CHAPITRE XVII
— Vous avez ma parole. Je n’essaierai pas de dissoudre le Sénat, dit l’Empereur au petit groupe de personnes qu’il avait réunies dans ses nouveaux appartements. De plus, je ne veux pas que vous pensiez ne plus être que des objets dont la seule autorité est de ratifier des législations pour faciliter mon gouvernement. Je vous demanderai toujours conseil avant d’établir des lois qui garantiront la croissance et l’intégrité de notre Empire.
Il se tut un moment, puis il lâcha la bombe :
— La différence, c’est que, après avoir pris conseil auprès de vous et de mes conseillers, la décision m’appartiendra. Il n’y aura pas de débat, pas de citation de précédent constitutionnel, pas de pouvoir de veto, pas de procédure, pas de sursis. Mes décrets seront promulgués dans tous les mondes de l’Empire, et ils seront à effet immédiat.
L’Empereur se pencha dans la chaise à haut dossier qui lui servait temporairement de trône, mais pas assez vers l’avant pour que son visage soit dans la lumière.
— Comprenez bien cela : vous ne représentez plus seulement vos mondes. Coruscant, Alderaan, Chandrila… Tous ceux-là, comme des dizaines de milliers d’autres, sont des cellules de l’Empire, et ce qui affecte l’une affecte toutes les autres. Aucune perturbation ne sera tolérée. Les disputes interplanétaires ou les menaces de sécession seront sévèrement punies. Je n’ai pas gouverné pendant ces trois ans de guerre pour que l’on en revienne aux vieilles querelles. La République est morte.
Bail Organa avait beaucoup de mal à se tenir tranquille sur sa chaise et à ne pas se tortiller comme le faisaient ses collègues. Surtout les Sénateurs Mon Mothma et Garm Bel Iblis, dont le comportement pouvait être interprété comme un défi flagrant. Mais si l’Empereur s’en était aperçu, il n’en laissait rien paraître devant ses invités.
Les nouveaux appartements de l’Empereur – dont la salle du trône – occupaient tout le dernier étage de l’immeuble le plus haut de Coruscant. Ils étaient aménagés davantage dans le style de l’ancien bureau de Palpatine en dessous de la Rotonde du Sénat que dans celui de ses anciens quartiers dans l’immeuble du Sénat.
Divisée en deux niveaux par une courte volée de marches, la salle était plus longue que large, et de grandes baies vitrées en permaplast entouraient le tiers supérieur. Deux postes de travail en forme de bol flanquaient l’escalier poli, et dans chacun d’eux se tenait un Garde Rouge – un Garde Impérial. Les conseillers de l’Empereur étaient assis derrière. Le centre du dais était occupé par le trône temporaire, dont le dossier arqué revenait au-dessus de la tête de Palpatine. Cela le mettait perpétuellement dans l’ombre, comme son visage pâle et profondément ridé disparaissait dans celle du capuchon de ses robes. Dans chacun des accoudoirs du siège, il y avait des contrôles que ses doigts effleuraient parfois.
Dans les couloirs du Sénat, les rumeurs allaient bon train, surtout celles qui disaient que l’Empereur avait une autre suite, secrète celle-là. L’on parlait également d’une chambre de soins médicaux, dans la couronne de l’immeuble.
— Votre Majesté, si je puis me permettre, commença le Sénateur humain de Commenor d’un ton plein de déférence, peut-être pourriez-vous nous dire pourquoi les Jedi nous ont trahis. Comme vous devez le savoir, l’HoloNet semble ne pas vouloir communiquer de détails à ce sujet.
N’ayant plus besoin de faire montre de diplomatie ni de ruse pour atteindre son objectif, l’Empereur émit un son de pure dérision.
— L’ordre Jedi a mérité le sort qui a été le sien pour avoir laissé croire qu’en me servant, il vous servait. La complexité du plan diabolique des Jedi continue de m’étonner. Je n’arriverai sans doute jamais à comprendre pourquoi ils n’ont pas tenté de me tuer il y a trois ans. Je n’aurais jamais pu me défendre contre eux. Si mes gardes et nos soldats n’avaient pas été là, il y a quelques semaines, je serais mort.
Les yeux d’une étrange couleur de Palpatine se remplirent de haine.
— En fait, les Jedi pensaient qu’ils pouvaient veiller sur la galaxie mieux que nous ne le faisions, et ils voulaient perpétuer une guerre pour nous laisser sans défense et à la merci de leur trahison. Leur célèbre Temple était une véritable forteresse. Ils sont venus me voir pour me raconter qu’ils avaient tué le général Grievous – un cyborg, pas moins ! – et ils ont essayé de m’arrêter quand j’ai refusé de croire que les combats étaient terminés et que les Séparatistes étaient vaincus.
« Quand j’ai envoyé des soldats pour les raisonner, ils ont tiré leurs sabres laser. Nous devons remercier la Grande Armée pour la belle victoire qu’elle nous a donnée. Nos nobles commandants ont reconnu la traîtrise des Jedi, et ils ont exécuté mon ordre avec vigueur. Le seul fait qu’ils aient fait cela sans poser de questions, sans hésitation, prouve que nos bons soldats avaient deviné que les Jedi étaient derrière les événements qui affaiblissaient la République.
« Après toutes ces semaines, nous n’avons toujours pas la confirmation de la mort du Vice-Roi Gunray et de ses alliés. Mais puisque leurs droïdes de combat sont inertes sur des centaines de mondes, nous pouvons supposer qu’ils se sont rendus. Aussi devons-nous nous concentrer sur la consolidation de l’Empire un monde après l’autre.
Palpatine se renfonça dans son siège.
— Ce qui s’est passé avec l’ordre Jedi nous aura au moins appris que nous ne pouvons laisser aucun groupe d’individus devenir assez puissant pour mettre en péril nos desseins et nous priver de la liberté dont nous jouissons. Voilà pourquoi il est essentiel que nous accroissions et centralisions notre armée, à la fois pour préserver la paix et pour protéger l’Empire contre d’inévitables tentatives d’insurrection. À cette fin, j’ai déjà donné l’ordre de produire de nouvelles classes de vaisseaux et de chasseurs. Ceux-ci seront pilotés par des non-clones formés dans des académies impériales. Nous trouverons ces pilotes dans les écoles de vol des systèmes de l’Empire.
« Autre fait important, notre armée actuelle subit un vieillissement accéléré, aussi faudra-t-il la remplacer peu à peu. Je soupçonne les Jedi d’avoir voulu créer une armée à l’espérance de vie brève, pensant qu’ils n’en auraient plus besoin une fois qu’ils auraient renversé le gouvernement de la République et établi leur théocratie basée sur la Force.
« Mais ce n’est désormais plus un souci.
« En rassemblant les mondes connus de la galaxie, en leur donnant les mêmes lois, le même langage et en les plaçant sous l’égide d’un même guide avisé, nous avons éliminé le genre de corruptions qui sapaient la République. Et les gouverneurs régionaux que j’ai mis en place empêcheront la montée d’un autre mouvement séparatiste.
Quand tout le monde comprit que Palpatine avait terminé, le Sénateur de Rodia prit la parole :
— Donc les espèces non humaines n’ont pas à avoir peur de la discrimination ?
Palpatine écarta ses mains tordues, aux ongles comme des griffes.
— Quand ai-je jamais fait montre d’intolérance ? Oui, notre armée est composée d’humains, je suis humain et la majorité de mes conseillers et de mes généraux le sont aussi. Mais ce n’est que le fruit du hasard.
— La guerre continue, dit Mon Mothma à Bail.
Ils étaient désormais hors de portée des « oreilles » indiscrètes dont était truffé le bâtiment et de celles de tout espion du Bureau de la Sécurité Intérieure.
— Palpatine utilisera son handicap physique pour prendre ses distances avec le Sénat, répondit Bail. Sans doute ne l’approcherons-nous jamais plus d’aussi près.
Mon Mothma baissa tristement la tête.
Coruscant se faisait déjà à son nouveau titre de Centre Impérial. Les soldats de choc en armure écarlate étaient encore plus présents que durant la guerre, et les couloirs étaient pleins de visages étrangers et de personnel en uniforme. Les officiers militaires, les gouverneurs régionaux, les agents de la sécurité…, tous étaient les nouveaux laquais de l’Empereur.
— Quand je regarde cette face hideuse et que je constate les dégâts subis par la Rotonde, je ne peux m’empêcher de faire la comparaison avec ce qui est arrivé à la République et à la Constitution, dit Mon.
— Il dit ne pas prévoir de dissoudre le Sénat ou de punir les diverses espèces qui ont soutenu la Confédération…, commença Bail.
— Pour le moment, coupa-t-elle. Et d’ailleurs, les mondes d’origine de ces espèces sont déjà dévastés.
— Il ne peut pas se permettre d’attaquer qui que ce soit maintenant, continua Bail. Trop de mondes sont encore puissamment armés. Oui, il fait élever de nouveaux clones et construire de nouveaux vaisseaux, mais il n’a pas encore les moyens de faire une autre guerre.
Elle lui adressa un regard sceptique.
— Vous semblez soudainement très confiant, Bail.
Bail se posait la même question.
Dans la salle du trône, il s’était demandé combien des conseillers, humains et autres, de l’Empereur savaient que Palpatine était un seigneur Sith et qu’il avait organisé la guerre et éradiqué ses ennemis jurés, les Jedi, afin de prendre le contrôle absolu de la galaxie.
Mas Amedda devait le savoir, ainsi que Sate Pestage, et peut-être Sly Moore. Bail doutait qu’Armand Isard ou aucun des conseillers militaires de Palatine sachent. Et quand bien même, qu’est-ce que cela changerait ? Pour les rares êtres qui étaient au courant ou qui s’en souciaient, les Sith n’étaient rien de plus qu’une secte religieuse disparue depuis un millénaire. Ce qui comptait, c’était que Palpatine était désormais l’Empereur Palpatine, et qu’il jouissait du soutien de pratiquement tout le Sénat et de l’allégeance de la Grande Armée.
Seul Palpatine connaissait toute l’histoire de la guerre et de sa rapide conclusion. Mais Bail savait des choses que l’Empereur ignorait. Principalement que les jumeaux d’Anakin Skywalker et Padmé Amidala n’étaient pas morts avec elle sur l’astéroïde connu sous le nom de Polis Massa. Et qu’en ces enfants, Obi-Wan Kenobi et Yoda mettaient toute leur confiance – un jour, ils vaincraient le Côté Obscur. Bébé Luke était sur Tatooine chez son oncle et sa tante, et Obi-Wan veillait sur lui de loin. Et bébé Leia… Bail sourit en pensant à elle. Leia devait être dans les bras de son épouse, Breha.
Pendant le bref enlèvement de Palpatine par le général Grievous, Bail avait promis à Padmé que, s’il lui arrivait quelque chose, il ferait tout ce qu’il pourrait pour protéger ceux qui lui étaient chers. Padmé était enceinte – c’était un secret de polichinelle – mais alors il pensait plutôt à Anakin. Il n’avait pas songé un instant que les événements pourraient le pousser à faire partie d’une conspiration avec Obi-Wan et Yoda. Et que cela ferait de lui le gardien et le père adoptif de la jeune Leia.
Il n’avait fallu que quelques jours à Bail et à Breha pour aimer l’enfant, même si Bail avait été plus que réticent, au début, pensant qu’on lui avait confié une tâche qui les dépassait. Il était fort probable que les jumeaux Skywalker aient un lien puissant avec la Force. Que se passerait-il si Leia commençait à suivre précocement le chemin qu’avait finalement choisi son père ? Bail s’était posé la question.
Mais Yoda l’avait rassuré.
Anakin n’était pas né pour appartenir au Côté Obscur, mais il en avait pris le chemin à cause des expériences qu’il avait faites au cours de sa courte vie, des souffrances, de la peur, de la colère et de la haine. Si Anakin avait été découvert plus tôt par les Jedi, tout cela n’aurait jamais influencé son orientation. Plus important encore, Yoda semblait avoir changé d’avis sur les méthodes du Temple. Il pensait maintenant qu’il était préférable pour un être sensible à la Force de grandir au milieu d’une famille aimante.
Mais l’adoption de Leia n’était que l’un des soucis qui minaient Bail.
Pendant des semaines après le décret de Palpatine annonçant que la République était remplacée par un Empire, il avait été inquiet pour sa sécurité – et celle d’Alderaan. Son nom était l’un des premiers sur la Pétition des Deux Mille, le papier qui demandait à Palpatine de renoncer à certains des pouvoirs que le Sénat lui avait conférés dans l’urgence. Pis encore, Bail avait été le premier à arriver au Temple après le massacre. Et il avait sauvé Yoda au Sénat après que le Maître Jedi eut défié au combat Sidious dans la Rotonde.
Les holocams du Temple ou de la Place de la République avaient très bien pu prendre son speeder, et ces images avaient pu atterrir entre les mains des conseillers de la sécurité de Palpatine. L’Empereur savait peut-être également que c’était Bail qui avait ramené Padmé sur Naboo, pour ses funérailles. Et s’il était au courant de cela, peut-être se demandait-il si Obi-Wan, qui avait ramené Padmé de Mustafar, avait informé Bail de l’identité secrète du nouvel Empereur. Ou bien des horreurs qu’Anakin avait commises sur Coruscant, sous le nom de Dark Vador. Anakin, qu’Obi-Wan avait laissé pour mort sur Mustafar et qui s’en était sorti…
Et de là, il n’y avait qu’un pas à franchir pour que Palpatine ne s’interroge et ne se doute que l’enfant – les enfants, en fait – de Padmé n’était pas mort avec elle.
Bail et Mon Mothma ne s’étaient pas vus depuis les funérailles de Padmé, et Mon Mothma ne savait rien du rôle que Bail avait joué au cours des derniers jours de la Guerre des Clones. Néanmoins, elle avait entendu dire que Bail et Breha avaient adopté une petite fille, et elle était impatiente de voir Leia.
Le problème, c’était que Mon Mothma était également résolue à saper l’autorité de Palpatine.
— L’on parle de construire un palais pour loger Palpatine, ses conseillers et la Garde Impériale, dit-elle alors qu’ils approchaient de la plate-forme à répulseurs reliée à ce qui était devenu l’immeuble de l’Empereur.
Bail avait entendu cette rumeur.
— Et de faire ériger des statues, ajouta-t-il.
— Bail, le fait que Palpatine n’a pas foi en son Nouvel Ordre le rend encore plus dangereux.
Elle s’arrêta net avant de mettre un pied sur la passerelle menant au grand ascenseur.
— Tous les signataires de la Pétition des Deux Mille sont suspects. Savez-vous que Fang Zar a fui Coruscant ?
— Oui, répondit Bail, arrivant tout juste à soutenir son regard.
— Armée de clones ou pas, Bail, je n’abandonnerai pas le combat. Nous devons agir tant qu’il en est encore temps – tant que Sera Prime, Enisca, Kashyyyk et d’autres mondes sont prêts à se joindre à nous.
— Il est trop tôt. Nous devons patienter, dit-il, répétant ce que Padmé lui avait dit dans la Rotonde du Sénat, le jour de l’annonce historique de Palpatine. Nous devons mettre nos espoirs en l’avenir, et dans la Force.
Mon Mothma eut l’air sceptique.
— Certains militaires sont prêts à se joindre à nous, parce qu’ils savent que les Jedi n’ont jamais trahi la République.
— Ce qui compte, c’est que les clones croient que les Jedi ont trahi la République. (Puis il baissa la voix pour ajouter :) Nous risquons gros en nous exposant maintenant.
Il ne parla pas de son inquiétude au sujet de Leia.
Mon Mothma garda le silence jusqu’à ce qu’ils soient sur la plate-forme d’atterrissage. Des soldats de choc et une haute silhouette toute de noir vêtue débarquaient d’une navette de Classe Theta.
— Des Jedi doivent avoir survécu à l’ordre d’exécution, dit-elle.
Pour des raisons qu’il ne s’expliquait pas, Bail ne pouvait détacher les yeux de la figure masquée, qui elle-même regardait dans la direction du Sénateur. Le groupe passa suffisamment près d’eux pour que Bail entendît l’un des soldats dire :
— L’Empereur vous attend, seigneur Vador.
Bail eut l’impression qu’on le privait d’air.
Ses jambes se mirent à trembler et il dut s’appuyer à la rambarde de la plate-forme. Mais il réussit à ne pas trahir son appréhension quand il répondit à Mon Mothma.
— Vous avez raison. Des Jedi ont survécu.