryne devait trouver lui-même sa voie. Celui-ci avait choisi d’étudier les armes de guerre, anciennes et modernes, et c’était de là que lui était venu son intérêt pour le rôle joué par les syndicats du crime dans leur éparpillement.

Il avait condamné les lacunes des lois de la République qui permettaient à la Fédération du Commerce et à d’autres groupes similaires de s’armer en toute légalité. C’était ce qui l’avait amené pour la première fois sur Murkhana, peu avant le début de la guerre. Là, il avait eu des contacts avec un patron du crime local, qui était peu à peu devenu son informateur. Shryne avait fait de nombreux aller-retour à Murkhana, en solo, ou accompagné d’un Padawan.

De deux ans l’aîné d’Obi-Wan Kenobi, Shryne, comme Obi-Wan, avait été un membre de l’Ancienne Garde, comme les appelaient certains Jedi. Il s’agissait d’un groupe qui comprenait Dooku, Qui-Gon Jinn, Sifo-Dyas, Mace Windu et bien d’autres, dont nombre seraient appelés à siéger au Haut Conseil. Mais contrairement à Obi-Wan, Shryne n’avait jamais été dans la confidence de ce qui se disait au sein de celui-ci.

Un fait était intéressant : Shryne avait fait partie des Jedi envoyés sur Géonosis. Il avait participé à la bataille qui pour beaucoup avait été l’étincelle ayant mis le feu aux poudres. Et il y avait perdu son ancien Maître, Nat-Sem, et son premier Padawan.

Puis, après deux ans et demi de guerre, Shryne avait perdu son second Padawan au cours de la bataille de Manari.

Le dossier mentionnait que les camarades de Shryne avaient constaté un changement significatif dans son comportement après Manari. Il n’avait plus les mêmes vues sur la guerre, ni sur le rôle que les Jedi étaient forcés de jouer – Que Palpatine les a forcés à jouer, pensa Vador –, et nombre de ses confrères avaient pensé qu’il quitterait l’Ordre, comme d’autres avant lui.

Continuant d’étudier l’image fantomatique, Dark Vador activa l’unité de communication.

— Qu’avez-vous appris ?

— Toujours aucun signe des Jedi, seigneur Vador, répondit Appo. Mais nous avons localisé le Twi’lek.

— Bon travail, Commandant ! Il devrait nous dire tout ce que nous désirons savoir.

 

Cash Garrulan était en train de se demander comment diable il pourrait décharger huit cents paires d’électrojumelles Neuro-Saav en vitesse quand Jally déboula dans son bureau. L’humain attira son attention sur l’écran de la sécurité.

Agacé, Garrulan vit une vingtaine de clones descendre d’un transport militaire et prendre position autour de l’immeuble vétuste qui lui servait de quartier général.

— Des soldats de choc, rien de moins, fit-il. Probablement envoyés par le gouverneur régional pour faire main basse sur tout ce qu’ils pourront avant notre départ.

Il se leva et fit glisser une pile de cartes de données dans un attaché-case.

— Donnez-leur le surplus de munitions, et s’ils sont gourmands… les électrojumelles, par exemple. (Il prit son manteau et le posa sur ses épaules.) Pour ma part, je ne souffrirai pas l’indignation d’une arrestation. Je vais donc sortir par-derrière et je vous rejoindrai sur le quai.

— Bonne idée. Nous nous chargeons des clones.

Le Twi’lek sortit de son bureau, traversa le stock, appuya sur la commande d’ouverture de la porte… et se retrouva devant une haute silhouette. Toute de noir vêtue, de son casque démesuré à ses bottes, la figure masquée se tenait avec les poings sur les hanches pour mieux lui barrer le passage.

— Vous allez quelque part, vigo ?

La voix de basse était amplifiée par quelque appareil et soulignée par une forte respiration rythmique, apparemment régulée par le boîtier de contrôle accroché à la large poitrine du visiteur.

Vador, pensa Garrulan.

C’était donc cela la monstruosité dont lui avait parlé Shryne, le nouveau joueur qui s’était immiscé dans la partie.

— Puis-je demander qui veut le savoir ?

— Oui, répondit Vador, sans pour autant répondre à la question.

Garrulan essaya de rassembler ses esprits. Vador et ses soldats n’étaient pas là pour avoir leur part du gâteau, mais parce qu’ils étaient sur la trace de Shryne. Pourtant il pensait pouvoir s’en tirer.

— Je ne suis pas et je n’ai jamais été un Séparatiste. Je vis simplement sur un monde séparatiste.

— Vos idées politiques ne m’intéressent pas, lâcha Vador.

Tendant sa main droite, il souleva Garrulan du sol et le transporta jusqu’au petit bureau. Là, il le déposa violemment sur une chaise, qui roula en arrière et percuta le mur.

— Mettez-vous à l’aise, dit Vador.

Garrulan se frotta l’arrière du crâne.

— C’est donc ainsi que nous allons procéder ?

— Oui.

Garrulan se força à respirer.

— Je vous offrirais bien un siège, mais je n’en ai pas deux qui soient assez larges.

Le commandant des troupes de choc de Vador entra alors que celui-ci regardait autour de lui. Le bureau était opulent.

— Vous vous êtes bien débrouillé, vigo.

— Je ne peux pas me plaindre.

Vador vint se camper devant lui.

— Je suis à la recherche de deux Jedi qui se sont échappés du transport qui devait les emmener sur Agon Neuf.

— Un endroit charmant. Mais qu’est-ce qui vous fait croire…

— Avant que vous ne disiez un mot de plus, coupa Vador, sachez que je sais que vous et l’un de ces Jedi vous connaissez depuis longtemps.

Garrulan révisa immédiatement ses plans.

— Vous parlez de Roan Shryne et de la fille.

— Alors ils sont venus ici.

Le Twi’lek acquiesça.

— Ils m’ont demandé de les aider à quitter Murkhana.

— De quoi êtes-vous convenu ?

— Convenu ? (Garrulan montra la pièce du geste.) Croyez-vous que j’ai obtenu tout ça par accident ? J’ai été surpris de voir que Shryne était en vie. Je leur ai dit que je n’aidais pas les traîtres. En fait, j’ai rapporté leur visite aux autorités locales.

Vador se tourna vers le soldat, qui hocha la tête et sortit.

— Vous ne me mentiriez pas, vigo, n’est-ce pas.

Ce n’était pas une question.

— Pas avant de vous connaître mieux.

Le commandant revint.

— Il a effectivement contacté la garnison locale, seigneur Vador.

Impossible de savoir si Vador était satisfait ou non. Enfin, il dit :

— Savez-vous où Shryne est allé en partant d’ici ?

Garrulan secoua la tête.

— Il ne me l’a pas dit. Mais il connaît bien Murkhana, et je ne suis pas son seul contact en ville. Mais bien sûr, vous le saviez déjà.

— Je voulais vous l’entendre dire, fit Vador.

Garrulan sourit intérieurement. Vador avait mordu à l’hameçon.

— Trop heureux de vous rendre service… seigneur Vador.

— Si vous étiez Shryne, quelle serait votre prochaine étape ?

— Eh bien… tout cela reste du domaine de la spéculation, entendons-nous bien, répondit le Twi’lek en se détendant un peu. Je veux dire, si vous me demandez mon opinion de professionnel…

— Et dans ce cas ?

— Eh bien, je me disais que je pourrais en tirer quelque chose.

— Que voulez-vous, vigo ? Vous semblez avoir tout ce que vous pourriez souhaiter.

Garrulan prit un ton plus sérieux.

— Peuh, les biens matériels ! fit-il, dédaigneux. J’ai besoin de vous pour glisser un mot en ma faveur au gouverneur régional.

Vador hocha la tête.

— Ça peut se faire… à condition que votre opinion de professionnel en vaille la peine.

Le Twi’lek se pencha.

— Je pense à ce Koorivar du nom de Bioto. Il est contrebandier, entre autres choses. Il possède un vaisseau très rapide, le Sonneur Mort. (Il marqua une pause pendant que le commandant ressortait – sans doute pour communiquer avec le Contrôle du Trafic Spatial.) Si j’étais pressé de partir sans trop de problèmes, je me tournerais vers Bioto.

— Seigneur Vador, appela le commandant. Le CTS dit que le Sonneur Mort vient de quitter le Spatioport. Nous avons son plan de vol.

Vador pivota, les pans de sa cape virevoltant autour de lui.

— Contactez l’Exécuteur, Commandant. Ordonnez qu’il se place en position d’interception.

Il sortit du bureau, mais s’arrêta au bout de quelques longues enjambées.

— Vous êtes très malin, vigo, dit-il en se tournant vers Garrulan. Je ne l’oublierai pas.

Garrulan inclina la tête avec respect.

— Moi non plus, seigneur Vador.

Un instant plus tard, Vador sortait. Jally revint, lâchant un soupir de soulagement.

— Je n’aimerais pas avoir affaire à celui-là, patron.

— Il a ses manières bien à lui, acquiesça le Twi’lek en se levant. Oubliez le chargement. Faites préparer le vaisseau pour le décollage. Murkhana, c’est fini.